Jean Louis Blaquier, « Le dernier oxymore de Lacan : l’Autre qui n’existe pas »

Jean Louis Blaquier, « Le dernier oxymore de Lacan : l’Autre qui n’existe pas ». "Oh, mes amis, il n’y a pas d’ami" Aristote, Ethique à Nicomaque. "L’homme, cet animal capable de promettre" Nietzsche. Généalogie de la morale. "Aimer, c’est donner ce qu’on n'a pas" Socrate. Le Banquet & J. Lacan. Le T ransfert. Aucun monde humain, aucun sujet n’a jamais été possible sans la présence réelle des autres, et singulièrement, sans ce que le champ psychanalytique désigne le lieu de l’Autre. L’aliénation spécifique de l’humain aux lois du langage, de la parole, de l’ordre du signifiant antérieur et extérieur au sujet par quoi il se nomme, se reconnaît, se construit affrontant ainsi l’impossible à symboliser, le Réel, cerne du pulsionnel, du sexuel. T oute la littérature issue de l’expérience concentrationnaire gravite et témoigne autour d’un oxymore central et terrible:  l’Autre n’existe pas. Devant le paroxysme de l’arbitraire subjectif et pulsionnel d’un sujet libéré de l’Autre - l’Autre de la Loi biblique -"T u ne tueras point"- aucune parole, aucune promesse précisément, aucune responsabilité pour l’autre (Lévinas) n’est tenable. Dans sa postface du magistral roman de Michel T ournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, entièrement réservé à montrer et démontrer l’importance vitale d’autrui, Gilles Deleuze signe un néologisme pertinent celui d’"autruicide". Le meurtre d’autrui, index désormais psychanalytique de la perversion, concerne la responsabilité de toute question relative à la catégorie de l'Autre tant dans le champ philosophique que celui du Droit et de l’Éthique.  -Déconstructions de l’Autre. Bien des contemporains ont pensé le désastre nazi sous l’angle de la perversion ou de la psychose, soit une relation tragique à l’Autre: déni ou forclusion de la Loi, du Nom du Père. Primo Lévi a proposé une équivalence angoissante entre la cruelle réalité des exactions nazies et l’inexistence de Dieu. Le traitement philosophique, logique finalement, de la question d’autrui en sa dimension éthique, juridique puis, psychanalytique, est une des plaques tournantes particulièrement sensible de l’état des lieux de la pensée contemporaine puisqu’elle interroge le "lien social" (Durkheim) en sa plus grande radicalité, la relation psychanalytique mais aussi la vie à deux jusqu’à sa plus large extension, la notion de communauté de la famille à l’Etat, l’actuelle constitution d’un droit international effectif pour 1 un projet de paix perpétuel, horizon politique toujours déjà à venir, tâche infinie dira Kant. Afin de mieux saisir les enjeux réels de la fragmentation, de la déconstruction générale du lien social qui traverse toutes les modalités du rapport à autrui, nous examinerons quelques apports décisifs du parcours philosophique occidental: Kant, Hegel, Marx, Husserl, enfin sa reprise contemporaine, de Lévinas à la psychanalyse. De l’Autre qui existe (Dieu) à l’Autre qui n’existe pas (inconscient), découvrons à grands traits, le déploiement de l’histoire de la culture en quatre grandes scansions, quatre différents régimes de civilisations:  Antiquité: polythéisme puis, retrait des Dieux.  Moyen Age: émergence du monothéisme -Modernité - Post- Modernité -  L’époque de l’Autre qui n’existe pas.  Civilisations mortelles, foules solitaires, inexistence de l’Autre.  Antiquité: polythéisme puis, retrait des Dieux.   Avec Platon et Aristote incontestablement, la scène fondatrice de l'invention du discours philosophique prend se repères essentiels de l'attention portée au rapport à l'autre comme alter ego. L'amitié selon Aristote est précisément le miroir de cet autre moi-même, il est ce lien d'identification minimal, déjà amical et politique, par lequel, deux individus se supposent une égale dignité, une communauté graduelle d'identité d'intérêts et de désirs, se reconnaissant comme Même. La démocratie définit le citoyen comme sujet de droit, regroupant une série de semblables à soi puisque l'exclusion du différent, le métèque et, du tout Autre, l'esclave, établit paradoxalement la condition de possibilité d'une telle communauté de frères, d'égaux en droits. Aucun lien social, politique, fût-ce celui de la démocratie, ne peut faire l'économie d'une relation de maîtrise et de servitude. Le lien à l'autre en général suppose la vertu de la "juste mesure" notamment lorsque liens d'amour ou d'amitié mettent en scène un "deux originaire" qui, par définition, par l'espace du manque de l'Autre qu'il ouvre, fait objection à un idéal identitaire, de complétude, de complémentarité. Ni l'ami, ni l'amant ne peut prétendre incarner la moitié perdue supposant une totalité unaire et originaire. La relecture par Freud, puis par Lacan, des Anciens (Platon, Empédocle, Sophocle...) prend la mesure de l'impossible, du symptôme, "de ce qui ne va" au cœur du rapport à soi à deux (le couple) ou à plusieurs (la société) du fait même de l'Autre, maintenu comme existant, ou du Réel, indicible ou imparlable