- 5 - 2. Théorie du développement moral chez Lawrence Kohlberg (5) Claudine Lel
- 5 - 2. Théorie du développement moral chez Lawrence Kohlberg (5) Claudine Leleux, Repenser l’éducation “civique”, Éd. du Cerf, 1997, coll. “Humanités”. (6) Voir notamment : Jean Piaget, Le juge- ment moral chez l’enfant, PUF, 1932 ; L’Édu- cation morale à l’école. De l’éducation du citoyen à l’éducation internationale, Éd. Anthropos, 1997 et Le développement mental Lawrence Kohlberg et son équipe pour- suivent et affinent les travaux de Piaget (6) et mettent à jour une théorie du déve- loppement moral. de l’enfant (1940) dans Six Études de Psycho- logie, folio essais, 1964, n°71, pp.11-101. Cet article offre l’avantage de comparer les six stades de développement cognitif et affec- tif chez l’enfant et l’adolescent, de même qu’une mise en parallèle du développement ontogénétique et phylogénétique. Extrait de Claudine LELEUX, Réflexions d'un professeur de morale. Recueil d'articles 1993-1994, Bruxelles, Démopédie (web.wanadoo.be/editions.demopedie), 1997. de la théorie de Kohlberg - 7 - apports et critiques - 6 - sibilités) sous une forme normative, pour lequel il n’y a pas de “bonne solution”. Pour Kohlberg, ce qui va dès lors être déterminant pour l’évolution morale n’est pas l’issue choisie pour sortir du dilemme (ce que Kohlberg appelle le contenu) mais, la structure, la façon de raisonner au sujet d’un dilemme moral. Exemple classique de dilemme : Le dilemme moral de Heinz La femme de Heinz est très malade. Elle peut mourir d’un instant à l’autre si elle ne prend pas un médicament X. Celui-ci est hors de prix et Heinz ne peut le payer. Il se rend néanmoins chez le pharmacien et lui demande le médicament, ne fût-ce qu’à crédit. Le pharmacien refuse. Que devrait faire Heinz ? Laisser mourir sa femme ou voler le médicament ? On peut choisir une même issue au di- lemme pour des raisons différentes. Ainsi, par exemple, pour reprendre les raisons que des enfants ont réellement invoquées : « Heinz doit voler le pharmacien pour éviter que sa femme ne meure et qu’il n’ait plus personne pour lui faire à man- ger » ou « Heinz doit laisser mourir sa femme pour éviter que les gendarmes ne le mettent en prison ». Sur base des justifications invoquées par les sujets de l’expérience, Kohlberg éla- bore sa théorie du développement moral en trois niveaux et six stades moraux. Kohlberg, par la suite, a élaboré un stade Mystique (stade 7), est revenu sur sa conception du stade 6 et a décrit les caractéristiques d’un stade 4 1/2. Ces mo- difications successives me semblent être le produit des limites de la mise à jour du développement moral par l’expérience et l’enquête scientifiques. Elles ne peuvent prendre un sens que dans le cadre d’une réflexion philosophique. J’y reviendrai plus loin et me borne pour l’instant à présenter cette « logique du développe- ment ». 2.2. La théorie du développement moral (Voir annexe 1 sur les stades moraux et annexes 2 et 3 pour les commentaires de Kohlberg à la fin de cet article). I. Niveau préconventionnel 1. Obéir pour éviter la punition (quelle que soit la règle) 2. Faire valoir son intérêt égocentrique (même si occasionnellement l’autre en profite) II. Niveau conventionnel 3. Satisfaire aux attentes du milieu 4. Répondre aux règles sociales (ordre social et lois) III. Niveau postconventionnel 5. Principes du contrat social (les droits fondamentaux et les contrats légaux d’une société démocratique même s’ils entrent en conflit avec les règles d’un groupe) et droits à la Vie et à la Liberté 2.1. Présupposés Avant de développer la théorie, il faut faire remarquer que le psychologue du développement qu’est Kohlberg a dû né- cessairement se poser la question des conditions d’observation de ce dévelop- pement. La question n’est pas innocente. La poser revient à montrer que l’observation (em- pirique) mobilise des présupposés philo- sophiques que nous devons interroger. Je vois au moins deux préalables à cette observation : a) Que fallait-il observer ? b) Et comment mettre en branle une situation optimum pour cette observa- tion ? a) Que fallait-il observer ? Qui dit développement en effet, suppose l’arrêt de critères à même de mesurer une hypothétique évolution morale. Il est intéressant dès lors de mentionner les critères qui rendent pour Kohlberg le raisonnement « véritablement moral », à savoir : « Ces analyses renvoient aux caractéris- tiques d’un “point de vue moral”, suggé- rant que le raisonnement véritablement moral implique des caractéristiques tel- les que l’impartialité, la capacité d’uni- versaliser, la réversibilité et la recon- naissance des normes en usage. » (7). Il y a présupposé philosophique dans la mesure où cette définition du « raisonne- ment