Séance du 6 avril 1922 LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ M. X. Léon. – La date du 6 a

Séance du 6 avril 1922 LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ M. X. Léon. – La date du 6 avril 1922 fera époque dans les Annales de notre Société et c'est pour elle un honneur dont elle sent tout le prix que la présence du génial auteur de la théorie de la relativité restreinte et généralisée. Un des fondateurs les plus éminents de la Société française de Philosophie, notre très regretté maître Émile Boutroux, rappelait encore en 1920, à l'Académie des Sciences morales et politiques, «qu'elle avait constamment, depuis son origine, cherché à rapprocher en de fréquentes et familières réunions, non seulement les philosophes et les amis de la philosophie, mais, comme dans la Revue de Métaphysique et de Morale, les savants et les philosophes». Jamais elle n'aura eu à s'en féliciter davantage. Et s'il est vrai, comme l'ajoutait M. Boutroux, que, dans ces entretiens, «il n'est pas rare qu'un penseur dévoile, plus que dans ses écrits étudiés, ses principes intimes et ses véritables idées directrices», jamais l'existence de notre Société n'aura reçu plus éclatante consécration. J'aurais donc scrupule à retarder le moment où vous allez entendre la parole du grand penseur dont Langevin a dit si justement qu'il «nous avait ouvert une fenêtre nouvelle sur l'éternité», si je ne considérais comme un devoir d'exprimer à M. Einstein, au nom des membres de cette Société, notre profonde gratitude pour la simplicité avec laquelle il a accepté de venir s'entretenir avec nous. Qu'il me permette de lui dire : il n'est pas un étranger pour les savants et les philosophes qui sont ici. C'est au début de 1911 que notre collègue Winter publiait son livre sur La méthode dans la philosophie des mathématiques, où il signalait le premier au public philosophique l'importance et la profondeur des vues de M. Einstein. Au mois d'avril de la même année, lors de la session du 4e Congrès international, à Bologne, Langevin, avec son admirable maîtrise, révélait, dans un premier exposé oral, aux philosophes étonnés mais singulièrement captivés, les mystères de la relativité restreinte ; en octobre, apôtre du nouvel Évangile, il reprenait, sous une forme un peu différente, l'exposition des découvertes de M. Einstein devant les membres de la Société française de Philosophie. Et hier encore, à cette session extraordinaire où avait été convié M. Einstein et où ce fut pour tous les assistants une grande déception qu'il ne pût y venir, la séance la plus mémorable a sans doute été celle où Miss Wrinch, 350 Philosophie des sciences Enriques, Langevin, Painlevé ont abordé la question des formes les plus récentes de la théorie de la relativité. Aujourd'hui nous nous félicitons de reprendre la discussion en présence du monstre lui-même ; pourtant un regret nous étreint le cœur. La Société française de philosophie comptait parmi ses membres fondateurs un autre savant de génie : il s'appelait Henri Poincaré. Or vous savez le rôle capital que joua Poincaré dans la création de ce qu'on a appelé la mécanique nouvelle, en montrant la part de convention qui existait dans la mécanique classique et en introduisant certaines notions fécondes, par exemple la quantité de mouvement électro-magnétique ou la pression appelée «pression de Poincaré». Mieux encore, dans ses Leçons sur l'électricité et l'optique, publiées, il y a plus de vingt ans, en 1901, Henri Poincaré examinait les théories de Hertz, de Helmholtz, de Larmor, de J.-J. Thompson, de Lorentz, et ses préférences allaient aux conceptions du célèbre physicien hollandais. Parlant notamment de l'expérience de Michelson, il écrivait ces lignes vraiment prophétiques : «Je regarde comme très probable que les phénomènes optiques ne dépendent que des mouvements relatifs des corps matériels et cela non pas aux quantités près de l'ordre du carré ou du cube de l'aberration, mais rigoureusement. À mesure que les expériences deviendront plus exactes, ce principe sera vérifié avec plus de précision. Une théorie bien faite devrait permettre de démontrer le principe d'un seul coup dans toute sa rigueur. La théorie de Lorentz ne le fait pas encore. De toutes celles qui ont été proposées, c'est celle qui est le plus près de le faire.» La solution attendue par Poincaré, M. Einstein l'a apportée dans son mémoire de 1905 sur la relativité restreinte ; il a accompli la révolution que Poincaré avait entrevue et présentée à un moment où le développement de la physique semblait conduire à une impasse. Quel spectacle c'eût été que la rencontre aujourd'hui, en cette enceinte, de ces deux créateurs de mondes, fils de pays différents, et quelle lumière en eût pu jaillir pour cette recherche de la vérité qui, par-delà les bornes des frontières, affirme l'universalité de l'esprit