de la pulsion. Toute crise amoureuse engage une crise quasi-religieuse d'identité personnelle: la 2 croyance au "moi" est le support identificatoire imaginaire à l'autre. De Montaigne à Hume à la psychanalyse, le fameux "moi" justement doit abandonner tout idéal ou présomption de consistance: l'identité personnelle n'existe pas, son fond est toujours déjà intersubjectif, social. Dans l'interrogation platonicienne de l'amour (Le Banquet), ou celle plus politique d'Aristote sur l'amitié (Ethique à Nicomaque) le caractère problématique d'autrui reste le Référent, le topos, le lieu tiers d'une invention qui permet à la question de l'Un ou de l'Etre de se déployer comme quête du sens ou recherche du vrai au bénéfice d'un Semblant qui, face au Réel, n'est pas illusion pure. Au centre de notre propos, indiquons ceci: l'expérience amoureuse, forme privilégiée, somme toute récente mais immémoriale du lien à l'autre, définit un espace de rencontre entre deux sujets qui fait exception et objection à la notion juridique de dignité. Les Anciens ne rangeaient-ils pas l'amour sous la rubrique du comique et le plaisir sexuel incompatible avec la dignité ? Dans son commentaire du Banquet des philosophes, Lacan énonce sur le mode du tragi-comique le plus pur:  "Aimer, c'est donner ce qu'on a pas - à quelqu'un qui n'en veut pas". "En amour, soyez sûr que les sentiments sont toujours réciproques".  En fait, ce qu'enseigne la psychanalyse ne rompt pas, bien au contraire, avec l'ironie de Socrate, ce "maître subtil" selon Lacan, puisque ces deux affirmations fondamentales, sur la place de l'amour, gardent toute leur insondable rigueur au temps de l'Autre qui n'existe pas. Moyen Age: émergence du monothéisme, cette invention juive dont le christianisme et l'Islam procèdent.  La philosophie du Moyen Age reste suspendue à la question de l'Un, principe de T ranscendance identifiable à la question de l'Être pris comme Substance, comme Nom suprême mais imprononçable du Dieu de la Révélation, de la Thora. Du coup, la connaissance d'autrui revient au sujet sous la seule et simple forme du raisonnement analogique. Je ne peux connaître autrui que dans l'exacte mesure où il évoque mes propres états de conscience (Malebranche). La psychologie classique, dans le fond, ne dépasse pas ce que Lacan formalise (a-a') soit la relation d'identification imaginaire à l'autre.  - La question de l'Autre reste occultée comme schème symbolique et, condition logique de possibilité de toutes relations 3 intersubjectives. En revanche, elle se déploie comme grand Autre absolu qui, par diverses voies, celle de la Providence selon la foi (Pascal) ou celle de la Raison (Descartes) entend démontrer l'existence de Dieu. Dieu: Autre absolu avec ses deux attributs: Un parfait, Être infini.  - Modernité: identification du Dieu des philosophes avec la puissance de l'entendement humain puis, le soupçon que le corps, l'inconscient "gouverne" ce sur quoi la conscience précisément croit "régner", l'irréfléchi, le spontané, l'originaire, l'autre.... Le Cogito cartésien ne sort pas d'une solitude substantielle, le rapport à l'autre reste problématique, incertain, flou. Sans doute, apparaît-elle sous les traits du Dieu des philosophes: l'Autre est soit trompeur, le Malin Génie, soit garantie de vérité. Néanmoins, la pensée classique, comme le souligne Marx, reste piégée dans une "robinsonade", une conception solitaire de la conscience. Seuls, Kant, puis Hegel placent au centre de la conscience humaine, le rôle constitutif de l'Autre. Kant construit le rapport à l'Autre en fondant un absolu logique, la catégorie de Personne. Ainsi détermine-t-il, au-dessus de tout relativisme, le plan philosophique d'une éthique laïque, libérée de tout imaginaire, de toute tradition mythologique. En effet, l'impératif catégorique vise un universel d'essence logique: le respect sans condition de la personne, au- delà de toute pathologie du désir et des passions. L'apport logique de Hegel vise à saisir l'odyssée de la conscience comme un phénomène essentiellement historique dont la dimension intersubjective cerne fondamentalement un enjeu dialectique, invariablement conflictuel entre deux positions, deux discours: celui du Maître, celui de l'esclave. L'équation cartésienne, Je pense, Je suis est déplacée par Hegel. L'Autre de la culture, nouvelle ruse de la raison historique, transindividuelle ouvre la structure de la conscience de soi à un travail de traversée effective du désir de l'Autre. C'est le moment, hystérique, dira Lacan d'un désir de reconnaissance de l'esclave par le Maître.  Ce que toute conscience désire c'est l'asservissement d'autrui, plus exactement détruire son autonomie, sa liberté. C'est en réalisant cette destruction que le sujet assure sa liberté, accédant ainsi à une position de maîtrise. Cependant, pour Kant et Hegel, ce n'est pas la "vie privée" mais la uploads/Philosophie/ jean-louis-blaquier-le-dernier-oxymore-de-lacan-l-x27-autre-qui-n-x27-existe-pas 1 .pdf

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