Pr. Lucien AYISSI Département de Philosophie Faculté des Arts, Lettres et Scien
Pr. Lucien AYISSI Département de Philosophie Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines Université de Yaoundé I B.P. 13280 Yaoundé-Cameroun Tél. : (237) 992 28 80 E-mail : layissi2000@yahoo.fr LE COGITO CARTÉSIEN FACE À L’HOMO CYBERTINETICUS Introduction Le face à face dans le cadre duquel nous allons analyser le rapport du cogito à l’homo cyberneticus n’a pas été envisagé par Descartes. Ce que ce philosophe français avait plutôt en vue, c’est la domination cosmique du cogito par son appropriation et sa maîtrise de la nature grâce à la science et à la technique. Mais, l’expression de cette volonté de domination du cogito sur un monde simplement machiné, a produit un effet pervers : la centralité et l’absoluité du cogito en tant que chose à la fois pensante et certaine semblent compromises depuis les années 1930. En effet, depuis la découverte de la cybernétique par Norbert Wiener sous la pression des nécessités militaires de la Seconde Guerre Mondiale et celle des machines à penser d’Alan Turing, le cogito apprend à ses dépens qu’il n’a plus le monopole de la pensée, car ce qui passait jusque-là pour son privilège est également reconnu aux machines. La « chose qui pense » n’a plus nécessairement pour référent le cogito. La référence à la pensée est désormais pluralisée, puisqu’il est établi que des machines sont elles aussi capables de penser. N’étant plus la seule « chose qui pense » dans la population des choses dont nous avons l’expérience, le cogito perd sa superbe de Jupiter de la connaissance, celle qui justifiait son arrogance parce qu’elle donnait à son être une exceptionnalité évidente. Reconnu comme la chose qui a la possibilité de connaître l’extériorité et de se connaître, le cogito pouvait se 1 targuer d’être supérieur aux autres choses avec lesquelles pourtant il avait en partage la même origine divine. Le problème que nous voulons résoudre, en marge de l’enthousiasme scientiste ou techniciste suspect de cybernétolâtrie et de ce nous pouvons appeler la cybernétophobie, c’est celui de la place du sujet dans le tout- cybernétique d’aujourd’hui. Que devient le sujet et la philosophie du sujet dans le cybernétisme actuel si la res cogitans n’a plus son privilège logique depuis l’apparition et l’émergence de la res cyberneticans ? I-LA QUIÉTUDE SOLIPSISTE DU COGITO DANS LE MONISME LOGIQUE DU SUJET CARTÉSIEN En établissant que le cogito n’est pas une machine, puisqu’il peut exister indépendamment de la structure mécanique du corps et qu’il n’est ni assignable à une localité spatiale ni confinable à un moment donné du temps, Descartes a, à travers son doute hyperbolique, poussé l’activité réflexive de l’esprit humain dans ses retranchements les plus solipsistes (Descartes, 1966 : 60 ; 1979 : 83- 85). Le pouvoir qu’a le cogito de déréaliser le corps, le monde, le temps ou le l’espace n’implique jamais ne lui fait courir aucun risque de s’irréaliser par le fait même, puisqu’il ne se résorbe jamais quand il lui arrive de feindre que les autres choses ne sont pas. C’est la preuve que le cogito est, dans la philosophie de Descartes, assurée d’une confortable quiétude solipsiste. Mais, le solipsisme dont il s’agit, et dans la quiétude logique duquel existe évidemment le cogito cartésien, ne consiste pas à affirmer le monisme ontologique de celui-ci, mais la possibilité exclusive qu’il a de penser, au point de douter de l’existence de toutes les autres réalités, avec la garantie que c’est la sienne seule qui survit à cette épreuve méthodologique cruciale. Le cogito, c’est, d’après Descartes, la chose la plus certaine parmi toutes celles qui existent. Descartes justifie la garantie de certitude du cogito par une preuve a priori et par une preuve a posteriori : par la 2 preuve a priori, il établit que le cogito existe par la nécessité de son essence, car en tant que chose essentiellement pensante, il ne peut pas ne pas exister certainement, étant donné qu’il ne peut pas penser sans être ni être sans penser. Fût-elle fausse ou erronée, la pensée qui définit essentiellement le cogito est toujours la preuve a priori de la certitude de cet être. Au moyen de la preuve a posteriori, Descartes démontre la certitude du cogito à partir de l’expérience. De l’expérience sensible de l’existence de la cire et des autres choses du monde extérieur, il suit qu’il est lui-même une chose certaine (Descartes, 1979 : 93-95). Bien plus, le fait qu’une puissance démoniaque use de son industrie pour abuser de lui, prouve a posteriori que l’être qui est la victime inconsciente des malices de ce « trompeur très puissant et très rusé » (Ibid. : 79) est une chose effectivement certaine. La garantie de certitude sur laquelle