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Tous droits réservés © Collège Édouard-Montpetit, 2004 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 7 mars 2021 07:59 Horizons philosophiques La notion de « destruction » chez le jeune Heidegger De « la critique historique » à la « destruction de l’ histoire de l’ ontologie » Servanne Jollivet Rencontres avec Heidegger Volume 14, numéro 2, printemps 2004 URI : https://id.erudit.org/iderudit/801265ar DOI : https://doi.org/10.7202/801265ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collège Édouard-Montpetit ISSN 1181-9227 (imprimé) 1920-2954 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Jollivet, S. (2004). La notion de « destruction » chez le jeune Heidegger : de « la critique historique » à la « destruction de l’histoire de l’ontologie ». Horizons philosophiques, 14 (2), 81–104. https://doi.org/10.7202/801265ar LA NOTION DE «DESTRUCTION» CHEZ LE JEUNE HEIDEGGER. DE «LA CRITIQUE HISTORIQUE» À LA «DESTRUCTION DE L'HISTOIRE DE L'ONTOLOGIE» De l'affirmation en 1919 du caractère nécessairement «destructif» de la phénoménologie à la tâche affirmée, presque dix ans plus tard, dans Être et Temps, d'une «destruction de l'histoire de l'ontologie», selon le titre du paragraphe 6 de l'introduction, la notion de destruc- tion ou de «désobstruction1» constitue non seulement un des principes fondamentaux de la méthode phénoménologique2, mais permet, à travers l'examen de sa mise en œuvre, d'entrevoir l'ampleur de ('«offensive» que constitue, philosophiquement, sa percée herméneutique. S'il est requis, pour la question de l'être elle-même, qu'elle acquiert pleine transparence sur sa propre histoire, il est alors besoin de ranimer la tradition endurcie et de la débarrasser des revêtements qu'elle a accumulés. C'est cette tâche que nous comprenons comme la destruction, accomplie selon le fil directeur de la question de l'être, du fonds traditionnel de l'on- tologie antique reconduit aux expériences originaires où les premières déterminations, désormais directrices, de l'être furent conquises3. Mettant en jeu la réappropriation par la philosophie de sa propre histoire, gage à la fois d'originarité et d'authenticité que garantit la démarche phénoménologique, la notion de «destruction», loin d'être inédite dans Être et Temps, constitue bien au contraire la première mise en œuvre herméneutique de la phénoménologie comprise comme refondation de la philosophie en «science originaire». Déjà présente dès les premiers cours de 1919-1920, la notion de destruc- tion, à travers celle de «critique» ou «déconstruction», répond en effet à la nécessité, particulièrement exacerbée en ce début de siècle, après l'ébranlement de la Première Guerre mondiale, d'une refonda- tion radicale de la philosophie et du dégagement du sol originaire auquel elle doit son surgissement. Une telle exigence de refondation offre ainsi d'emblée l'impulsion décisive pour une réappropriation HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 2004, VOL 14 NO 2 8 1 Servanne Jollivet herméneutique de la philosophie par elle-même et, en tant que mode spécifique d'auto-compréhension, de la vie facticielle en général. Dans une lettre adressée à K. Lôwith, Heidegger souligne ainsi lui-même la nécessité et l'urgence d'une «destruction» d'acquis culturels devenus surannés, ayant perdu tout sens face à une situation de crise extrême, tant sociale, économique, politique qu'intellectuelle, comme en témoigne le sentiment d'urgence partagé par la communauté universitaire durant l'entre-deux-guerres. «Détruire» ces acquis et risquer de provoquer l'effondrement d'une tradition qui semble par avance condamnée, c'est en effet lui assurer la possibilité d'une renaissance, d'une reviviscence et de l'ouverture à de nouvelles possibilités de déploiement. Au lieu de s'abandonner soi-même au besoin général d'être «cultivé», comme si nous avions reçu l'ordre de «sauver la cul- ture», il serait nécessaire de se convaincre soi-même ferme- ment, par le biais d'une réduction radicale et d'une désintégra- tion, par le biais d'une destruction, de la «seule chose» qui demeure nécessaire sans prêter attention à l'affairement et à l'agitation des hommes intelligents et entreprenants4. Cette «seule chose», que Husserl nommait déjà la «chose même» et à laquelle devait tendre la démarche philosophique, ne peut pour Heidegger que renvoyer, par-delà tout ébranlement culturel ou crise sociale, par-delà même sa propre historicité — qu'il dégagera progressivement — au caractère irréductible, absolument irrémissible qu'est ma propre expérience vécue, spécifiquement mienne et historiquement déterminée. C'est précisément, dans un premier temps, et dans la lignée de la seconde Considération inactuelle de Nietzsche5, cette vitalité de l'expérience propre qu'il s'agit de réactiver, par-delà une tradition sédimentée qui, rigidifiée, lui est peu à peu devenue étrangère. Telle est la tâche qui revient à ce que Heidegger nomme, tout d'abord, une «critique historique» de la tradition philosophique, com- prise comme «histoire de l'esprit» ou «histoire des idées» — avant de s'accomplir en 1927, et dans les cours de Marbourg qui précèdent, en «destruction de l'histoire de l'ontologie». S'il y a ainsi apparemment continuité de cette dimension «destructive» de la phénoménologie, il semble néanmoins que l'on puisse questionner certains déplacements et infléchissements décisifs que subit, jusqu'en 1927, le principe méthodologique fondamental qu'est l'opération de «destruction». 