IMMANENCE ET EXTÉRIORITÉ ABSOLUE. Sur la théorie de la causalité et l'ontologie
IMMANENCE ET EXTÉRIORITÉ ABSOLUE. Sur la théorie de la causalité et l'ontologie de la puissance de Spinoza Mogens Lærke Presses Universitaires de France | Revue philosophique de la France et de l'étranger 2009/2 - Tome 134 pages 169 à 190 ISSN 0035-3833 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-philosophique-2009-2-page-169.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lærke Mogens, « Immanence et extériorité absolue. » Sur la théorie de la causalité et l'ontologie de la puissance de Spinoza, Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2009/2 Tome 134, p. 169-190. DOI : 10.3917/rphi.092.0169 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France IMMANENCE ET EXTÉRIORITÉ ABSOLUE. SUR LA THÉORIE DE LA CAUSALITÉ ET L’ONTOLOGIE DE LA PUISSANCE DE SPINOZA 1. Introduction1 Par « substance », Spinoza entend ce qui est à la fois « en soi » (in se) et « conçu par soi » (per se concipitur) (EID3). Quand G. W. Leibniz lit l’Éthique en 1678, il note, à ce propos : « La subs- tance est ce qui est en soi, ou qui n’est pas en autre chose comme dans un sujet. »2 On l’a assez souvent remarqué : en expliquant ainsi la définition de Spinoza, Leibniz l’infléchit vers la conceptua- lité scolastique : il entend par ens in se un être qui n’existe pas dans un sujet – « quod non est in alio velut in subjecto », selon la for- mule de saint Thomas3. Corrélativement, Leibniz comprend par ce que Spinoza appelle un mode fini ce qui est effectivement « en autre chose comme dans un sujet », ou ce qu’il désigne comme un « prédicat non nécessaire »4. C’est donc au moyen d’un schéma Revue philosophique, no 2/2009, p. 169 à p. 190 1. Ce texte élabore en plus de détails un thème déjà abordé dans M. Lærke, Leibniz lecteur de Spinoza. La genèse d’une opposition complexe, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 642-659. Une première version plus courte fut présentée en russe au colloque La modernité de Spinoza, organisé à l’Académie des sciences de Moscou en novembre 2007. Ce deuxième texte en français, grandement amé- lioré, est né d’un échange avec Charles Ramond au sujet du papier de Moscou. Au moment de la rédaction de celui-ci, nous ne nous étions pas aperçus de la proximité de certaines de nos thèses avec les siennes. Par la suite, le Pr Ramond nous a fait parvenir une série de commentaires dont nous avons largement pro- fité pour la rédaction de cette deuxième version beaucoup plus développée. Nous sommes également redevables à Lorenzo Vinciguerra pour une série de commentaires et de corrections. Nous utilisons les sigles suivants : E = B. Spi- noza, Éthique, trad. C. Appuhn, Paris, Flammarion 1965 ; A = G. W. Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, Berlin, Akademie Verlag, 1923-[?]. 2. A VI, iv, p. 1706 (nous soulignons). 3. Cf. Saint Thomas, Somme contre les gentils, trad. C. Michon, V. Aubin et D. Moreau, Paris, Flammarion, 1999, I, XXV, p. 207. 4. A VI, iv, p. 1706. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France logico-grammatical d’origine scolastico-aristotélicienne que Leibniz estime pouvoir mieux cerner le sens des concepts fondamentaux de l’ontologie spinozienne. Dans ces courtes annotations, le philosophe de Hanovre se révèle être un des premiers à soutenir que, selon Spi- noza, toutes choses se rapportent à Dieu comme des prédicats se rapportent au sujet auquel ils appartiennent. Ajoutons à cela quel- ques précisions sur les concepts concernés que nous trouvons dans un texte écrit par Leibniz vers 1678-1679 : « Subjectum est res continens. / Praedicatum est res contenta. »1 Il semble donc que, pour lui, la philosophie de l’immanence de Spinoza se présente comme une philosophie de l’intériorité : rien n’existe qui ne soit pas dans la substance unique, de la même façon que quelque chose de contenu est dans un contenant. Toutes choses se rapportent à Dieu par une relation d’inhérence. En lisant les catégories conceptuelles de Spinoza dans ce sens, Leibniz instaure une tradition d’interprétation qui, on le sait, se retrouve chez Pierre Bayle et se prolonge chez Hegel2. De nos jours, c’est également