véritablement moral » est une défi- nition située ici et maintenant. L’Anti- quité grecque ne concevait pas le point de vue moral comme capable d’universali- ser puisque les hommes n’étaient pas conçus égaux en nature. Le christianisme concevait les normes édictées par Dieu et par l’Église ; il pouvait dès lors y avoir conflit entre les normes en usage et les normes révélées. Cette remarque introduit d’emblée la né- cessité, pour nous, de noter l’intérêt pé- dagogique de la théorie de Kohlberg tout en gardant présentes à l’esprit ses limites au-delà desquelles nous sommes conviés à une réflexion philosophique. b) Comment observer ? Pour mettre à jour la croissance morale, Kohlberg s’est servi des dilemmes mo- raux. À la différence d’un simple di- lemme entre plusieurs moyens ou entre différentes options selon des préférences individuelles, le dilemme moral me place devant le choix d’un jugement ou d’une action qui n’est pas sans conséquence pour autrui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne peut pas à proprement parler de stades moraux aux stades 1 et 2. Un dilemme moral est une situation, réelle ou fictive, dont l’issue pose un problème moral de choix restreint (entre deux pos- (7) Lawrence Kohlberg in Essays on Moral Development, vol. I, p.190 et sqq, cité par Jürgen Habermas (1983), Morale et Commu- nication. Conscience morale et activité communicationnelle , Trad. Christian Bouchindhomme, Éd. du Cerf, 1986, p.135. de la théorie de Kohlberg - 9 - apports et critiques - 8 - passage à un autre stade —, il faut qu’il y ait un changement d’ordre qualitatif et non quantitatif, il faut qu’il y ait restruc- turation de l’ancienne structure en un nouveau mode d’expression, c’est-à-dire une nouvelle expérience de vivre qui cor- respond à une nouvelle organisation psy- chique » (9). c) Selon Jacques Lalanne (10), « les per- sonnes sont généralement cohérentes, c’est-à-dire prennent la moitié de leurs décisions à un stade précis et un quart à chacun des stades adjacents [...]. La po- pulation adulte agit en général d’après les motifs du niveau conventionnel (troi- sième et quatrième stades). Et un faible pourcentage (20 à 25 %) parvient au stade postconventionnel, dont seulement 5 à 10 % au sixième stade. » d) Il existe une bonne corrélation entre le jugement moral et le comportement moral. Toutefois, « La difficulté de la situation, l’influence de l’environnement, l’affectif et les contenus émotifs des élé- ments de la situation, peuvent amener l’individu à agir “moins moralement” qu’il ne le juge. [...] À titre d’exemple, citons que 25% du stade 6 iront jusqu’à donner une décharge électrique à un innocent sous prétexte d’obéissance à un expérimentateur scientifique » (11). e) Il faut noter un parallélisme entre la maturité morale et l’âge (12). Toute- fois, « même si le développement logique doit précéder le développement moral, cela ne signifie pas qu’un progrès dans la pensée logique entraîne, ipso facto, un progrès dans le jugement moral. » (13). f) L’échange des justifications morales peut faire progresser un individu d’un stade (+1). Mais pas de deux. Cette croissance morale due à l’échange entraîne deux remarques : ⇒d’une part, la nécessité de ne pas isoler le fait moral mais d’adopter un point de vue de l’interaction c’est-à-dire le recours constant à l’échange de justifications entre les pairs. ⇒d’autre part, sur le plan didactique, l’inutilité de faire appel à des principes moraux pour justifier un point de vue moral chez les jeunes enfants. Par exemple, invoquer la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme contre le racisme (stade 6) est peu opérant chez un jeune enfant avec lequel il vaut mieux faire valoir l’empathie (dimension affective), le modèle et la conformité à l’attente (stade 3) ou à la loi (stade 4). Parce que généralement armé de profondes convictions, le professeur de morale peut être tenté en maintes (9) Ibid., p.11. (10) Jacques Lalanne, Le développement mo- ral cognitif chez Lawrence Kohlberg dans Entre-vues, 1990, n°7, p.17. (11) Michel Rainville, op. cit., p.61. (12) Sur ce point : voir Ibid., p.56. (13) Ibid., p.58 6. Principes éthiques universels de jus- tice (égalité des droits et respect des humains) valables pour toute l’huma- nité. Ce qui caractérise le stade moral, je l’ai dit, ce n’est pas le choix opéré mais le type d’argument invoqué. Ainsi, pour reprendre le dilemme clas- sique de Heinz, on pourrait recenser les justifications suivantes : Heinz doit laisser mourir sa femme Stade 1 : Parce que sinon les gendarmes vont le uploads/Philosophie/ kohlberg-e-tudi-ants.pdf
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- Publié le Dec 20, 2022
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