Cours de Michel Foucault 1981-1982 L’Herméneutique du Sujet Texte accessible su

Cours de Michel Foucault 1981-1982 L’Herméneutique du Sujet Texte accessible sur http://www.arianesud.com/biblio/aa_auteurs/foucault_michel 1 Cours de Michel Foucault 1981-1982 L’Herméneutique du Sujet tiré du site Portail Michel Foucault http://michel-foucault-archives.org/spip.php?article182 L’an dernier, j’avais essayé d’entamer une réflexion historique sur le thème des relations entre subjectivité et vérité1. Et, pour l’étude de ce problème, j’avais choisi comme exemple privilégié, comme surface de réfraction si vous voulez, la question du régime des comportements et des plaisirs sexuels dans l’Antiquité, ce régime des aphrodisia vous vous souvenez, tel qu’il était apparu et qu’il avait été défini aux deux premiers siècles de notre ère2. Régime qui me paraissait comporter, parmi toutes les dimensions de son intérêt, celle-ci : c’était bien dans ce régime des aphrodisia, et non pas du tout dans la morale dite chrétienne, ou pire dite judéo-chrétienne, que l’on trouvait l’armature fondamentale de la morale sexuelle européenne moderne3. Cette année, je voudrais un petit peu me dégager de cet exemple précis et de ce matériel particulier concernant les aphrodisia et le régime des comportements sexuels, et je voudrais dégager, de cet exemple précis, les termes plus généraux du problème « sujet et vérité ». Plus exactement : je ne voudrais en aucun cas éliminer ou annuler la dimension historique dans laquelle j’ai essayé de placer ce problème des rapports subjectivité / vérité, mais je voudrais tout de même le faire apparaître sous une forme beaucoup plus générale. La question que je voudrais aborder cette année, c’est celle-ci : dans quelle forme d’histoire se sont noués en Occident les rapports entre ces deux éléments, qui ne relèvent pas de la pratique, de l’analyse historienne habituelle, le « sujet » et la « vérité » ? Alors, je voudrais prendre, comme point de départ, une notion dont je crois vous avoir dit quelques mots déjà l’an dernier4. C’est la notion de « souci de soi-même ». Par ce terme, j’essaye tant bien que mal de traduire une notion grecque fort complexe et fort riche, fort fréquente aussi, et qui a eu une très longue durée de vie dans toute la culture grecque : celle d’epimeleia heautou, que les Latins traduisent, avec, bien sûr, tous les affadissements que l’on a si souvent dénoncés, ou en tout cas indiqués5, par quelque chose comme cura sui6. Epimeleia heautou, c’est le souci de soi-même, c’est le fait de s’occuper de soi-même, de se préoccuper de soi-même, etc. Vous me direz qu’il est sans doute un peu paradoxal et passablement sophistiqué de choisir, pour étudier les rapports entre sujet et vérité, cette notion d’epimeleia heautou à laquelle l’historiographie de la philosophie n’a pas jusqu’à présent accordé énormément d’importance. C’est un peu paradoxal et sophistiqué de choisir cette notion alors que chacun sait, chacun dit, chacun répète, et depuis bien longtemps, que la question du sujet (question de la connaissance du sujet, question de la connaissance du sujet par lui-même) a été originairement posée dans une tout autre formule et dans un tout autre précepte : la fameuse prescription delphique du gnôthi seauton (« connais-toi toi-même7 »). Alors donc que tout nous indique dans l’histoire de la philosophie, plus largement encore : dans l’histoire de la pensée occidentale, que c’est le gnôthi seauton qui est sans doute la formule fondatrice de la question des rapports 1 Cf. le résumé de cours de l’année 1980-1981 au collège de France, in Dits et écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 213-219. 2 Cf. pour la première élaboration de ce thème, le cours du 28 janvier 1981, mais surtout L’usage des plaisirs (Paris, Gallimard, 1984, p. 47- 62). On peut dire que par aphrodisia, Foucault entend une expérience, et une expérience historique : l’expérience grecque des plaisirs, à distinguer de l’expérience chrétienne de la chair et de celle, moderne, de la sexualité. Les aphrodisia sont désignés comme la « substance éthique » de la morale antique. 3 C’est dans le premier cours de l’année 1981 (« Subjectivité et vérité », cours du 7 janvier) que Foucault annonce que l’enjeu même des recherches poursuivies sera de comprendre si notre code moral, dans sa rigueur et sa pudeur, n’aurait pas été élaboré précisément par le paganisme (ce qui, du reste, rendrait problématique même la césure du christianisme et du paganisme dans le cadre d’une histoire de la morale). 