se fonde un son être explique le privilège qu’il a de douter. Ce privilège revient au cogito parce que lui seul peut, dans l’ordre des choses existantes ou susceptibles d’exister, soumettre le factuel ou l’empirique tout comme ses propres artifices logiques au doute méthodique dans la perspective de démarquer nettement le certain de l’incertain au terme de cette opération intellectuelle qui, comme l’indique le sous-titre du Discours de la méthode, consiste à « bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences ». La possibilité d’élever le contingent à la dignité du concept, de s’interroger sur la pertinence logique de ses propres artifices et de concevoir ce qui n’a pas d’existence factuelle au moyen des opérations intellectuelles dont le cogito possède exclusivement les règles et maîtrise particulièrement les modalités pratiques, est, chez Descartes, le privilège logique du sujet. La preuve de ce privilège se vérifie par la possibilité qu’a le cogito de tracer la voie de la connaissance et de s’investir dans une dynamique philosophique auto-réflexive destinée non seulement révoquer en doute l’existence de sa propre subjectivité (Descartes, 1966 : 60), celle des évidences des sens, des représentations de l’imagination (Descartes, 1979 : 103) et de l’altérité (Ibid. : 93), mais aussi à 3 accéder aux évidences intellectuelles en transcendant l’ordre des préventions communes et en évitant les jugements précipités. Dans cette épreuve suspensive du jugement au cours de laquelle le cogito donne la preuve magistrale qu’il est la seule chose qui puisse penser et qui participe, mieux que les autres, du divin (Descartes, 1963 : 73 et 78), sa pensée peut finalement s’hypertrophier, son doute peut considérablement s’emballer au point de l’amener à se figurer que ses propres spéculations intellectuelles peuvent être totalement erronées ou résulter des malices éventuelles d’un Dieu trompeur (Descartes, 1979 : 99) ou de l’industrie du Malin génie (Ibid. : 77). Comme nous l’avons déjà établi, si le cogito peut se payer le luxe intellectuel de soumettre ses propres pensées à l’épreuve sévère du doute méthodique, c’est parce qu’il a le pouvoir de conceptualiser l’hétérogène et, par conséquent, de le soustraire, par la pensée, à la loi inexorable du devenir. Si la cire peut, par exemple, se définir comme telle, malgré la nécessité délétère que le temps peut imposer à ses qualités secondes, c’est parce que le cogito peut, in abstracto, en avoir la raison formelle. Par le privilège qu’il a de penser, il peut même concevoir, en mathématique par exemple, ce qui, comme le triangle, n’est pas immédiatement donné (Descartes, 1966 : 62). C’est ce pouvoir exclusif de penser qui lui permet donc de s’élever à la dignité de sujet. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas d’une chose ordinaire, mais de celle qui peut s’affirmer comme un Je Pense et qui tient, dans l’ordre des substances, le milieu entre Dieu et la matière : il n’est pas Dieu bien qu’il participe du divin par sa lumière naturelle ; s’il se distingue des bêtes (Ibid. : 79) et des autres choses, c’est parce qu’il est capable de penser. La constitution axiomatique du cogito dont la régie des préceptes méthodologiques est, pour l’essentiel, assortie du devoir de soumettre tous nos jugements au principe de précaution intellectuelle, révèle non seulement sa possibilité de douter, mais aussi celle de résilier le doute grâce aux certitudes apodictiques qu’il est en mesure d’atteindre, sous la bienveillance théorique de 4 Dieu, « la souveraine source de vérité » (Descartes, 1979 : 75), qui l’a doté du privilège de penser. La possibilité exclusive de douter ou de résilier finalement le doute par des certitudes qui lui résistent absolument et qui, par le fait même, l’achèvent définitivement, est le propre du cogito cartésien parce que la pensée est, à proprement parler, sa constitution ontologique. C’est pour cela que, relativement à toutes les choses qui existent, Descartes proclame le monisme logique du cogito parce que ce dernier peut non seulement les arraisonner par la pensée, mais aussi se constituer comme objet de pensée. La thèse constitutionnelle de la pensée, celle qui définit l’essence du cogito, permet de comprendre non seulement pourquoi la pensée est son propre, mais aussi pourquoi il ne peut pas, sans risquer d’aliéner la personnalité de son être, avoir cette propriété essentielle en partage avec les autres choses. C’est cela qui ressort de la définition que Descartes donne au mot penser dans l’Article 9 des Principes uploads/Philosophie/ le-cogito-cartesien-face-a-l-x27-homo-cyberneticus.pdf
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- Publié le Oct 05, 2021
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