1 Introduction à l’Ingénierie Didactique Guy Brousseau La formation des institu

1 Introduction à l’Ingénierie Didactique Guy Brousseau La formation des instituteurs en 1950, J’ai connu la formation des instituteurs (dits « élèves–maîtres ») dans les années cinquante. Dans le prolongement d’un baccalauréat (supposé de Sciences expérimentales), elle comprenait une partie académique, une instruction professionnelle dirigée par des « maîtres d’application » et une partie plus générale, dédiée à faciliter leur insertion dans un milieu déterminé. La formation professionnelle formait la partie principale. Elle était composée de démonstrations (leçons « modèles » observées et commentées en commun), d’exercices individuels publics (leçons d’essai «exécutées par les étudiants, dont les « fautes » pouvaient être analysées), et de stages d’un mois dans une classe où le « stagiaire » observait le travail d’un enseignant chevronné sous le contrôle duquel il essayait progressivement de le remplacer dans toutes ses responsabilités. Les élèves-maitres attentifs retenaient de ces deux formations un compendium de principes, de ressources et de tours de main sur l’organisation d’une leçon, sur la façon de la préparer, de la conduire et de la conclure, et sur les mesures pratiques propres à prévenir et à corriger les accidents de tous genres. Cette méthode à peu près standard avait les vertus d’un protocole : Les préparations, le journal de classe et les cahiers corrigés montraient si le professeur avait effectivement « enseigné » le programme prévu à ses élèves, et ainsi, rempli son devoir de moyens. D’ailleurs ce protocole assurait, presque sans coup férir, un taux de réussite suffisant pour démontrer à tous que tous les élèves avaient eu l’occasion d’apprendre ce qui était convenu et que seuls leurs talents personnels faisaient la différence : le professeur et à travers lui la République avait rempli son obligation de moyens à l’instruction publique. Ce protocole assurait ainsi la protection de l’enseignant. L’instruction théorique était une initiation aux principales questions philosophiques, sociologiques, politiques, éthiques, psychologiques…, autour de l’instruction et de l’éducation. Elle tendait à se réduire à un inventaire historique des idées et des mouvements pédagogiques et au conseil de lire attentivement la législation relative à l’instruction nationale. Les connaissances à enseigner étaient présentées, généralement, à l’origine par des savants réputés, dans leur forme didactique la plus classique. La gestion de l’école (1, 2, 5 ou 10 classes) dans son environnement (aspects administratifs, sociologiques, culturels etc.) était le sujet d’une incroyable accumulation de formations ou d’initiations théoriques et participatives à toutes sortes d’activités sportives et/ou artistiques, périscolaires et postscolaires, administratives (secrétariat de mairie ou de coopérative) ou d’informations sur le milieu (cours d’agriculture) qui représentaient l’ensemble des fonctions que l’instituteur était susceptible de se voir proposer par des mairies de campagne. 2 Les origines de l’ingénierie L’invraisemblable compendium évoqué ci-dessus visait à rassembler tout ce qui paraissait utile à un représentant de la République1 - et de la Culture -, dans un milieu précis - rural en l’occurrence – pour accomplir la mission culturelle et éducative au nom de la nation elle- même. L’enseignement réalisait ainsi les conditions politiques et administratives du projet humaniste et socioculturel des Encyclopédistes. La méthodologie, sous entendu… de l’enseignement Dans le domaine de la pédagogie, la méthodologie (de l’enseignement) est l’étude – l’inventaire et la description - des « méthodes », c'est-à-dire des catégories de moyens, observés ou projetés, d’obtenir l’apprentissage d’un savoir déterminé. Contrairement aux théories pédagogiques, la méthodologie se diversifie suivant l’objet de l’enseignement. Dans le vocabulaire de la théorie anthropologique elle prend en charge la praxis - les tâches et les techniques - de l’enseignement. Dans celui de la théorie des situations elle prend en charge la conception, la réalisation et l’observation de situations d’enseignement. Cependant elle ne prétend pas prendre en charge et remettre en question les diverses sources empiriques, scientifiques, ou philosophiques de ces méthodes, sauf peut-être des statistiques brutes sans grande valeur. La frilosité de la méthodologie s’explique en partie et se justifie historiquement par l’importance et la complexité des enjeux sociaux, politiques et économiques de l’éducation. L’étude des conditions d’apprendre est sous le contrôle de sciences hors d’atteinte, et celle de leur mise en œuvre sous celle de pouvoirs incoercibles. Par exemple, réorganiser les mathématiques pour en faciliter à la fois l’accès et l’efficacité n’est pas à la portée des méthodologues (L’histoire a montré que pour l’instant, réorganiser la méthodologie n’était pas non plus à la portée des mathématiciens). Démonter les malentendus des idéologies fondamentales telles que la maïeutique socratique, le constructivisme ou le behaviourisme, ne l’est pas non plus. Or ces impossibilités proviennent d’un