4 Les cours de 1981 ne comprennent pas de développements explicites sur le souci de soi. En revanche, on y trouve de longues analyses sur les arts d’existence et les processus de subjectivation (cours du 13 janvier, du 25 mars et du premier avril). Cependant, en général le cours de 1981 d’une part continue à porter exclusivement sur le statut des aphrodisia dans l’éthique païenne des deux premiers siècles de notre ère, et, d’autre part maintient l’idée qu’on ne peut parler de subjectivité dans le monde grec, l’élément éthique se laissant déterminer comme bios (mode de vie). 5 Tous les textes importants de Cicéron, Lucrèce et Sénèque sur ces problèmes de traduction sont réunis par Carlos Lévy après son article sur « Du Grec au Latin », in Le discours philosophique, Paris, P.U.F., 1998, p. 1145-1154. 6 « Si je fais tout dans l’intérêt de ma personne, c’est que l’intérêt que je porte à ma personne précède tout (si omnia propter curam mei facio, ante omnia est mei cura) », Sénèque, Lettres à Lucilius, trad. H. Noblot, Paris, Les Belles Lettres, 1945, 7 Cf. sur ce point le livre important de P. Courcelle, Connais-toi toi même de Socrate à Saint Bernard, Paris, Etudes augustiniennes, 1974, 3 tomes. Cours de Michel Foucault 1981-1982 L’Herméneutique du Sujet Texte accessible sur http://www.arianesud.com/biblio/aa_auteurs/foucault_michel 2 entre sujet et vérité, pourquoi avoir choisi cette notion apparemment un peu marginale, qui court bien sûr dans la pensée grecque mais à laquelle il ne semble pas qu’on ait fait un statut particulier : celle de souci de soi-même, d’epimeleia heautou ? Alors je voudrais un petit peu m’arrêter, dans cette première heure, sur cette question des rapports entre l’epimeleia heautou (le souci de soi) et le gnôthi seauton (le « connais-toi toi-même »). A propos du « connais-toi toi-même », je voudrais faire cette première remarque très simple, en me référant à des études qui ont été faites par des historiens et des archéologues. Il faut tout de même bien garder à l’esprit ceci : tel qu’il a été formulé, de façon si illustre et éclatante, et gravé sur la pierre du temple, le gnôthi seauton n’avait sans doute pas, à l’origine, la valeur qu’on lui a prêtée par la suite. Vous connaissez (on aura à y revenir) le fameux texte dans lequel Épictète dit que ce précepte « gnôthi seauton » a été inscrit là, au centre de la communauté humaine8. En fait, il a sans doute été inscrit en ce lieu, qui a été un des centres de la vie grecque, et puis un centre de la communauté humaine par la suite9, mais avec une signification qui n’était certainement pas celle du « connais-toi toi-même » au sens philosophique du terme. Ce n’était pas la connaissance de soi qui était prescrite dans cette formule, ni la connaissance de soi comme fondement de la morale, ni la connaissance de soi comme principe d’un rapport aux dieux. On a proposé un certain nombre d’interprétations. Il y a la vieille interprétation de Roscher, proposée en 1901 dans un article du Philologus10, où il rappelait qu’après tout les préceptes delphiques étaient des préceptes qui s’adressaient à ceux qui venaient consulter le dieu, et qu’il fallait les lire comme des sortes de règles, de recommandations rituelles en rapport avec l’acte même de la consultation. Et les trois préceptes, vous les connaissez. Le mêden agan (« rien de trop ») ne voudrait, selon Roscher, absolument pas désigner, formuler un principe général d’éthique et de mesure dans la conduite humaine. Mêden agan (« rien de trop »), ça veut dire : toi qui viens consulter, ne pose donc pas trop de questions, ne pose que les questions utiles, réduis à ce qui est nécessaire les questions que tu veux poser. Le second précepte, celui sur les egguê (les cautions11), voudrait dire exactement ceci : ne fais pas des vœux, ne t’engage pas, quand tu viens consulter les dieux, à des choses, à des engagements que tu ne pourrais pas honorer. Quant au gnôthi seauton, il voudrait dire, toujours selon Roscher : eh bien, au moment où tu viens poser des questions à l’oracle, examine bien en toi-même les questions que tu as à poser, que tu veux poser ; et puisque tu dois bien réduire au maximum le nombre de tes questions et ne pas en poser trop, fais donc attention en toi-même à ce que tu as besoin de savoir. Interprétation beaucoup plus récente que celle-là : celle de Defradas en 1954, dans un livre sur Les Thèmes de la propagande delphique12. Defradas propose une autre interprétation, mais qui, là aussi, montre bien, suggère bien que le gnôthi seauton n’est absolument pas un principe de connaissance de soi. Selon Defradas, ces uploads/Philosophie/ foucault-hermeneutique-du-sujet 1 .pdf

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