Évola, assassin de la jeunesse Tradition primordiale et Tradition catholique pa

Évola, assassin de la jeunesse Tradition primordiale et Tradition catholique par Paolo Taufer Cet article est la traduction française de l’exposé que fit M. le professeur Paolo Taufer au congrès des Études catholiques tenu à Rimini, en Italie, la dernière semaine d’octobre 1999. Nous remercions l’auteur de nous avoir aimablement communiqué son texte pour être publié en français. Nous remercions également M. Roger Boulet qui a bien voulu en assurer la traduction de l’italien. Le titre italien de cette communication était « I giovani e le rovine di Evola – les jeunes et les ruines d’Évola », par allusion, semble-t-il, à l’ouvrage qu’Évola écrivit spécialement pour les jeunes qu’il formait et orientait : Les Hommes au milieu des ruines (1951). Pour plus de clarté, nous l’avons transformé en « Évola, assassin de la jeunesse ». L’importance et l’actualité de ce travail n’échapperont pas à ceux qui sa- vent l’influence délétère qu’exerce sur les milieux de la jeunesse dite « de droite » l’exaltation passionnée de penseurs néo-païens comme Évola. On se souvient peut-être, à titre d’exemple, de cet article très élogieux que le sup- plément à Français d’abord de juillet 1996 (nº 240) avait consacré à « Évola, le Romain, aristocrate des cîmes enneigées », « héraut de la Tradition et fa- rouche contempteur du monde moderne », « homme debout au milieu des ruines »… Évola y était présenté comme un sauveur, un maître, un éveilleur, dont l’existence fut « marquée par une droiture digne des anciens Romains, un sens de l’honneur et de la fidélité que d’aucuns auraient pu croire enseve- lis avec les ruines des grands rêves impériaux 1 ». Rien sur son antichristia- nisme virulent, sur ses perversions morales, sur son paganisme haineux, sur ses mystérieuses pratiques magiques… 1 — Page 5. L’article, signé par celui qui était alors le responsable de la formation des jeunes du Front National, se termine par la liste des ouvrages d’Évola disponibles en français (c’est-à-dire la plupart de ses œuvres), qu’on trouve tous aux éditions Pardès, Archè, l’Age d’Homme et Guy Trédaniel, connues comme les maisons éditrices de la littérature ésotérique « de droite ». Déjà, en avril 1988, l’éphémère Choc du mois donnait une recension élogieuse des Essais politiques de Julius Évola (éd. Pardès), due à la plume de Michel Toda. Comme exemple plus récent, nous pourrions citer également le livre d’Arnaud GUYOT-JEANNIN, Aux sources de la droite – Pour en finir avec les clichés, paru aux éd. L’Age d’Homme en mai 2000, qui fait la part belle à plusieurs auteurs de la tendance Nouvelle Droite et exalte abondamment Julius Évola. É T U D E S 94 L’article qu’on va lire, documenté, précis, appuyé sur les textes mêmes de l’intéressé, remet les choses en place et prouve qu’Évola fut en réalité un haut initié de l’ésotérisme gnostique et un instrument choisi de la subversion dia- bolique. Étant donné la longueur de cette étude, nous n’en donnons qu’une moi- tié dans ce numéro du Sel de la terre, réservant la suite à notre prochaine li- vraison. La lecture de cet article demande quelque effort, car la pensée qui y est critiquée est à l’opposé tant de la philosophie naturelle que de la théologie catholique. Cependant l’effort en vaut la peine si l’on veut comprendre la fascination qu’une telle pensée réussit à exercer sur des esprits qui n’ont pas ou plus la foi, que l’orgueil domine et finit par livrer au démon. Le Sel de la terre. * L’ AN DERNIER, à notre congrès, parlant de René Guénon, je mettais l’accent sur la profonde différence qui sépare le concept guénonien de Tradition, entendue comme Tradition primordiale, de la Tradition catholique. La tradition de Guénon est aprioriste, elle a des prétentions à l’universalité, elle est éternelle et immuable. Elle se réfère aux conceptions indiennes antiques affirmant l’existence d’un Centre primordial, d’une Identité suprême, placée en dehors de tout espace-temps, avec des caractères de totalité, d’infinitude, d’absolu. D’elle, on ne peut rien dire, toute forme de connaissance, y compris indirecte, étant, de fait, exclue, et donc, en dernière analyse, son existence est il- lusoire. Les hommes qui s’inspiraient de cette Tradition, prétend Guénon, sont tombés dans une espèce de dégénérescence, à cause d’une forme de chute origi- nelle, qui les aurait progressivement éloignés du Centre primordial auquel, jus- qu’à ce moment, ils avaient été reliés dans une union sublime. Ce Centre, Guénon l’identifiait avec la demeure de la Tradition dite primor- diale, dépôt de la sagesse métaphysique éternelle et sans tache. Un éloignement ultérieur et une diversification, consécutifs aux vicissitudes de la création (qu’il préfère appeler « manifestation »), auraient donné naissance aux formes variées des multiples religions, selon les sensibilités naturelles particulières des différents peuples, civilisations et époques, et aux révélations connexes qui s’y rapportent. L’éloignement de l’homme de son Centre, jusqu’à presque perdre le contact avec lui, aurait culminé avec l’avènement de l’humanisme et de la Réforme, pour en arriver de nos jours à ce que la distance entre le Message primordial et ceux qui auraient dû le recevoir, fût devenue impossible à combler, suscitant un « royaume de la quantité » ou de la matière, en nette et inconciliable opposition avec celui de la « qualité » ou de l’esprit. É V O L A , A S S A S S I N D E L A J E U N E S S E LE SEL DE LA TERRE Nº 42, AUTOMNE 2002 95 Guénon assimile l’authentique déchéance du monde moderne à l’âge noir (Kali-Yuga), caractérisé par un inévitable entraînement vers le collapsus final qui constitue la fin même du cycle – conformément à l’optique orientale de l’histoire, conçue non pas comme un flux linéaire d’événements régis par une main providentielle, mais comme un éternel retour le long d’un parcours circulaire qui se répéterait indéfiniment, serait-ce même sous différentes formes. Ce serait le dernier acte de la « catharsis » [libération], laquelle est nécessaire pour introduire, selon le dogme initiatique, l’humanité dans le nouvel âge d’or. Dans cette perspective, depuis les sommets ésotériques qu’il a atteints, Guénon indique comme unique voie de salut un chemin à rebours jusqu’au Centre primordial perdu, chemin dans lequel le haut initié peut se reconnaître grâce à des techniques ésotériques opportunes. A cet effet, il encourage l’intui- tion purement intellectuelle comme moyen électif de connaissance et d’ascèse, tout le long d’un parcours de contemplation fait pour transformer la personne, en lui donnant accès à de nouvelles évidences. Évidences confortées par la dispari- tion progressive de toute distinction entre sujet et objet, entre connaître et être, jusqu’à parvenir à l’unique réalité qui éclaire et comprend tout. Là, tout devien- drait unité ; chaque dualisme, chaque opposition serait aplanie, dissoute : en un mot, l’initié, arrivé au terme de son pèlerinage, se confondrait avec la divinité elle-même, serait la divinité même 1. La Tradition primordiale, avec son caractère méta-historique et son opposi- tion au monde moderne, serait ainsi le levain d’une civilisation rigoureusement hiérarchique dirigée par les initiés, dans laquelle chaque activité serait tournée vers le transcendant. Un heureux mariage, pourrions-nous dire, entre des prin- cipes sacrés et une élite pour les appliquer, afin de combattre le mal, identifié tout simplement avec tout ce qui contribue à pervertir la dite Tradition. Bien différente est, au contraire, la Tradition catholique, qui rapporte com- ment Dieu a voulu se manifester aux hommes à travers une série de révélations directes. Tout commença par la révélation primitive et la connaissance de Dieu qu’eurent nos premiers parents et les saints patriarches. Révélation reçue et, pen- dant des millénaires, transmise oralement, jusqu’au moment où elle parvint à l’écrivain sacré, qui la fixa fidèlement dans l’Écriture. A cette première révélation s’ajouta une seconde, par l’intermédiaire surtout de Moïse, des saints prophètes et de David, Révélation que la Synagogue recueil- lera dans l’ancien Testament. La dernière Révélation, couronnement des précédentes, est celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui met le sceau définitif à la série des révélations de Dieu à l’humanité, avec la mort du dernier apôtre et l’achèvement du nou- veau Testament, désormais complet. La Tradition apostolique sera la garante de l’authenticité de ces trois 1 — Voir GUéNON René, Introduzione generale allo studio delle dottrine indù (Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues), Milan, 1989, Adelphi, p. 119. É T U D E S 96 Révélations, dont elle explique le sens et qu’elle transmet de façon exacte et vé- ridique tout au long des siècles. Les spéculations théologiques, au cours des âges, en cherchant à interpréter l’Écriture et la Tradition orale, en ont tiré de nouveaux éléments, que le magistère de l’Église a été chargé d’ajouter au trésor du deposi- tum fidei. Laquelle des deux traditions, nous demandions-nous l’an passé, est-elle la vraie ? La réponse était toutefois simple : si la Tradition primordiale de Guénon était, en effet, la vraie, alors qu’elle s’oppose aux Écritures, nous devrions en conclure que Dieu aurait menti, et que, à cause de cela, il ne serait pas cet Être parfait auquel, seul, par définition, revient uploads/Philosophie/ evola-assassin-de-la-jeunesse-i.pdf

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