Malik Djaffar Université Libre de Bruxelles Faculté de Philosophie et Lettres S

Malik Djaffar Université Libre de Bruxelles Faculté de Philosophie et Lettres Section Langues et Littératures classiques 1e Bachelier Séminaire d’explication de termes philosophiques grecs et latins Coordinateur : M. Lambros COULOUBARITSIS Responsable séminaire : Mlle Sophie KLIMIS Exposé de la notion d’éternité chez Boèce Terme de référence : É. ALLIEZ, « Aiôn » in Vocabulaire Européen des Philosophies, éd. B. CASSIN, Seuil, Paris, 2004 Texte de référence : J.-Y. GUILLAUMIN, Boèce. La consolation de philosophie. Texte traduit et annoté par J.-Y. G., Les Belles Lettres, coll. « La Roue à Livres », Paris, 2002 Année académique 2005-2006 Introduction générale Présentation du sujet Lorsque Alice ayant bu le thé, et consommé délicatement les sucreries offertes par ses hôtes, s’excusa de n’avoir « plus le temps » pour participer aux convivialités, le lapin fou s’exclama, les yeux possédés, les membres raidis : « le temps ! le temps ! qu’est-ce que le temps ? ». Et cette interrogation le mena droit à la démence. Le temps est un mystère, et un mystère bien gardé. Aujourd’hui encore les esprits les plus rompus aux spéculations les plus ardues cherchent vainement à étreindre cet insaisissable élément de l’existence. La physique quantique elle-même, forme des plus éminentes de la science d’aujourd’hui – ou reconnue telle – a produit tels concepts de l’espace-temps, et tant distordu notre appréhension du réel, que l’esprit de maint penseur demeure béat devant ce trou noir spéculatif. En effet, quoi de plus absurde pour le bon sens que de penser, par exemple, que deux objets se mouvant à la célérité de la lumière, s’ils se croisent, leur vitesse relative l’un par rapport à l’autre, au lieu d’être le double C, sera égale à C (C = vitesse de la lumière). Ou comment concevoir que la vitesse de nos déplacement affecte à la fois notre perception du temps et notre relation à lui ? Et encore, il s’agit là d’exemples banals repris à l’envi dans n’importe quelle revue de vulgarisation. L’on n’a pas mentionné les « trous de vers », les « trous noirs » et autres conceptions hallucinantes portant sur la structure de l’Univers que les derniers « savants- fous » ont émis depuis leurs observatoires1. Précisions liminaires Loin de nous cependant la pensée de nous aventurer dans les méandres des hypothèses et des conceptions les plus hardies – nous n’en avons ni la capacité ni le désir, et ce n’est ni le lieu ni l’occasion ; si nous avons mentionné ces quelques éléments, c’est afin de justifier l’intérêt qui nous a porté vers la notion d’ « aiôn », et d’expliquer que, en nous plaçant sous la tutelle bienveillante de quelque esprit supérieur, nous espérions suivre ses pas dans ses explorations, afin de quérir quelque lointain écho du frisson de l’aventure dans les contrées les plus inhospitalières de la pensée. Et cet « esprit supérieur », ce guide tutélaire dont nous espérons que nous ne déformerons point trop la pensée dans l’exercice périlleux – pour le débutant en tout cas – du commentaire philosophique, est Boèce. Boèce, par une heureuse affinité de terme et de thème, qui nous a été échu par Dame Fortune, celle-là même vers qui s’élèveront les premières complaintes de la consolatio. Après saint Augustin, il était celui qui s’offrait à nous le plus 1 Cf. K. THORNE, Trous noirs et distorsions du temps, traduit de l’anglais par A. BOUQUET et J. KAPLAN, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1997 2 naturellement : d’abord parce que nous étions attiré vers la conception chrétienne du temps, qui annonce et préfigure sous bien des aspects la conception moderne, et qui à l’époque entraîna une véritable « révolution » dans la conception de soi de l’Esprit2, ensuite parce qu’il nous fallait demeurer dans le cadre historique de l’antiquité, même si la magnanimité de notre chère titulaire nous avait laissé entrevoir la possibilité de chercher au-delà. De son œuvre, le De consolatione philosophiae, outre sa mention dans l’article nous concernant, nous suscita un vif intérêt, puisque il apparaît du point de vue théorique comme une manière d’isthme entre deux modes de penser : en effet c’est à la philosophie, en tant qu’activité rationnelle de l’esprit et telle qu’elle était traditionnellement entendue par les païens, que s’adresse le Boèce désespérant en fin d’existence, et non directement à Jésus – ce qui à première vue pourrait étonner. Le langage et les raisonnements tiennent aussi de la philosophie « profane » mais, comme nous le verrons, le christianisme de l’œuvre est pour ainsi dire « latent ». Philosophie n’est pas loin d’être identifiée au Verbe de Dieu, éternelle