LE COURAGE – OCTAVE MIRBEAU, CŒUR ET RAGE M. Octave Mirbeau n’est pas seulement
LE COURAGE – OCTAVE MIRBEAU, CŒUR ET RAGE M. Octave Mirbeau n’est pas seulement un grand écrivain ; il est un écrivain courageux. Georges Rodenbach, 1899 Il n'était pas seulement un grand écrivain.Il était un homme admirable, violent, courageux, éloquent, déterminé, capable de risquer sa vie pour une idée et de donner son sang pour défendre une cause. Il l'a prouvé. Sacha Guitry, extrait du commentaire sonore au film Ceux de chez nous, 1915 La personnalité d’Octave Mirbeau n’a que très peu été envisagée à travers la vertu de courage1. Il est vrai que le courage, jusqu’à une époque récente, était devenu un impensé de la réflexion, peut-être consécutivement à la domination des sciences sociales : pour la sociologie par exemple, le courage n’est pas un objet… Cependant, de manière tout à fait contemporaine, un regain d’intérêt s’est manifesté pour la vertu de courage. Ce sont différents philosophes qui ont donné les textes les plus novateurs en actualisant et en renouvelant les apports classiques de la philosophie morale sur le courage, tels qu’exposés par exemple par René le Senne2, en France. Un ouvrage récent est dû à Cynthia Fleury3, il est opportunément intitulé La Fin du courage, l’autre résulte d’un trio de philosophes belges (Thomas Berns, Laurence Blésin, Gaëlle Jeanmart)4, avec un titre plus neutre et d’inspiration plus classique : Du courage5. Ce sont les écrits de ces différents penseurs qui vont fournir les clés d’interprétation permettant de mettre en lumière le courage dont Octave Mirbeau témoigna sans désemparer sa vie durant. Voici donc beaucoup de philosophes convoqués pour comprendre et analyser la vie et l’œuvre de Mirbeau, alors même que ce dernier déclare ; « Je ne suis pas un philosophe6 ». Y a-t-il contradiction ? Certainement pas, si on admet que Mirbeau pensait alors aux professeurs de philosophie de son temps (cet excellent Victor Cousin), et qu’il n’aurait pas prononcé le même aveu s’il avait eu à l’esprit le sens de la philosophie antique selon Pierre Hadot7, pour lequel le but est de vivre philosophiquement et non pas de philosopher ex cathedra. Or Mirbeau, sorte de réincarnation de Diogène de Sinope, a bel et bien vécu en philosophe. Ainsi après avoir étudié en quoi le courage est une vertu philosophique capitale (I), il sera temps de distinguer le courage dans Mirbeau du courage de Mirbeau (II). Enfin, la contemporanéité du courage de Mirbeau fera l’objet du troisième temps de la réflexion (III). I- Le courage, une vertu philosophique Faussement attribuée à Winston Churchill8, l’affirmation selon laquelle « le courage est la plus grande des vertus car c’est elle qui présuppose toutes les autres » signale l’importance de celui-ci jusqu’au milieu du XXe siècle. Suivie d’une brève éclipse, la réflexion philosophique sur le courage connaît depuis peu une résurgence notable, traduisant à la fois l’immémorialité humaine du courage et l’abjection de sociétés contemporaines où celui-ci semble avoir disparu. Le courage dans la philosophie morale du milieu du XIXe siècle René Le Senne (1882-1954) a été particulièrement sensible à la question philosophique des valeurs ce qui l’a conduit à étudier le courage dans son Traité de morale générale. Dès l’introduction il énonce sa thèse essentielle : « Le sentiment proprement moral est le courage9 », avant de préciser : « C’est dans le courage que nous trouvons cette 1 association d’énergie et de volonté supposée par le terme double de sentiment moral10. » Ainsi, être courageux, c’est faire preuve « d’énergie et de volonté ». Mais c’est également « avoir du cœur11 ». Énergie, volonté, cœur : on sent poindre Mirbeau… A) Les trois courages vus au début du XXIe siècle Les auteurs de Du Courage, Thomas Berns, Laurence Blésin et Gaëlle Jeanmart, écrivent une phrase typiquement mirbellienne et qui exprime parfaitement tant sa vie que son œuvre : « Nul n’est courageux sans agir. Le courage est une qualité de l’acte, non de l’âme12. » Rappelons alors ce mot d’Octave Mirbeau dans Les 21 jours d’un neurasthénique : « Enfin, ma conscience délivrée ne me reproche plus rien, car, de tous les êtres que je connus, je suis le seul qui ait courageusement conformé ses actes à ses idées, et adapté hermétiquement sa nature à la signification mystérieuse de la vie... » Sur le fond, les auteurs de Du courage distinguent trois types de courages dans la Grèce antique : le courage militaire et viril, le courage héroïque et le courage comme maîtrise de ses peurs et de ses désirs ; dans tous les cas, « le courage est, comme la