Philippe BRETON, CNRS, Strasbourg "Usages et réception des médias" − Journée d'

Philippe BRETON, CNRS, Strasbourg "Usages et réception des médias" − Journée d'études du 26 mai 1998 Ecole Normale Supérieure de Fontenay/Saint−Cloud L'argumentation dans la communication (N.T.I.C.) Introduction Au moment où l'on assiste au retour de la rhétorique dans les sciences de la communication, il faut militer, selon Philippe Breton, pour la cause de la rhétorique elle−même, voire pour celle de son enseignement. La question que se posent les théories de l'argumentation, fil conducteur des débats autour de la rhétorique depuis l'Antiquité, est celle de l'auditoire, que recoupe actuellement la notion de réception. On pourra entendre sous "auditoire" ce terme, mais on ne l'utilisera pas ici. Le problème de l'auditoire est un très bon opérateur épistémologique pour comprendre l'évolution des théories de la rhétorique, dans une anthropologie du convaincre. Après avoir brièvement rappelé les étapes de l'histoire des théories de la rhétorique, on analysera plus particulièrement la question de l'auditoire dans le débat qui oppose les sophistes, Aristote et Platon, puis son statut aujourd'hui dans les théories de la communication, qui, au XXème siècle, actualisent et modernisent la rhétorique. Un corpus ancien et étendu Si l'on considère l'ensemble du corpus constitué par les théories de la rhétorique, on voit qu'il comprend d'une part les textes "officiels", proches d'une certaine forme d'académisme, comme ceux d'Aristote ou de Chaïm Perelman, et d'autre part ceux qui sont en dehors du réseau académique et universitaire, ouvrages que l'on peut acheter dans les gares, outils pour apprendre à convaincre, dans les domaines du commerce ou la publicité. Au milieu du Vème siècle avant notre ère, le savoir sur la rhétorique, déjà bien formé, que Roland Barthes appelle la "proto−rhétorique", se transmet jusqu'à Aristote, qui innove cependant autant dans la description de la rhétorique que dans son enseignement. Les grands traits de sa théorie, déployée dans la Rhétorique et dans les deux livres de la Poétique, marquent de façon stable l'Antiquité en s'étendant à la période latine où ils sont repris par Cicéron et l'auteur anonyme de La Rhétorique à Hérennius, puis tout au long du Moyen−Age. A la période classique, en France, la théorie d'Aristote est redécouverte, mais il s'agit d'une théorie déviante car à caractère plus littéraire, où l'important devient les figures du discours ou les traités des tropes, illustrée par Fontanier et Du Marsais. La perte de l'influence de la rhétorique est à rapprocher de sa disparition dans l'enseignement à la fin du XIXème siècle et du début du XXème ; ce n'est qu'à partir des annés soixante que l'on voit remonter L'argumentation dans la communication 1 l'intérêt pour cette discipline. Pour Roland Barthes, un de ses défenseurs, la rhétorique est moins argumentative que littéraire, contrairement à Chaïm Perelman qui, avec la Nouvelle Rhétorique inaugure une nouvelle et longue période de renouveau des théories de l'argumentation. Il faut également souligner ici l'importance de l'école anglo−saxonne. Le corpus des textes théoriques s'organise globalement autour de deux clivages, le premier entre la rhétorique de l'expression et l'art de convaincre. Historiquement, l'un a parfois pris le dessus sur l'autre : l'art de convaincre étant supérieur pendant longtemps, au forum et à la Cour, puis ce fut l'art de l'expression, et enfin aujourd'hui le retour à l'art de convaincre. Le deuxième clivage se situe entre argumenter (Note 1) et obtenir l'adhésion par d'autre voies, comme la séduction. Dans le choix d'un des deux termes de l'alternative se joue le statut de l'auditoire, enjeu important qui a été très peu étudié jusqu'à présent par les théoriciens de la rhétorique. On peut concevoir aujourd'hui la rhétorique non pas seulement comme la théorie de la production des idées ou du vraisemblable, mais comme un art de l'ordre de la conviction, ou plutôt comme l'art de convaincre de théories et d'idées formées ailleurs. Les théories de la rhétorique et la question de l'auditoire: rappel historique Dans les temps antiques, premiers temps de la mise en place de la rhétorique, le débat entre les sophistes, Platon et Aristote pose des questions encore actuelles sur le statut de l'auditoire. En 450 avant Jésus−Christ se développe l'enseignement de la rhétorique ; le débat autour de cette discipline se poursuit jusqu'en 330−320 avec Aristote. Le contexte est celui de la démocratie des cités grecques : si l'on suit les thèses de Jean−Pierre Vernant, on note l'importance de la valeur de la symétrie qui, créée par la démocratie, la crée. Cette symétrie est une notion centrale dans la question des rapports entre l'orateur et l'auditoire, on y reviendra. Si les