82 HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 2004, VOL 14 NO 2 La notion de «destruction» chez le jeune Heidegger. De «la critique historique» à la «destruction de l'histoire de l'ontologie» C'est cette évolution de la notion même de «destruction» que nous désirons ici brièvement retracer afin de mettre en lumière la radicalisation progressive du principe herméneutique — à travers la reconnaissance de sa propre historicité — radicalisation elle-même indissociable d'une radicalisation de l'opération de destruction qui, d'un principe méthodologique «critique» devient lui-même moteur et, en quelque sorte, l'instigateur, dès 1929, d'un «dépassement de la métaphysique» et d'un «nouveau commencement de la pensée». Le rôle de la destruction comme «critique historique» et l'accès aux «choses mêmes» comme sens originaire du vécu Le domaine originaire du vécu comme sol pour une possible refondation Le projet herméneutique naît donc tout d'abord de la visée radicale d'une refondation de la philosophie sur un sol originaire apte à garantir en son authenticité l'investigation phénoménologique. Contre le modèle d'une refondation ex nihilo, telle l'épreuve d'abstrac- tion également «destructrice» qu'est la tabula rasa cartésienne, ou encore la réduction husserlienne elle-même sise sur une epochê suspensive quant à la vie facticielle®, la notion de «destruction» ou «critique destructive» telle que la met en œuvre le jeune Heidegger vise au contraire à réinstaller la pensée dans le domaine originaire qu'est la vie facticielle vécue comme expérience propre. C'est en effet dans la vie, comprise en et par elle-même7— fût-ce sous la forme vitale dérivée de l'attitude phénoménologique — que peut être trouvé cet ancrage originaire et premier dans lequel s'enracine toute élaboration spirituelle ou culturelle, fondement qui ne sacrifie en rien par son originarité, ni à la reconnaissance de sa propre historicité, ni à sa propre exigence de scientificité et de rigueur8. Loin de prétendre la réduire à une saisie théorique qui ne ferait que réifier son mouvement propre, la phénoménologie se veut ainsi elle-même science originaire, science de l'origine tout en s'y maintenant. À cet égard, la phénoménologie n'a d'autre prétention que d'être elle-même cette modalité de la vie, singulièrement originaire, en laquelle la vie est susceptible de se réfléchir et de s'accomplir «en et pour soi». Elle n'est elle-même qu'un processus motivé qui lui-même s'ancre dans la vie selon un mode particulier, et dont «l'attitude fondamentale (est celle) de ce qui accompagne de façon vivante le sens véritable de la vie9». C'est l'affirmation d'une telle co-implication du philosopher et de la vie, par laquelle la pensée HORIZONS PHILOSOPHIQUES PRINTEMPS 2004, VOL 14 NO 2 8 3 Servanne Jollivet se voit réinscrite dans le surgissement vital qui lui est inhérent qui fait du premier cours de Fribourg, cours du Kriegsnotsemester 1919 une sorte de «cours-manifeste» où sont déjà posés les grands principes fondamentaux d'un questionnement originaire et archi-scientifique, questionnement philosophique radical qui «fait retour, par une nou- velle méthode rigoureuse, à l'origine10». D'un point de vue méthodologique, seule cette circularité — flagrante sous l'angle théorétique — entre le présupposé et l'objet d'investigation, peut ainsi elle-même servir d'indice aux «véritables problèmes philoso- phiques11», garante à la fois de la concrétude12 du questionnement et de son authenticité. Loin de n'être qu'un pur point de vue ou, au contraire, une pensée pure, surplombante et prétendument neutre, la philosophie apparaît en effet elle-même indissociable de ce qu'elle tente de penser. Il ne s'agit dès lors plus d'un «penser sur» mais bien d'un «penser avec». Mise en œuvre, la phénoménologie se pense toujours déjà avec ce qu'elle pense, et c'est dans ce retour sur elle- même — proprement herméneutique — qu'elle peut garantir à la philosophie une refondation véritablement originaire. Loin de s'appuyer sur une quelconque normativité idéale ou fondement transcendant, la phénoménologie vise ainsi au contraire à ouvrir — ou maintenir — la pensée dans la vie, telle qu'elle peut s'of- frir dans ses modalités signifiantes et expressives les plus courantes, à savoir dans l'horizon de sens13, la signifiance caractérisant le monde vécu. La uploads/Philosophie/ la-notion-de-destruction-chez-le-jeune-heidegger-servanne-jollivet-article.pdf
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- Publié le Jul 03, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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