la position soutenue outre-Atlantique par de nom- breux commentateurs tels que Jonathan Bennett et Don Garrett3. Selon une contribution récente d’Olli Koistinen et de John Biro, le « monisme » spinozien serait une doctrine selon laquelle « il n’y a qu’un seul et ultime sujet de prédication ; une seule chose qui n’est pas inhérente à une autre chose »4. De façon semblable, dans un article paru récemment dans The Leibniz Review, Yitzhak Melamed affirme que, chez Spinoza, « la causa immanens est une notion qui réunit inhérence et causation »5. Revue philosophique, no 2/2009, p. 169 à p. 190 170 Mogens Lærke 1. A VI, iv, p. 141. 2. Voir P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam Reinier Leers, 1697, 17022, art. « Spinoza » (nous avons consulté l’édition de Paris 1820-1824, Genève, Slatkine Reprints, 1969) ; G. W. F. Hegel, Leçons sur l’his- toire de la philosophie, trad. P. Garniron, Paris, Vrin, 1985. 3. Cf. J. Bennett, A Study of Spinoza’s « Ethics », Indianapolis, Hackett, 1984, p. 92-93 ; D. Garrett, « Spinoza’s Conatus argument », in O. Koistinen, J. Biro (éds.), Spinoza. Metaphysical Themes, Oxford, Oxford UP, p. 157, n. 31. 4. O. Koistinen, J. Biro, « Introduction », in Koistinen, Biro (éds.), Spi- noza. Metaphysical Themes, p. 4. 5. Cf. Y. Melamed, « Inherence and the Immanent Cause in Spinoza », in The Leibniz Review, 16, 2005, p. 44. Par le même auteur, on consultera égale- ment avec profit l’article impressionnant : « Spinoza’s metaphysics of subs- tance : The substance-mode relation as a relation of inherence and predica- tion », in Philosophy and Phenomenological Research. Ce texte, toujours à paraître, est sans doute la meilleure défense à ce jour de l’interprétation « logique » du rapport substance-mode chez Spinoza. Il mérite un examen approfondi que nous ne pouvons pas entreprendre ici. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.137.59.74 - 14/02/2015 01h17. © Presses Universitaires de France Certes, ces interprétations ne sont pas sans appui dans les tex- tes : dans la lettre LXXIII, Spinoza ne cite-t-il pas saint Paul selon qui « c’est en [la divinité] que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17 : 28)1 ? N’affirme-t-il pas dans EIP15 que « tout ce qui est, est en Dieu [in Deo] » ? Cependant, malgré l’existence de telles formules chez Spinoza, ces interprétations nous semblent contestables, puisqu’elles reposent sur une analyse insuffisante de la signification de la préposition in chez Spinoza, et sur une idée préconçue de « l’être dans » trop attachée au sens commun. Dans le présent article, nous voudrions donc argumenter en faveur de l’idée contraire, à savoir que la substance unique de Spinoza n’a rien d’une intériorité absolue ; que la notion d’inhérence s’accorde mal à la conception spinozienne de l’immanence ; et que, au contraire, le système spinozien s’inscrit dans une sorte d’extériorité absolue. Sur ce point, bien que nous y soyons arrivés par des chemins tout à fait différents, nous nous rallions volontiers à la thèse de Charles Ramond selon laquelle le « geste spinozien » consiste justement à « extérioriser l’intériorité »2. Que faut-il comprendre par « extériorité » dans ce contexte ? La manière dont nous considérons la question reste très liée à la confron- tation entre Leibniz et Spinoza : quand nous parlons d’extériorité absolue, c’est surtout par opposition à la notion leibnizienne d’inhé- rence. Leibniz se sert de cette notion pour soutenir, d’une part, qu’il n’existe pas d’action qui ne soit pas fondée dans un sujet d’action, c’est-à-dire une substance agissante, et, de l’autre, qu’il n’existe pas de prédicat, ou propriété, qui ne soit pas fondé dans un sujet constitu- tif. Ce sont en effet les deux principes fondamentaux de la métaphy- sique leibnizienne : actiones sunt suppositorum et praedicatum inest subjecto. Ils constituent, respectivement, les principes dynamique et logique qui uploads/Philosophie/ immanence-et-exteriorite-absolue-sur-la-theorie-de-la-causalite-et-l-x27-ontologie-de-la-puissance-de-spinoza.pdf
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- Publié le Apv 02, 2022
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