L'ENTRÉE D'ESSENTIA, SUBSTANTIA, ET AUTRES MOTS APPARENTÉS , DANS LE LATIN MÉDI

L'ENTRÉE D'ESSENTIA, SUBSTANTIA, ET AUTRES MOTS APPARENTÉS , DANS LE LATIN MÉDIÉVAL Ces deux mots, essentia et substantia, dont a usé et abus é le latin médiéval, ont pénétré dans la langue latine par une entrée en scène très modeste, dont les pénibles débuts, comme tra- ductions ou équivalents d 'olivia et de vadcraocs, ne faisaient présager en rien les retentissantes destinées ultérieures . Spéciale- ment consacrées à l'évolution sémantique du mot grec vndoraccs , deux études récentes 1 ont été amenées à donner partiellement leur attention à ses équivalents latins ou aux mots apparentés . Il y a avantage, croyons-nous, à saisir cette occasion pour ajouter , du point de vue de la lexicographie latine, quelques complé- ments à ces deux études qui ne sont pas sans mérite . L'une et l'autre sont d'ordre philosophique et théologique, ce qui n'es t pas le cas de ces compléments. L'une d'elles ne fait qu'incidem- ment allusion aux traductions latines de virdoraccs, en se contentant de rappeler un mot de saint Augustin, qui constat e plus de fréquence à l'emploi de substantia que d'essentia pour rendre le grec ovvia 2 ; l'autre donne deux courts chapitres aux équivalents latins . La première, celle de Witt (1933), qui a pour objet de retracer I . Fr . ERDIN, Das Wort Hypostasia (Freiburger Theologische Studien, t . 52), Fribourg en Br., 1939. R. E . WITT, Y nóaraacr, dans Amicitiae Corolla . A Volume of Essays presented to James Rendel Harris, on the occasion of his eigh- tieth Birthday, edited by H. G . WooD, Londres, University Press, 1933, pp . 3 19 - 343 . 2 . De Trinitate, V, vnr, 9 : Essentiam dico quae ouata graece dicitur, quam usitatius substantiam vocamus * (PL, XLII, 917) . 78 l'emploi philosophique du mot ï57ióoTaac$ jusqu'à Plotin inclu- sivement, aurait pu avantageusement prolonger ses recherche s jusqu'au temps de Justinien, trois siècles plus tard . Dans un exposé nuancé 3 , elle dégage convenablement le rôle des Stoï- ciens, qui ont définitivement donné droit de cité au mot vnóa- Taacs dans le langage philosophique, en l'élevant du mond e matériel au monde métaphysique . Car, chose curieuse et qui ne manque pas d'intérêt dans le développement sémasiologiqu e du vocable, avant d'aboutir à signifier un des concepts les plus abstraits de la métaphysique, le mot vno'a'raacs, bien plu s encore que ses équivalents latins, a débuté par des sens concret s extraordinairement matériels. On pourrait même dire sans exagération que, dans son ascension sémantique, il est part i des plus basses couches du prolétariat pour monter jusqu'au sommet de l'aristocratie des mots abstraits . Cc point de départ, qui n'a été que sommairement indiqué par R . B . Witt 4, est amplement attesté par Aristote, par Hippocrate et par d'autres . Un coup d'oeil sur l'emploi du mot clans le langage quotidien , tel que le manifestent les documents conservés sur papyrus , aurait permis aussi de grossir encore le dossier de l'histoire du mot, même à l'époque de son admission dans le parler de s philosophes et des théologiens . Il est d'autant plus intéressan t de le souligner que son équivalent latin s'est longtemps ressent i de cet usage quotidien, comme on le voit dans les traduction s latines de la Bible et dans la confection des glossaires du hau t moyen âge, qui ne connaissent que peu ou guère d'autre usage. L'autre étude se situe sur le plan théologique ; avec un choix abondant et éclairé de citations suggestives, elle ne passe rapi - dement en revue les premières phases primitives de l'emplo i du mot chez les profanes et dans la Bible, que pour donner le principal de son attention à son usage dans la littérature patristique, surtout à l'époque des grandes controverses trini- taires . Le complément de cette étude appelait l'examen de s discussions auxquelles le mot a donné lieu, tout de suite après , à l'époque des grandes controverses christologiques, où l'oeuvr e de Léonce de Byzance et de son entourage mérite une attentio n 3. Wirr, op. Cit., p. 321-329 . 4. Ibid., p . 