1939 Publié par "Etudes Marxistes", Nº2 – 1er trimestre 1989 L'article «La phil

1939 Publié par "Etudes Marxistes", Nº2 – 1er trimestre 1989 L'article «La philosophie des Lumières et la pensée moderne» a été écrit par Politzer en juillet 1939 pour le 150ème anniversaire de la Révolution Française. La philosophie des lumières et la pensée moderne G. Politzer La «philosophie des lumières» fut «cette brillante école de matérialistes français qui firent du XVIIIe siècle en dépit de toutes les victoires terrestres et navales remportées sur les Français par les Allemands et les Anglais, un siècle éminemment français, avant même qu'il fût couronné par cette Révolution française, dont nous, qui n'y avons pas pris part en Allemagne, comme en Angleterre, essayons encore d'acclimater les résultats». Ainsi parlait en 1892, du matérialisme français du XVIIIe siècle, Engels qui fut, avec Marx, le créateur génial du matérialisme historique. La réaction a tout fait pour escamoter les idées qui ont dominé le «siècle des lumières». Ses professeurs font de grands développements théoriques sur l'importance des idées dans l'histoire en général, mais escamotent ce mouvement d'idées qui fit du XVIIIe siècle «un siècle éminemment français». Notre Parti, au contraire, associe étroitement, en célébrant le 150e anniversaire de la Révolution, les hommes qui l'ont accomplie et «cette brillante école de matérialistes français» qui l'a préparée. «Le matérialisme philosophique français du XVIIIe siècle fut, dit Engels, la croyance de la Révolution française». Il représente une étape décisive de ce développement qui aboutira au matérialisme dialectique, et à travers le socialisme utopique, au socialisme scientifique. Nous devons donc connaître le rôle historique de la «philosophie des lumières». Sa genèse et son évolution montrent d'une manière indiscutable, sur le plan scientifique, que c'est nous, communistes, qui en sommes les héritiers véritables et les seuls continuateurs, au sens historique du mot. L'élaboration du matérialisme français du XVIIIe siècle Le matérialisme français du XVIIIe siècle sera la fusion de deux courants. L'un vient d'Angleterre et part de Francis Bacon. L'autre vient de Descartes. Marx et Engels ont toujours insisté sur cette dualité des sources de notre philosophie du XVIIIe siècle. Cette connaissance est pour nous importante. D'une part, la réaction a cherché à escamoter avec le matérialisme des encyclopédistes, le matérialisme de Descartes, et, d'autre part, les «perceurs du ciel» font chorus avec les porte-parole de l'Eglise, pour transformer Descartes en un vulgaire scolastique. «Il est, écrit M. Bayet, tout ce qu'on appelle l'homme l´ordre. Conservateur au point de vue religieux, conservateur au point de vue politique, il est, à certains égards, moins hardi que bien des penseurs médiévaux et bien des jésuites». C'est une thèse copiée directement dans les «travaux» des amis des jésuites eux-mêmes. Bacon proclame contre la science livresque du moyen-âge : «Il faut étudier la science dans le grand livre de la nature»;. Marx a résumé ainsi la doctrine de Bacon : Toute science est fondée sur l'expérience et consiste à soumettre les données fournies par les sens à une méthode rationnelle d'investigation. L´induction, l'analyse, la comparaison, l'observation, l'expérimentation sont les principales formes dune méthode rationnelle de cet ordre. Chez Bacon, «parmi les qualités inhérentes à la matière, le mouvement est la première et la plus importante...» Et Marx montre que déjà Bacon se fait du mouvement une conception plus riche, en n'y voyant pas seulement le déplacement, le mouvement mécanique. Dès lors, «le matérialisme contient les germes d´un développement multiforme». De Bacon, le matérialisme parvient à travers Hobbes, jusqu'à Locke. «Hobbes avait systématisé Bacon, sans toutefois fournir une preuve du principe fondamental de Bacon, l'origine des connaissances et idées empruntées au monde de la sensation. Ce fut Locke qui, dans son Essay on the human understanding (Essai sur l'entendement humain), fournit cette preuve». Locke a entrepris de démontrer que toutes les idées humaines proviennent de l'expérience. Avec lui, nous sommes déjà au XVIIIe siècle. Son ouvrage est l'une des sources directes de la philosophie des lumières. L'idée que toutes les connaissances viennent du monde sensible, à travers les sens, a une grande importance. D'abord, c'est la rupture avec les conceptions mystiques concernant l'origine de la connaissance. Mais, en même temps, l'un des arguments invoqués en faveur de l'existence de Dieu consistait à dire que l'homme a en lui l'idée innée de Dieu. Descartes dira que l'idée de l'être infini est comme le sceau du Créateur dans la conscience de la créature. La théorie des idées innées servait également à appuyer les institutions féodales. Le sentiment inné de l'inégalité des hommes prouve que c'est bien par Dieu que cette inégalité a été