morale, du côté de la résistance, c’est une manière singulière de se poser et de s’opposer à autrui et à soi- même13 ». Les seuls exemples de courage militaire et viril d’Octave Mirbeau (si on néglige sa mobilisation lors de la guerre de 1870) sont les quatre ou cinq duels qu’il eut à son actif 14. Pierre Michel écrit à ce sujet que Mirbeau a « prouvé indéniablement son courage en assumant jusque sur le pré les conséquences de ses articles polémiques15 ». S’agissant du courage héroïque, il impose de s’exposer au public, d’être au monde avec tous les risques que cela comporte, avec au premier chef le jugement et la critique d’autrui. « Foucault a été sensible au fait qu’en Grèce, on n’exerce sa citoyenneté qu’avec du courage et que ce courage n’est autre que celui de se poser visiblement face aux pairs 16 ». C’est retrouver la pensée de la philosophe Hannah Arendt qui, dans la Condition de l’homme moderne, affirme : « L’idée de courage, qualité qu’aujourd’hui nous jugeons indispensable au héros, se trouve en fait déjà dans le consentement à agir et à parler, à s’insérer dans le monde et à commencer une histoire à soi17. » « Commencer une histoire à soi » : voici ce qu’exprime, dans Les affaires sont les affaires, le marquis de Porcelet en signifiant son mépris à Isidore Lechat : « Ayez donc le courage d’inventer quelque chose de nouveau. […] Mais non, vous n’avez le souci d’aucune vertu », l’utilisation par Mirbeau, du mot courage appelant immédiatement sous sa plume l’adjectif « nouveau » et le substantif « vertu ». Quant au courage comme maîtrise de ses peurs et de ses désirs, il s’analyse comme « une sécularisation du courage [qui] est dans un rapport à soi modelé par la résistance à la peur et aux aléas de l’existence18 ». Le courage se centre alors sur la maîtrise de soi. B) La fin du courage diagnostiquée au début du XXIe siècle Tout laisse à penser que Mirbeau aurait applaudi cette formule de la philosophe contemporaine Cynthia Fleury lorsqu’elle écrit : « Nous vivons dans des sociétés irréductibles et sans force. Des sociétés mafieuses et démocratiques, où le courage n’est plus enseigné. » Et, incontestablement, une grande partie de l’héritage de Mirbeau réside dans son immense et opiniâtre courage, constitutif d’une sorte de « leçon ». Ailleurs, la philosophe cite Winston Churchill, qui rend compte de la genèse de la seconde guerre mondiale en parlant d’un temps où « la malveillance des méchants se renforça de la faiblesse des vertueux », ce qui n’est pas très éloigné du mot d’Edmund Burke : « Tout ce qu’il faut pour que le mal triomphe, c’est que les braves gens ne fassent rien19 ». Voilà qui peut éclairer le courage de Mirbeau, qui dira se placer toujours du côté des pauvres et des humbles, mais sans leur accorder pour autant une confiance aveugle. 2 Et Cynthia Fleury écrit que « les courageux et les contemporains sont ceux qui ont une "singulière relation" avec leur propre temps. Ils savent adhérer au temps présent par le fait même de savoir s’en détacher. Ils ont l’art de la distance, l’art d’être au présent. » C’est à la fois retrouver les thèses d’Hannah Arendt mentionnées supra, et déjà déceler dans le courage de Mirbeau son incroyable contemporanéité au sens de Giorgio Agamben (cf. infra). Les deux ouvrages de philosophie, ici très brièvement présentés, valent en définitive à deux titres. D’une part, leur lecture est pleine d’enseignements et s’avère stimulante pour la réflexion ; d’autre part, leur publication même vaut symptôme, celui du retour de la vertu courage à l’agenda contemporain de la pensée. II- Courage dans Mirbeau, courage de Mirbeau Le courage dans Mirbeau, c’est celui qui s’exprime dans son œuvre propre, romanesque et théâtrale, et aussi dans ses activités de critique d’art. Le courage de Mirbeau, quant à lui, est celui qui précipite inexorablement l’individualiste dans les arènes de son temps lorsque la justice est en cause… A) Un engagement artistique audacieux traduisant un grand courage Mirbeau apparaît, surtout dans ses dernières œuvres, comme un écrivain au style très novateur qui annonce par de nombreux aspects les romanciers du XXe siècle. Dès lors, il se pose en hérétique à l’égard des « règles du champ » de son époque pour parler comme Pierre Bourdieu. Sa fermeté d’esprit, son courage lui feront considérer pour peu de chose les incompréhensions et les exaspérations qu’il suscitera, les uploads/Philosophie/ guilhem-monediaire-le-courage-octave-mirbeau-coeur-et-rage.pdf
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- Publié le Apv 06, 2022
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