La genèse de l’apparaître Etudes phénoménologiques sur le statut de l’intention
La genèse de l’apparaître Etudes phénoménologiques sur le statut de l’intentionnalité MÉMOIRES DES ANNALES DE PHÉNOMÉNOLOGIE VOLUME V Déjà paru : Marc RICHIR, L’institution de l’idéalité Moritz GEIGER, Sur la phénoménologie de la jouissance esthétique Albino LANCIANI, Phénoménologie et sciences cognitives Antonino MAZZÙ, L’intériorité phénoménologique Association pour la promotion de la Phénoménologie 20 Rue de l’Église F 60000 Beauvais (France) ISSN : 1635–2025 ISBN : 2–9518226–6–9 Note éditoriale Dans la ligne des Annales de phénoménologie, l’association éditrice a décidé de s’adjoindre une collection de « Mémoires » indépendants, plus ou moins brefs, mais trop longs pour figurer dans une publication périodique. Cette dé- cision est destinée à pallier l’engorgement actuel de l’édition savante, dû no- tamment à des raisons commerciales, et à se ménager la possibilité de publier des textes de haute exigence philosophique – qu’ils soient des originaux ou des traductions françaises d’ouvrages autrement confinés dans les bibliothèques spécialisées. C’est en effet un lieu commun de dire que notre tradition cultu- relle est en péril, que nous risquons d’étouffer, et qu’il est désormais urgent de renouer avec elle des fils susceptibles de relancer à nouveaux frais sa créativité. Et c’est à dessein que le terme « Mémoires » a été choisi : il faut le prendre en son sens ancien et non au sens aujourd’hui banalisé par ses usages univer- sitaires. « Mémoires » et non « Essais », parce qu’il s’y agira de maintenir au mieux les nécessités de la rigueur, parce que le risque y sera, non pas tant celui du débat d’idées que celui de la confrontation effective avec tel ou tel problème – avec les choses et les concepts qu’il engage explicitement et implicitement, par delà telle ou telle « solution » éventuelle, jamais définitive en philosophie. Les Mémoires sont une publication de l’Association pour la Promotion de la Phénoménologie dont l’activité se veut aussi lieu d’échanges et d’avancées dans la réflexion sur des problématiques philosophiques notamment phénomé- nologiques. Toute contribution du lecteur qui s’inscrirait dans cette perspective, et dans celle de la note éditoriale ci-dessus, sera la bienvenue au bureau de l’Associa- tion, 37 rue Godot de Mauroy, 75009 Paris, ou par courrier électronique auprès du secrétaire de rédaction à l’adresse franzi@club-internet.fr. Alexander Schnell La genèse de l’apparaître Etudes phénoménologiques sur le statut de l’intentionnalité à Zinaïda ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE Introduction Selon une thèse communément défendue, l’histoire de la philosophie oc- cidentale depuis la Renaissance serait marquée par deux ruptures décisives : la « révolution copernicienne » réalisée dans la Critique de la raison pure et le « linguistic turn » du XXe siècle (lignée qui promeut et manifeste avec force une « destitution » de l’ontologie). Or une telle perspective - somme toute sim- pliste ou du moins, à coup sûr, réductrice - passe sous silence une troisième « révolution » : celle, husserlienne, qui introduit la notion de phénomène en tant que phénomène, c’est-à-dire en tant que celui-ci est dépourvu d’un fonde- ment ontologique - sans que cela n’invalide pour autant la question du sens à la fois de ce qui apparaît et de ce qui est au fondement de la genèse de cet appa- raître. C’est cette question - au centre de tous les projets phénoménologiques post-husserliens importants - s’interrogeant sur le rapport entre la phénomé- nalité et l’être (ou le non-être) de cette dernière, que nous voudrions reposer ici. Cette interrogation qui ne s’enferme d’ailleurs nullement dans un para- digme « mental » ou « représentationnel » est intimement liée à celle du pou- voir constitutif de ce qu’on peut appeler la « subjectivité transcendantale » (sans qu’on ne l’identifie à une conscience absolument « auto-transparente » ou quelque chose de la sorte) ; et aussi, au sein du rapport que cette dernière met en œuvre, à celle du statut du pôle « subjectif », du pôle « objectif » ainsi que de la relation de transcendance - à la fois au sens de la « Transzendenz » et du « Transzendieren » - impliquée par le rapport entre ces deux pôles (et ce, sans qu’on ne retombe dans un dogmatisme de la chose en soi, ni dans une « histoire de l’être » dont les tenants et les aboutissants demeurent finalement obscurs). La perspective philosophique à partir de laquelle nous croyons pou- voir justifier une telle conviction (ou plutôt : une telle attitude) est circonscrite justement par la méthode phénoménologique. Cette méthode trouve son appli- cation la plus fidèle principalement dans les manuscrits de travail de Husserl et dans les réflexions méthodologiques (sur ce travail qui, lui, est le plus souvent absorbé par son objet dont il s’agit précisément d’éclaircir le sens) qui se sont matérialisées - en dehors des ouvrages programmatiques publiés du vivant de Husserl - dans les manuscrits d’Eugen Fink à l’époque où il fut l’assistant de Husserl. 