humain et réalise le consentement de toutes les intelligences ! M. Langevin. – La théorie de la Relativité est avant tout une théorie physique ; elle part des faits connus et aboutit à la prévision de faits nouveaux ; elle est essentiellement expérimentale. Née des contradictions qui s'élevaient entre la théorie électromagnétique et la mécanique, elle est la seule qui rende compte des faits connus, et qui permette d'en prévoir d'autres. La théorie n'est pas seulement III. Physique : 13. Einstein (6 avril 1922) 351 expérimentale par son origine, elle l'est encore par sa méthode ; elle n'introduit comme éléments abstraits de la physique que des grandeurs observables, fournies par l'expérience ; et elle repousse tout absolu arbitraire. Pour ces raisons, il a bien fallu renoncer à la classification des connaissances humaines proposée par A. Comte. Comte mettait à la base de nos concepts immédiats un espace et un temps absolus sur lesquels il édifiait la mécanique, la physique, les sciences physico- chimiques et leurs conséquences biologiques ; pour lui la Physique avait essentiellement pour théâtre l'espace euclidien où régnait un temps absolu. La conception nouvelle est tout autre : c'est une fusion de la géométrie et de la physique rendant impossible l'existence d'un temps et d'un espace absolus. Cette notion d'un espace et d'un temps indépendants l'un de l'autre conduisait à des conséquences paradoxales quand on voulait donner à la notion de simultanéité une signification expérimentale précise, valable à la fois pour tous les observateurs, quels que soient leurs mouvements les uns par rapport aux autres. La théorie de la Relativité restreinte repose sur deux axiomes fondamentaux : le principe de relativité et le principe de la constance de la vitesse de la lumière. Selon le premier principe, les équations traduisant les lois qui régissent les phénomènes doivent avoir la même forme pour tous les systèmes d'inertie en translation uniforme les uns par rapport aux autres ; ce principe fondé sur l'expérience s'est toujours trouvé confirmé dans tous les domaines de la physique. L'isotropie de la vitesse de la lumière, autrement dit la constance de c quand on passe d'un système galiléen à un autre, est une conséquence de ces lois de l'électromagnétisme que personne ne peut raisonnablement songer à contester, et se trouve directement vérifiée par des expériences du genre de celle de Michelson. Dans la nouvelle cinématique le temps a perdu son caractère absolu ; chaque système d'inertie a son temps particulier ; la notion de simultanéité d'événements éloignés les uns des autres perd toute signification ; du reste, le principe de causalité ne subit aucune atteinte si l'on admet qu'il n'existe aucune influence capable de se propager avec une vitesse supérieure à la vitesse fondamentale c. Mais la théorie de la Relativité généralisée va plus loin et la philosophie n'est pas étrangère à son développement ; c'est elle qui a conduit Einstein à penser que la réalité n'avait que faire de systèmes de référence, que les lois de la nature pouvaient revêtir une forme où ces systèmes de référence n'interviendraient pas, autrement dit une forme invariante pour les changements de coordonnées. Or, si l'on y réfléchit bien, notre seule connaissance du monde extérieur repose sur 352 Philosophie des sciences l'observation de coïncidences absolues, ayant chacune un sens indépendant de tout système de coordonnées et le déterminisme exige que le cours des phénomènes ne soit autre chose qu'une succession de semblables coïncidences s'enchaînant les unes avec les autres ; les lois qui traduisent cet enchaînement doivent nécessairement pouvoir revêtir une forme invariante. Pour la Relativité restreinte chaque système d'inertie avait son temps particulier. Dans la Relativité généralisée, au contraire, les systèmes d'inertie disparaissent et cette disparition entraîne l'impossibilité d'existence d'un temps commun à tout un système de référence. Seule subsiste la notion de temps propre mesuré par l'arc de la trajectoire d'univers que décrit un point matériel déterminé ; mais il n'est pas possible d'établir d'une manière univoque des relations entre les temps propres des différents points matériels ou, ce qui revient au même, parmi les quatre coordonnées qui définissent la situation d'un événement dans un certain système de référence, on ne peut plus dire que l'une d'elles représente le temps. La notion de causalité devient délicate et elle a fait l'objet d'une discussion profonde de la part d'Hilbert. Hilbert, en mathématicien, a cherché comment on devait particulariser le choix du système de coordonnées pour qu'une des variables puisse jouer le uploads/Philosophie/ la-theorie-de-la-relativite-d-x27-einstein-a-la-societe-francaise-de-philosophie.pdf

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