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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=PSYS&ID_NUMPUBLIE=PSYS_052&ID_ARTICLE=PSYS_052_0109 Épreuve de réalité et psychose chez Freud. La fin de la psychose – l’heure d’un dernier « retour » ? par Dr Michael SARAGA et Jacques GASSER | Médecine & Hygiène | Psychothérapies 2005/2 - Vol. 25 ISSN 0251-737X | pages 109 à 115 Pour citer cet article : — Saraga D. et Gasser J., Épreuve de réalité et psychose chez Freud. La fin de la psychose – l’heure d’un dernier « retour » ?, Psychothérapies 2005/2, Vol. 25, p. 109-115. Distribution électronique Cairn pour Médecine & Hygiène. © Médecine & Hygiène. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Psychothérapies, Vol. 25, 2005, N° 2, pp. 109-115 La dichotomie névrose-psychose a marqué la pen- sée psychiatrique du vingtième siècle mais elle n’est plus, depuis la troisième édition du DSM, le principe organisateur de la nosologie psychiatrique, qui a pris l’allure d’un catalogue de syndromes plus ou moins bien définis3. Cependant, si les cliniciens renoncent, de plus en plus, à se référer à la névrose, la notion de psychose reste d’un emploi courant dans la pratique quotidienne. Selon la préférence théorique de celui qui parle, «psychose» peut renvoyer à des concep- tions très diverses: flou des frontières du moi, inapti- tude au refoulement ou à la sublimation, intensité des ÉPREUVE DE RÉALITÉ ET PSYCHOSE CHEZ FREUD La fin de la psychose – l’heure d’un dernier « retour » ? Michael SARAGA1 et Jacques GASSER2 1 Médecin assistant au Département Universitaire de Psychiatrie Adulte, Lausanne. 2 Professeur associé au Département Universitaire de Psychiatrie Adulte, Lausanne. Résumé Le DSM a conduit les cliniciens à renoncer à la névrose; la psy- chose, pourtant, persiste, même si sa pertinence théorique est remise en question par le principe d’une approche descriptive qui se veut a-théorique. Sur le plan clinique, la psychose désigne le plus souvent une perturbation du rapport au réel. Cette association remonte à Freud, qui parlait de conflit entre le moi et la réalité. On trouve chez Freud deux théories bien distinctes sur cette question: l’une explore le développement précoce du rapport à la réalité, l’autre se préoccupe du phénomène de la psychose. Ce travail s’at- tache à montrer comment ces deux efforts théoriques se dévelop- pent et suggère quelques points d’articulation possibles. On dégage ainsi ce qu’on pourrait appeler une psychose psychanalytique origi- nelle, sur la base de laquelle les successeurs de Freud proposeront des conceptions de la psychose souvent incompatibles entre elles. La théorie freudienne de la psychose apparaît comme une construc- tion relativement cohérente, qui laisse cependant nombre de ques- tions, notamment cliniques, sans réponse – elle aura d’ailleurs laissé son auteur lui-même assez insatisfait. En définitive, le terme de psychose, à l’heure où il a perdu la névrose, son partenaire dialectique, renvoie à un champ théorique complexe et pour l’essentiel contradictoire. Sa survivance témoigne de son utilité clinique en tant que qualificatif descriptif de certains états psychiques graves; sur un plan théorique, il convient proba- blement de s’en tenir à une certaine prudence quant à l’emploi qu’on en fait. Summary The DSM has led clinicians to abandon the term «neurosis». However, the term «psychosis» still remains, even though its modern description, an «a-theoretical» approach, challenges its theoretical relevance. From a clinical point of view, psychosis refers to a dis- rupted link to reality. This goes back to Freud’s writings, where he spoke of the conflict between the ego and reality. He formulated two distinct theories on this question: one dealing with the early develop- ment of reality testing, the other with the phenomenon of psychosis. Our work aims to show how Freud developed these theories and sug- gests connecting links between them. Thus it is possible to outline an «original psychoanalytical psychosis», on which Freud’s successors later founded their own conceptions of psychosis, conceptions that in fact often contradict each other. The Freudian theory of psychosis emerges as a rather coherent construction, although it leaves many questions – in particular clinical questions – unanswered, and left Freud himself not entirely satisfied. The word «psychosis» has today lost its dialectical partner, «neu- rosis», and covers a complex and rather incoherent theoretical field. Its survival demonstrates its clinical usefulness as a descriptive tool; although one should probably exercise caution when using it in a more theoretical sense. Mots-clés Psychose – Epreuve de réalité – Principe de réalité – Psychanalyse. Key-words Psychosis – Reality testing – Reality principle – Psychoanalysis. 