7 8 ALEXANDER SCHNELL Ce n’est pas par hasard qu’avec E. Fink dont l’œuvre (phénoménologique) majeure n’a pas encore trouvé toute l’attention et l’approbation qu’elle mérite, ce soit une seule et même personne à une seule et même période - de la fin des années 1920 jusqu’à la mort de Husserl - qui ait travaillé simultanément à une édition des Manuscrits de Bernau 1 de Husserl et à une fondation métho- dologique de la phénoménologie en général. Quoi qu’on en dise, et peut-être pas d’une manière exclusive, mais dans tous les cas de façon insigne, ces Ma- nuscrits sur le temps et l’individuation de 1917/18 établissent à la fois ce que Fink a lui-même exprimé ainsi : « L’explicitation du sens intentionnel se meut toujours en direction des horizons (in die Horizonte hinein) de la temporalité, laquelle - en tant que ce en quoi s’accomplissent les unifications synthétiques et les rapports des intentionnalités individuelles - présente le thème fonda- mental et originaire de la phénoménologie en général 2. » (Nous verrons que les analyses du temps livrent effectivement des concepts clé pour la méthode phénoménologique : sphère pré-immanente, construction, noyau, etc.) Et ils ouvrent la voie, grâce à des « descriptions » phénoménologiques d’une nou- velle sorte, à ce que Fink a nommé une « phénoménologie constructive » - terme que nous reprendrons à notre compte en un sens, nous le verrons, un peu différent de Fink : une phénoménologie, donc, qui descend dans la sphère ulti- mement constitutive de tout ce qui apparaît et qui mobilise, pour ce faire, des analyses qui ne se contentent pas de « décrire » ce qui s’atteste phénoméno- logiquement dans la sphère immanente de la conscience, mais qui doivent en « construire » - en se tenant certes aux « choses mêmes » que sont les phéno- mènes - les dispositifs transcendantaux nécessaires en tant qu’ils se présentent comme les conditions phénoménologiques de tout apparaître. Si notre intention n’est certes pas, dans cet ouvrage, de reconstituer la phé- noménologie husserlienne du temps à la lumière des acquis des Manuscrits de Bernau 3, les résultats importants que nous retenons de ces Manuscrits (pour le statut et la méthode de la phénoménologie) sont cependant toujours à l’ho- rizon du cheminement que nous parcourrons dans ce qui suit - et le Husserl qui nous intéresse ici est donc précisément celui de son « œuvre majeure 4 ». 1. Les Manuscrits de Bernau qui datent de 1917/18 ont été publiés en 2001 par R. Bernet et D. Lohmar aux éditions Kluwer (Husserliana, tome XXXIII : Die Bernauer Manuskripte über das Zeitbewusstsein). 2. E. Fink, « Vergegenwärtigung und Bild », dans : Studien zur Phänomenologie (1930- 1939), Phaenomenologica 21, M. Nijhoff, La Haye, 1966, p. 17 (c’est nous qui soulignons). Cette phrase est extraite de la thèse de doctorat de Fink à laquelle, selon ses propres aveux, Husserl se ralliait sans réserve. 3. Cf. à ce propos notre ouvrage Temps et Phénomène. La phénoménologie husserlienne du temps (1893-1918), Hildesheim, Olms, 2004 auquel de nombreuses analyses ici renvoient implicitement. 4. Tel est l’attribut (« mein Hauptwerk ») avec lequel Husserl a qualifié devant Roman Ingar- den les Manuscrits de Bernau ; cf. les notes de R. Ingarden dans : E. Husserl, Briefe an Roman Ingarden. Mit Erläuterungen und Erinnerungen an Husserl, M. Nijhoff, Phaenomenologica 25, La Haye, 1968, p. 154 (cité par D. Lohmar, dans Husserliana XXXIII, p. XVIII). Plus tard, il utilisera exactement ce même terme pour caractériser ses Méditations Cartésiennes, cf. la lettre INTRODUCTION 9 Notre propos consiste ainsi à la fois à descendre « en deçà » des élaborations concrètes de 1917-18 pour y découvrir des outils permettant de préciser leur statut ; et à ouvrir le champ intentionnel (car c’est de cela qu’il s’agit) à des dimensions plutôt délaissées par Husserl mais ayant attiré l’intérêt de certains de ses successeurs. Cela nécessite de mobiliser des auteurs qui - qu’ils l’aient su ou non - ont contribué à une telle ouverture, d’exposer, négativement, les résultats de ces contributions à des positions critiques qui, elles, ne mobilisent jamais que des aspects partiels de la phénoménologie husserlienne (et, en par- ticulier, de uploads/Philosophie/ schnell-alexander-la-genese-de-l-apparaitre.pdf
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- Publié le Apv 09, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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