théories développées s'opposent parfois de façon caricaturale, surtout celles de Platon et des sophistes, elles ne diffèrent que d'un point de vue philosophique : tous accordent en effet la même attention à la question de l'auditoire du ou des discours. Les sophistes, à qui l'on doit beaucoup malgré leur image déformée par Platon, sont en réalité selon Aristote des technologues de la rhétorique, professeurs qui forment les logographes et leur apprennent à bien parler pour convaincre. Ce sont eux qui, en méthodologues, ont reconnu et formalisé la nécessité de l'ordre pour le discours, devenu canonique, et les arguments−types, invention assez formidable. Il ne nous reste malheureusement plus trace de leurs premiers manuels. Intéressés par le langage peut−être plus que par la vérité, ils se posent cette question : qu'en faire pour convaincre ? Ils inventent également un certain type de discours, le discours épidictique, celui de l'éloge et du blâme, promis à une grande postérité. Quand Platon critique les sophistes, il les attaque moins sur leur approche de la rhétorique que sur le but qu'elle doit s'assigner : pour lui, parler sert non pas à convaincre mais à rechercher la vérité. La rhétorique platonicienne devient une rhétorique morale, voire moralisante. Dans ce débat ternaire, Aristote fait rupture : pour lui, l'acte de convaincre est un raisonnement et il fait du syllogisme philosophique un concept opératoire pour la rhétorique. Argumenter est donc pour Aristote mettre en oeuvre un raisonnement pour un auditoire particulier. Se L'argumentation dans la communication 2 dégageant par ailleurs de l'héritage de Platon, il nuance sa théorie en posant la séparation entre le vrai et le vraisemblable, le vrai relevant de la vérité et du général et le vraisemblable de ce qui se discute et du relatif. Aristote fonde ainsi une rhétorique, distincte de l'éthique, qui n'est pas non plus une instance de production des connaissances, mais un outil. En inventant une rhétorique proche de la dialectique, il met en place une méthodologie de production du vraisemblable, qui est "l'art de trouver ce qu'un cas donné a de persuasif" et de mettre en oeuvre cette persuasion. Les écarts théoriques et épistémologiques que l'on a pu relever ici disparaissent lorsque l'on aborde la question de l'auditoire, considérée par tous comme essentielle. Pour les sophistes, convaincre est parvenir à susciter les passions de son auditoire afin de le mettre en condition pour qu'il accepte la thèse proposée. L'auditoire est ainsi une cible à mettre en mouvement, étymologiquement à émouvoir. On peut ici dénoncer l'appel fait à la démagogie, mais on ne peut nier qu'entrent en jeu à la fois une certaine esthétique de la langue et de son maniement, ainsi que le principe de plaisir. Il s'agit de proposer un beau texte, composé d'une belle langue, qui plaît parce qu'il est beau. Platon reproche aux sophistes de ne pas approfondir leur connaissance de l'auditoire (qui est connaissance de l'autre et de ses passions) même s'il dénonce leurs abus. Dans le Phèdre, Platon analyse les âmes des hommes afin de relier le discours à la nature de chacune d'elle : il n'est pas à la recherche d'un accord universel, mais d'un accord avec un auditoire particulier. Dans le passage, connu, où Socrate dénonce l'écriture parce qu'elle provoque l'oubli, il met en avant un autre défaut de cet outil, qui est de ne s'adresser à aucun public en particulier. Cette tendance à l'universel est considéré par Socrate comme un rabaissement, voire une prostitution. Le même type de critique est fait aux logographes à qui Platon reproche de produire des discours qui ne sont pas adaptables à un public donné et qui ne tiennent pas compte du moment opportun, kairos qui apparaît lors du discours oral et entraîne une réaction et une adaptation vivantes, et parfois improvisées, de l'orateur. Platon et les sophistes accordent donc autant d'importance à la connaissance de l'auditoire, de son âme et de ses passions. Aristote prolonge les analyses de Platon sur les passions : elles forment la partie centrale de sa Rhétorique, classées par types, avec, en regard, les raisonnements à mettre en oeuvre et les enthymèmes à utiliser. Sa rhétorique constitue un véritable traité de psychologie sociale qui à tel auditoire propose tel argument et tel discours. Selon les âges, par exemple, l'orateur doit choisir un discours et un type de persuasion. Il est important de noter que chez Aristote l'auditoire est toujours un auditoire collectif, une catégorie d'individus qui forme un groupe. Une des innovations du philosophe, par rapport aux pratiques déjà anciennes de la rhétorique, est l'obligation pour l'orateur de ne pas uploads/Philosophie/ l-x27-argumentation-dans-la-communication-n-t-i-c.pdf

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