cloisonnement nécessaire mais inadéquat des domaines scientifiques, qui s’accordent sur une image convenue mais fictive de l’enseignement pour des raisons de commodité et de partage des moyens. L’épistémologie expérimentale des mathématiques L’épistémologie et l’histoire des mathématiques donnent pourtant une image très différente de la façon dont les connaissances mathématiques se créent et s’utilisent dans le milieu des 1 Nous espérions pouvoir redevenir des instituteurs au service d’une République, et échapper au statut de serviteurs d’un Etat dont on venait de voir ce qu’il pouvait devenir aux mains d’une tyrannie. Hélas, le terme « Etat » a été maintenu et même popularisé par ceux-là mêmes qui avaient dû le combattre, prêt à resservir et à justifier tous les aventuriers, tous les factieux et tous les esclavagistes professionnels, ennemis de la République. 3 mathématiciens avant de se cristalliser dans une forme propice à leur diffusion et à leur enseignement. Par son objet l’épistémologie semble exclure tout volet expérimental. Pourtant « comprendre » la création d’un concept doit bien se référer au moins implicitement à une façon de le concevoir pour quelqu’un qui ne l’a pas « inventé » lui-même. Un moment, en 1975, il a été question de faire de l’épistémologie expérimentale le domaine de référence de nos recherches sur les conditions de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. J’ai personnellement soutenu cette idée, mais j’ai refusé de l’adopter pour couvrir l’ensemble de nos recherches. En effet, cette étiquète admettait bien de considérer l’apprentissage comme une « redécouverte » mais le rôle de l’enseignement dans cette redécouverte était a priori non seulement subordonné aux modèles épistémologiques mais même suspecté a priori d’en dénaturer le fondement. L’épistémologie restait donc condamnée à fournir des renseignements sporadiques et périphériques. La partie des « sciences mathématiques » visée par la filière scientifique créée en 1975 s’est appelée « didactique des mathématiques » Méthodologues ou Didacticiens quelle différence ? En 1970, assistant au département de mathématiques et à l’IREM de Bordeaux j’ai été invité par l’Université du Québec à Montréal (l’UQAM). Cette Université était issue d’une transformation –en cours- de l’Ecole Sainte Marie qui formait précédemment les professeurs de l’enseignement primaire et secondaire francophones de l’enseignement catholique. Beaucoup de professeurs de cette Ecole n’avaient pas – et pour cause – les grades universitaires qui pouvaient justifier qu’on leur donne le statut de professeur d’Université. Mais c’étaient eux qui devaient continuer à assurer cette formation, et pour une partie d’entre eux qui en avaient le courage pour, en même temps, passer quelques diplômes universitaires « complémentaires ». Pour se lancer parmi les Université plus anciennes (McGill University, Université de Montréal, etc.) l’UQAM devait recruter des « vrais » mathématiciens, parmi lesquels fort peu étaient volontaires pour abandonner la profession qu’ils avaient choisie pour tenter l’aventure périlleuse pour leur carrière de la formation des professeurs. Il y avait donc d’une part du personnel universitaire, identifié par les grades universitaires traditionnels, et les autres qui faisaient les cours, écrivaient des manuels, imaginaient du matériel éducatif pour les élèves et pour les maîtres sur des supports divers (film, radio, informatique naissante,…, présentaient les principales théories pédagogiques et leurs bases psychologiques, sociologiques, organisaient observations de leçons, des stages pour les professeurs, des contacts avec les professeurs en service etc. Ceux qui n’avaient pas l’envie ou l’espoir de devenir médiocres mathématiciens et de perdre leur spécificité précieuse et dont à juste titre ils se sentaient fiers, ont proposé d’être assimilés aux ingénieurs qui dans les Universités dédiés aux « Sciences Physiques et Naturelles construisent les appareils originaux nécessaires pour les recherche avancées. Et tout naturellement, ils se présentaient par conséquent comme « ingénieurs didacticiens ». Ce statut n’a pas été officialisé et à disparu au fur et à mesure que des départs à la retraite. C’est fort dommage. L’assimilation aux grades universitaires s’est faite dans la confusion la plus totale pour des raisons que vous pouvez deviner. La formation des professeurs à tous les niveaux est considérée comme une aimable tâche d’amateur, à peine technique, et 4 toujours non universitaire tant qu’elle n’aura pas la couverture culturelle comparable à celle du « droit » ou de la « Médecine ». Ainsi je n’ai ni « inventé » ni même inauguré l’usage du terme « ingénierie didactique » mais je crois avoir contribué à lui donner un sens différent. Le terme méthodologie se référait à une sorte de rationalité immanente, à une logique pratique universelle (comme aujourd’hui le « management »), mais n’appelait ni ne créait aucun objet de recherche scientifique nouveau. Ma contribution a été de dessiner, projeter et commencé à créer uploads/Philosophie/ introduction-a-lingenierie-didactique3-guy-brousseau-pdf.pdf

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