Philonsorbonne 10 (2016) Année 2015-2016 ......................................
Philonsorbonne 10 (2016) Année 2015-2016 ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Ángela Beatriz ÁVALOS SOTO La personne et ses modes chez Pierre Abélard ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Ángela Beatriz ÁVALOS SOTO, « La personne et ses modes chez Pierre Abélard », Philonsorbonne [En ligne], 10 | 2016, mis en ligne le 19 janvier 2016, consulté le 21 janvier 2016. URL : http://philonsorbonne.revues.org/767 Éditeur : École doctorale de philosophie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne http://philonsorbonne.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://philonsorbonne.revues.org/767 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © T ous droits réservés 9/168 La personne et ses modes chez Pierre Abélard Ángela Beatriz ÁVALOS SOTO Tribus itaque seu quatuor modis ac pluribus fortassis hoc nomen ‘persona’ sumitur, aliter uidelicet a theologis, aliter a grammaticis, aliter a rhetoricis uel in comoediis, ut supra determinatum est1. La « personne » est une notion plurielle, valable pour le théologien comme pour le grammairien, le rhéteur ou le comédien. De cette citation extraite de la Theologia Christiana d’Abélard surgissent les interrogations suivantes : comment comprendre une telle extension de la persona ? Quel sens le mot revêt-il dans ces diverses occurrences ? Y a-t-il pour le justifier un dénominateur commun aux différents « agents » concernés, ou n’est-ce qu’une pure homonymie ? Enfin, la figure du comédien s’identifie-t-elle à celle du rhéteur ? Pour qui veut répondre avec cohérence, il importe de repérer l’ordre dans lequel les différentes acceptions sont ici présentées. À suivre la phrase, la « personne » est une notion qui concerne d’abord le théologien, puis le grammairien, enfin le rhéteur et le comédien. Ce n’est pas dû au hasard ; cette hiérarchie correspond assez fidèlement à l’architecture globale de la pensée d’Abélard tandis qu’il écrit la Theologia Christiana, contemporaine de son De Intellectibus. La théologie, en effet, comprend les arts du langage, et dans les arts du langage, la grammaire domine la rhétorique, puis la comédie. De façon primordiale, par conséquent, c’est-à-dire dans ses 1. P. Abélard, Theologia Christiana (= TC), III, in Petri Abaelardi Opera Theologica, vol. II, éd. E. Buytaert, Turnhout, Brepols, 1969, p. 181 : « Ce nom de “personne” se prend donc de trois ou quatre façons – et peut-être davantage : d’une certaine façon par les théologiens, d’une autre par les grammairiens, et d’une autre encore par les rhéteurs, ou dans les comédies, ainsi qu’on l’a montré plus haut » (nous traduisons). Philonsorbonne n° 10/Année 2015-16 10/168 fondements comme dans son sens ultime, la persona est une notion théologique, au service d’une exégèse du mystère trinitaire – et c’est la théologie, du reste, telle qu’Abélard la conçoit (à savoir plus comme une rencontre entre le logos et le Mystère que comme un discours sur Dieu) qui enveloppe toute sa pensée, jusqu’à déclencher les polémiques intellectuelles dont il fera l’objet. C’est de là, donc, que nous partirons dans cet article pour tâcher d’élucider chez lui cette déclinaison de la « personne ». Nous en partirons comme d’un point focal à partir duquel nous irons chercher les autres acceptions (sans que cela dénie aux autres emplois une consistance propre). Notre but, par conséquent, sera à la fois d’examiner ce que chacun de ces emplois de persona signifie et de les situer dans la philosophie abélardienne tout entière : une philosophie, écrit J. Jolivet, dans le langage, et non pas du langage, c’est-à-dire une pensée qui certes débute et se développe dans et par le langage, mais sans cesser de viser – pour y trouver son sens – une fin qui le dépasse, à savoir la morale, et plus précisément : une théologie morale à forte teneur intellectuelle2. La question de la Personne Trinitaire : personne théologique et langage « Or il advint que je m’occupai d’abord de traiter du fondement même de notre foi en usant des similitudes de la raison humaine, et que je composais un traité de théologie sur l’Unité et la Trinité divines, à l’intention de mes étudiants. Ceux-ci exigeaient des raisons humaines et philosophiques, et réclamaient sans cesse ce qui peut se comprendre, de préférence à ce qui peut se dire : ils disaient en