instituée. Faire la preuve que toutes nos idées viennent de l'expérience, c'était réfuter la théorie des idées innées et porter un coup décisif à la théologie et à la métaphysique. Telle est l'une des raisons essentielles de l'importance de l'Essai sur l´entendement humain de Locke. C'est Condillac qui l'a transporté en France. Condillac développe la doctrine de Locke d'une manière plus conséquente et exerce une très grande influence. Il est intéressant de noter que la bourgeoisie reprendra la théorie des idées innées pour appuyer la propriété capitaliste. Tout homme a en lui, disent ses porte-parole, l'idée innée de la propriété, un instinct de propriété. Il en résulte que la propriété capitaliste est naturelle et, puisqu 'elle est naturelle, on ne peut et on ne doit pas y toucher... Cette évolution, qui va de Bacon à Locke en Angleterre, produit en France Descartes, et à partir de lui, une école de savants et de philosophes matérialistes. Descartes rejette en bloc tout l'édifice théorique de la science médiévale. Il rejette ses notions, ses méthodes. Le Discours de la méthode donne une critique géniale de l'édifice de la scolastique. Il proclame, en fait, la liberté de la recherche scientifique contre la méthode d'autorité et justifie cette négation par le principe dont l'énoncé constitue le début bien connu du Discours : «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée». En matière de science, la vérité est proclamée accessible en principe à tout le monde : la découverte ne dépend pas d'une «assistance du ciel», mais d'une méthode que chacun peut acquérir. Descartes veut en enseigner les règles. Il ne dit pas qu'il les a trouvées par des voies surnaturelles. Il déclare qu'il les a découvertes en analysant par quels moyens on faisait des découvertes là où l'on y arrivait effectivement. Il dégage les règles de la méthode de la pratique effective de la recherche scientifique. Dans le Discours de la méthode, la recherche scientifique est définitivement dépouillée de «l'auréole de la consécration divine». Descartes élabore alors son explication du monde, sa physique, d'où est sortie la physique moderne. Il continue à attribuer la création du monde à Dieu dont il démontre l'existence. C'est cette partie de sa philosophie qu'on appelle la métaphysique. Seulement Dieu ne joue aucun rôle dans sa physique qui est matérialiste «où la matière est la seule substance, la raison unique de l'être et de la connaissance». (Marx) Chez Descartes, la science est déjà à la veille de rompre complètement avec la théologie et de se dresser ouvertement contre elle. La féodalité devant le «Tribunal de la raison» Avec le résultat de ces deux évolutions, la physique de Descartes, puis celle de Newton et le matérialisme anglais, les éléments sont prêts pour le grand combat décisif et définitif que va livrer la philosophie des lumières contre tout ce qui reste de l'idéologie médiévale. Ce combat va de la lutte contre les principes théoriques dont se réclamait la société féodale à la lutte contre toutes ses institutions. C'est une lutte contre la théologie, contre la métaphysique, contre l'ensemble des croyances religieuses, contre les théories sociales et politiques auxquelles ces principes ont servi de justification. En réfutant la théologie et la métaphysique, la philosophie des lumières détruisait «l'auréole de la consécration divine» dont l'Eglise avait entouré les institutions féodales. Celles- ci apparaissent dans leur nudité profane, comme des effets de l'ignorance et de la barbarie. Les encyclopédistes ne cessèrent de dénoncer leur caractère inhumain, en menant des campagnes retentissantes contre le fanatisme, l'intolérance, l'injustice, la barbarie, etc. Ils transportaient la proclamation de l'égalité des hommes, du domaine de la science dans le domaine politique et, parfois même social. Mais ils ne se bornaient pas à critiquer et à réfuter; à la conception ancienne du monde, ils opposent une conception basée sur la science : la conception matérialiste. Chez La Mettrie, Helvétius et d'Holbach, on voit particulièrement bien la fusion des deux courants dont provient le matérialisme français. Les Français, a dit Marx, traitèrent le matérialisme anglais avec esprit, lui donnant de la chair et du sang, de l'éloquence. Ils le dotent du tempérament qui lui manquait encore et de la grâce, ils le civilisent. Dans d'innombrables pamphlets, romans, essais, nos philosophes ne se bornent pas à réfuter la théologie et la métaphysique et à proposer à la place des croyances religieuses des explications scientifiques. Ils mobilisent, au service de la lutte idéologique, toutes les ressources du génie littéraire, les séductions de l'éloquence, l'arme magnifique de la satire, composée avec une ironie sans pitié, mais avec toutes les finesses uploads/Philosophie/ georges-politzer-la-philosophie-des-lumieres-et-la-pensee-moderne-1939.pdf

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