320, 79 spéciale. Mais dans ces pages destinées à l'Archivum, il n'y a pas lieu d'insister sur cet aspect théologique de vaóaraaas. Rappelons seulement ici ce qui peut être utile pour sa traduction latine, sans nous attarder non plus aux significations les plu s anciennes de 67róaTaacs, fréquentes chez Aristote, Hippocrate , et d'autres, plus tard chez Galien le médecin . On en pourra trouver les principales références déjà dans le Thesaurus d'Henri Estienne ou dans le Lexikon récent de Liddell et Scott . Le sens de sédiment, de dépôts au fond des liquides, dans les urines , les abcès, les intestins, etc ., d'où le sens d 'excréments, n'y est pas rare, surtout chez les auteurs d'histoire naturelle e t de . médecine. Sans qu'il y ait lieu de les reproduire ici, pour ne pas allonger ces pages, les citations d'Erdin rendront bo n service, plutôt que son classement, bien que son choix des édi- tions n'ait pas toujours été heureux et qu'il ait indûment néglig é Galien, qui a encore toutes ces significations en plein II e siècle après Jésus-Christ. Trop bref sur l'histoire profane du mot , où il fait la part trop belle à l'école platonicienne, au détriment des médecins et des stoïciens dont il ne souffle mot, l'article d'A . Michel dans le Dictionnaire de théologie catholique, sur hypostase, est notablement plus fourni quand il s'agit des écri- vains ecclésiastiques 6 . Les deux courts chapitres ° consacrés dans l'ouvrage d'Erdi n aux traductions latines contiennent de bons renseignements et de sages remarques, mais ils sont trop brefs et ometten t quelques chaînons importants : celui de Marius Victorinus par exemple, qui a été l'agent de liaison entre la pensée grecque de Plotin et la formation néoplatonicienne de l'âme d'Augustin . Or, pour l'histoire de l'infiltration du vocabulaire grec philo- sophique dans les milieux occidentaux, ces essais de traduction dus à Marius Victorinus, marqués d'audace et d'originalité , sont spécialement intéressants, bien que Marius Victorinus n'eût pas la maîtrise de Cicéron pour adapter en beau lati n 5. LIDDELL et R . ScoTT, A greek-english Lexikon, Oxford, 1901, S° édit . , 1638 b-1639 a. Nous n'avons pu mettre la main sur le dernier fascicule de la 90 édition, paru après 1940 . — H . ESTIENNE, Thesaurus linguae graecae, Paris , 1865, t . VIII, C . 426-428. — ERDIN, OP . Cit ., p. 3-8. — A . MICHEL, op . cil„ t, VII, c. 369, 370 et suiv . 6. 3° partie, chap . II, §§ 12-14, pp. 55-6 7 ; 4° partie, §§ 18 et 19, pp. 85-90 . 80 la terminologie des philosophes grecs . Le' chapitre suivant, qui traite de substantia et de subsistentia, demande lui aussi quelques compléments, car il passe trop vite à Boèce, et de Boèce à Anas- tase le Bibliothécaire, avec la mention de deux ou trois inter- médiaires, brièvement mentionnés, comme le diacre Paschase , ou en réalité Fauste de Riez, et le diacre Rusticus . * * * Écrivains profanes . Absent des oeuvres de Cicéron 7, mais présent déjà dans un fragment attribué à Plaute 8, qui fait de essentia ou de entia l'équivalent du grec ouata, le mot essentia n'a pas trouvé grâce devant Quintilien, qui malgré l'éloge qu'il ne se refuse pas à donner à ces essais d'enrichissement de la langue latine, trouve cette traduction aussi dure que celle de prp9opeu'i par oratoria ou par oratrix : «Rhetoricen in latinum transferentes, tum oratoriam tur n oratricem nominaverunt . Quos equidem non fraudaverim debita laude, quod copiam romani sermonis augere tontaverint . . . Et haec interpratatio non minus dura est quam illa Plauti essentia vel entia o. » Ailleurs, il maintient cette attribution à Plaute à propos des dix catégories d'Aristote : Ovorta quam Plautus essentiam vocat 1o . » Une troisième fois, il revient sur cette même appréciation sévère de la traduction, mais en l'attribuant cette fois à Sergiu s Flavius et en se plaignant de la pauvreté de la langue latine : 7. Aucun des grands lexiques de MEHGUET, Lexikon zu den Schriften Cicero's , 7 vol., Iéna, 1877-1894, ne le mentionne ni pour les oeuvres oratoires ni pour les oeuvres philosophiques, pas plus que celui d'OLDrATHER et CANTER, Index ver- borum Epistularum, University of Illinois Press, 1938, pour la correspondance. 8. En dehors de l'attestation de Quintilien, il n'y a pas d'autre témoignage ; voir l'édition de G . GoETZ et R. ScxoELL, Leipzig, 19o1, fascic. VII, Fragmenta , qui relèguent cette citation parmi les fragments dubia at suspecta (n. X), p . 152 ; le Lexicon Plautinum de Gonzalez LODGE, Leipzig, 1901, t . I, 6, p. 519, n'a pas Dlus que la simple citation de Quintilien . 9. Inst . Orat., II, 14, 2 ; édit . BONNELL, Leipzig, 1905, t, I, p. 84 . uploads/Philosophie/ j-de-ghellinck-l-x27-entre-e-d-x27-essentia-substantia-et-autres-mots-apparente-s-dans-le-latin-me-die-val.pdf

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