effet qu’un énoncé verbal que la compréhension ne suivrait pas, serait inutile, qu’on ne peut croire ce qu’on n’a pas compris au préalable, et qu’on se rendrait ridicule à prêcher aux autres ce qu’on ne pourrait saisir par l’entendement, pas plus que ceux qu’on enseignerait ; le Seigneur lui- même le prouve : des aveugles guideraient des aveugles »3. Dans son Historia Calamitatum, Abélard décrit le contexte dans lequel la Theologia Summi Boni (ou Tractatus) fut écrite. Il y raconte comment, sollicité par ses élèves, et animé par sa propre conviction de chrétien et de logicien, il décida de consacrer ses études et ses cours à la compréhension du mystère trinitaire traversé par la notion de persona. Son Tractatus commence par les questions suivantes : que signifie la distinction de trois Personnes dans une nature toujours identique à elle-même, et comment 2. J. Jolivet, Arts du Langage et Théologie, Vrin, Paris, 2000, p. 10. 3. P. Abélard, Historia Calamitatum (= HC), IX, in Id., Historia Calamitatum, éd. Monfrin, Paris, 1978, p. 82. La personne et ses modes chez Pierre Abélard 11/168 concilier l’unité de nature de la Divinité avec la triplicité des Personnes ?4 Autrement dit, comment l’indivisible peut-il être multiple, et quelle est la nature de cette multiplicité ? Ces questions, dans leur formulation même, dévoilent deux aspects fondamentaux de la pensée abélardienne : premièrement, une adhésion totale aux dogmes chrétiens pris comme des Vérités immaculées ; deuxièmement, le biais par lequel il s’en approchera. En posant la question de la signification de la distinction des Personnes, le philosophe entre à la fois dans le champ de la sémantique (signification) et dans celui de l’analytique (distinction) – ce qui préfigure la grammaire spéculative, la question de la Personne trinitaire devenant nécessairement une question théo-logique5. Lisons son argument : « un sceau de bronze ; il est à la fois un et triple : il est bronze selon la matière et sceau selon la forme ; le sceau procède du bronze et non l’inverse, comme le fils procède du Père et non l’inverse ; enfin, dans son action de sceller, le sceau scellant, tel l’Esprit Saint procédant du Père et du Fils, procède à la fois de la matière et de la forme, du bronze et du sceau en tant qu’instrument de scellement »6. Abélard explique ici par analogie ou similitudo (comme il l’avait avoué à ses élèves : « je m’occupai d’abord de traiter du fondement même de notre foi en usant des similitudes de la raison humaine ») les fondements de sa théorie des Personnes. Le sceau de bronze peut se concevoir sous différents rapports : bien qu’ayant une unité essentielle, l’objet « sceau de bronze » peut se penser selon sa forme, selon sa matière, et selon une matière formée pour quelque chose. Dans le même temps, un autre type de rapport a lieu, « le fait de procéder » : la matière est formalisée et la matière formalisée vient de la jonction de la matière et de la forme (jonction conçue comme un 4. P. Abélard, Theologia Summi Boni (= TSB), I, 1, in Petri Abaelardi Opera Theologica, vol. III, éd. E. Buytaert et C. Mews, Turnhout, Brepols, 1987, p. 86. 5. La logique ou discipline dialectique, le bon usage de la raison ou la distinction du vrai et de l’apparence, est la discipline qui nous permet de comprendre la Vérité : ainsi, la Personne du théologien nous renvoie nécessairement à la personne du dialecticien. La logique est le moyen dont nous disposons pour accéder aux mystères, voire ce qui nous ouvre à la théorisation de la question des Personnes trinitaires. La dialectique est l’outil nécessaire, une certaine condition de possibilité d’une pensée sur la Personne théologique. Non pas pour démontrer, mais pour défendre la foi, dirait Abélard ; non pas pour la connaître, mais pour la comprendre. Abélard, dans son Invective contre quelqu’un qui n’entendait rien à la dialectique, qui pourtant trouvait mauvais qu’on l’étudiât, et pensait que ses enseignements n’étaient que sophismes et tromperies (= Lettre XIII, in J. Jolivet, Abélard ou la Philosophie dans le Langage, Paris, Cerf, 1994, p. 150), dira : « sans elle <la dialectique>, il est impossible uploads/Philosophie/ la-personne-et-ses-modes-chez-pierre-abe.pdf
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- Publié le Jul 25, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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