3 Cf. Beer (1996), APA (1994), Bogenschutz et Nurnberg (2000), Dilling (2002). pulsions sadiques et projection paranoïde, incapacité d’accéder au registre symbolique, pour en citer quelques-unes parmi bien d’autres, qui ressortent de la littérature analytique classique4. Mais, à un niveau plus immédiatement clinique, la «psychose» désigne une perte du contact avec la réalité. L’idée d’une telle «perte de contact» ne va pas sans difficultés théo- riques, mais l’expression rend assez fidèlement compte du tableau que peut présenter un patient schizophrène ou maniaque en pleine crise. Cette équation un peu grossière entre psychose et perte du contact avec la réalité est un héritage de la psychanalyse. La nosologie psychiatrique classique se référait essentiellement aux conceptions de Jaspers (1910), qui définissait les psychoses comme le résultat d’un processus morbide, plutôt que sur la base d’un rapport au réel perdu ou spécifiquement altéré. C’est Freud qui a situé une problématique spécifiquement psychotique comme conflit entre le moi et la réalité (Freud, 1924a). Cet héritage se signale par la notion d’une «perte de l’épreuve de réalité» qui caractérise- rait le patient psychotique: l’épreuve de réalité est une conception rigoureusement freudienne. L’équation psychose-perte du contact avec la réalité a survécu dans le DSM, qui utilise le terme «psychotique» pour qualifier un tableau clinique qui s’accompagne d’idées délirantes ou d’hallucinations marquées, c’est-à-dire une rupture avec la «réalité commune». C’est aussi sous cette forme que le «psychotique» survit dans la langue clinique quotidienne – même si, suivant le locuteur, il recouvre de surcroît tel ou tel concept plus théorique. D’une «psychose» qui structure, avec la névrose, le champ psychopathologique, à un «psychotique» qui vient décrire un phénomène clinique plus ou moins évident, il y cependant un pas. Les classifica- tions modernes ont renoncé à ce postulat théorique d’une structure sous-jacente; les cliniciens s’y tien- nent encore pour bon nombre d’entre eux. A l’heure où la psychose disparaît comme point de repère noso- logique fondamental, les notions se font toujours plus floues. Aussi le moment est-il peut-être bien choisi d’un (dernier?) «retour à Freud», qui permettra de dégager comment (1) il élabore la question du rapport au réel et de l’épreuve de réalité et (2) il développe une théorie de la psychose. Nous essaierons enfin de pro- poser quelques points où ces deux réflexions se rejoi- gnent. On saura alors de quoi la psychose freudienne était faite, avant d’être reprise par les auteurs et clini- ciens qui ont succédé à Freud, et de se perdre dans autant de conceptions diverses, tout en s’enrichissant de leurs contradictions – pour disparaître peut-être, en raison de ces mêmes contradictions. PSYCHOSE ET RÉALITÉ CHEZ FREUD: DEUX APPROCHES D’une part, Freud propose une théorie du dévelop- pement précoce normal, en particulier de la différen- tiation soi/non-soi. Il postule un principe de réalité et construit la notion d’une épreuve de réalité. L’enjeu ici est de comprendre comment s’effectue la distinction entre les perceptions et les souvenirs, entre ce qui vient de l’extérieur et ce qui relève de la vie psychique intime, de décrire l’appareillage subjectif permettant l’adaptation aux exigences du réel. D’autre part, à par- tir du fait pathologique de la psychose, Freud en vient à saisir le rapport au monde dans sa dimension écono- mique, libidinale, autant dire amoureuse; l’intérêt se porte sur l’investissement de l’autre: il ne s’agit plus de savoir comment le sujet se distingue de son environne- ment, mais bien quelle est la nature de son rapport au réel qui l’entoure. Nous abordons successivement ces deux approches, qu’il convient de distinguer. L’ÉPREUVE DE RÉALITÉ: UNE TOPIQUE DU RÉEL En 1900, dans L’interprétation des rêves, Freud mentionne pour la première fois une épreuve par la réalité. Il donne l’exemple d’un enfant affamé. Au début de sa vie psychique, l’enfant peut directement réinvestir le souvenir d’une satisfaction antérieure, c’est-à-dire trouver en lui-même la source d’une satis- faction hallucinatoire immédiate. Par la suite, il devra apprendre à supporter la frustration, en faire la «dure expérience vitale», en s’appuyant sur un système d’in- hibition, un frein au réinvestissement régressif, qui permettra d’obtenir une satisfaction de l’extérieur: c’est là uploads/Philosophie/ psys-052-0109.pdf

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