Sagesse incréée, à laquelle ont eu affaire, sans en avoir conscience, les philosophes païens. De surcroît il est tout empreint d’une tension existentielle, qui tient au contexte de rédaction, et qui confère à la pensée qu’on y trouve une portée autrement plus profonde que les spéculations abstraites de personnes jouissant de l’otium : le temps et l’éternité ne sont pas en soi, ils sont le temps et l’éternité qui s’imposent à Boèce voyant la mort approcher, et sont intimement liés au sentiment du salut de son âme. Afin de nous assister dans l’appréhension de sa pensée, outre la lecture de l’introduction à son œuvre dans l’édition que nous avons consulté, et le chapitre concernant Boèce dans La philosophie au Moyen-Âge d’Etienne Gilson, nous avons fait appel à un auteur ou un ouvrage à première vue quelque peu excentrique : Jean Guitton, Le temps et l’éternité chez Plotin et saint Augustin. Nous avons parcouru un peu la bibliothèque en quête d²un ouvrage qui traiterait précisément de la conception de l’éternité chez Boèce, et en dépit d’articles de qualité sur le sujet, c’est lui qui a emporté notre adhésion. Ce pour diverses raison, notamment le fait qu’il se penche sur le passage de la pensée païenne à la pensée chrétienne par l’intermédiaire de deux de leurs plus éminents représentants, et par conséquent qu’il dispose pour notre regard une perspective diachronique, particulièrement intéressante en ce que ce travail suppose une idée de « l’évolution » des concepts. Boèce d’ailleurs revendique explicitement sa filiation intellectuelle à saint Augustin. Il nous a aussi fournit un modèle et un cadre pour approcher ce sujet délicat des rapports du temps et de l’éternité. Enfin, il nous a semblé plus recommandable d’en référer à un interprète confirmé de la pensée chrétienne, en l’occurrence Jean Guitton, plutôt qu’à quelque obscur académicien, étranger aux profondeurs du mystère de la Croix, et de ce fait à l’esprit de la philosophie chrétienne toute entière. Méthode et présupposés Par souci de probité intellectuelle et de clarté méthodologique, et afin qu’on ne s’effarouche point de ce que surgiront peut-être, au fil du commentaire, des formules dénotant quelque « parti pris », nous présenterons notre « position » philosophique, sans tenter de la justifier, car cela sortirait du 2 Nous voulons indiquer par là l’irruption dans le champ de la pensée occidentale des notions telles que le « salut », la « création », la « personne », le « Jugement » qui, si elles pouvaient avoir eu des précédents, n’en étaient pas moins profondément remodelée par ce phénomène crucial (c’est le cas de le dire) de l’Incarnation. 3 cadre de la présente étude et en fin de compte serait chose vaine, puisqu’en dernière instance le postulat fondamental de toute philosophie est toujours plus ou moins arbitraire, en tout cas plus « existentiel » que « dialectique ». Car il se faut bien entendre. Aujourd’hui nul, hormis quelques nostalgiques de la « belle époque » positiviste, ne prétend plus atteindre à « l’objectivité », à l’effacement du sujet devant son objet. Ne serait-ce qu’en physique quantique – pour mentionner celle qui passe le plus souvent pour la science la plus « dure » – on a depuis longtemps laissé derrière soi, comme une vieux miroir trop usé, cette illusion de la transparence de l’observateur : les modèles mathématiques les plus élaborés sont le plus souvent des conjectures de l’imagination3. Et dans le domaine philosophique, l’école herméneutique a apporté d’indéniables éclaircissements à ce sujet. Texte, contexte, compréhension, explication, autant de notions qu’il nous est difficile d’écarter. Alors, en ce qui nous concerne, et sans le moins du monde affirmer cette position comme contraignante envers autrui, sachant que si le but est le même, les chemins sont multiples qui y mènent, nous préférons affirmer le primat de la subjectivité. Non en un sens relativiste ou anomique, ce qui conduirait à l’absurde, mais en tant que subjectivité informée et assumée, subjectivité consciente et cohérente. Nous pensons que le point où la conscience du sujet atteint une pleine et translucide connaissance d’elle-même coïncide avec celui où l’objet se révèle dans sa plus pure ipséité. Ainsi « l’objectivité » telle que nous la concevons serait, non pas l’effacement de la subjectivité, mais plutôt son dépassement, ou son accomplissement. Par ailleurs, nous sommes théiste, et c’est pourquoi nous éprouvons une affinité toute particulière avec les auteurs chrétiens. Affinité qu’on pourrait nous reprocher comme un obstacle à une appréhension uploads/Philosophie/ le-temps-et-l-x27-eternite-chez-boece.pdf

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