Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris Entrer dans la maison des h

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris Entrer dans la maison des hommes De la clandestinité à la visibilité : trajectoires de garçons trans’/FtM Julie GUILLOT Mémoire de Master 2 Recherche Août 2008 Sociologie, mention « genre, politique et sexualités » Sous la direction de Rose­Marie LAGRAVE Directrice d’études à l’EHESS (IRIS) REMERCIEMENTS Je remercie en premier lieu toutes les personnes qui ont participé à l’enquête, pour leur disponibilité et leur générosité. Merci à Rose­Marie Lagrave, qui a dirigé ce mémoire, pour son précieux soutien ; à Valérie Beaudouin pour ses conseils ; à Marie­Hélène Bourcier pour m’avoir fait découvrir et prêté un ouvrage central dans ma bibliographie ; à Maud­Yeuse Thomas pour l’intérêt qu’elle a porté à cette recherche et l’échange constructif que nous avons eu ensemble ; à Christophe, Martine, Naïel, Sophie, Tiphaine, Valérie, Wendy, pour leur rôle d’informateurs­trices ; à Isa pour ses re­lectures critiques. « A quoi cela ressemblerait­il de vivre dans une société où l’on pourrait prendre des vacances de son genre ? Ou (encore plus important) du genre des autres ? » Pat Califia INTRODUCTION « Sometimes, masculinity has absolutely nothing to do with men. » Eve Kosofsky Sedgwick [(1995) Noble, 2004 ; ix] « On ne naît pas femme, on le devient », écrivait Simone de Beauvoir en 1949, posant les premiers jalons d’une évolution sociale et politique que le mouvement féministe des années 1970 entendait mettre en pratique. Cette formule aujourd’hui célèbre marque surtout un tournant épistémologique en établissant une distinction entre le sexe (la biologie) et le genre (au sens de sexe social et psychologique), et en mettant en lumière l’importance des facteurs sociaux­culturels dans la construction des identités de genre. En 1978, Monique Wittig poursuivra la réflexion sur ce découpage conceptuel, mais en tronquant la phrase de Beauvoir : « On ne naît pas femme », et, affirme­t­elle, « les lesbiennes ne sont pas des femmes »1. Autrement dit, si l’on ne naît pas femme, alors on peut ne pas le devenir. Les gender studiesaux Etats­Unis se sont emparées depuis plusieurs années déjà de cette question de la female gender diversity, expression que l’on ne peut traduire que maladroitement, par « diversité de genre des individus femelles ou nés de sexe féminin » : Judith Halberstam, Judith Butler, Jean Bobby Noble, Jason Cromwell, notamment, ont analysé les implications théoriques, sociales, politiques, philosophiques de cette diversité. Ces auteurcontribuent dès lors à faire émerger une catégorie spécifique, celle de la masculinité trans’. Cette catégorie inédite est devenue objet d’étude, au croisement de nombreuses disciplines, mais reste qu’il faut l’affiner et la rendre agissante dans les pratiques de recherche. Car si l’on trouve, en France, quelques travaux en sciences humaines et sociales sur la masculinité, il ne s’agit toujours que de celle incarnée par les hommes « biologiques »2. Mais qu’en est­il de la masculinité incarnée par des individus ni biologiquement mâles, ni élevés comme des garçons ? Plus précisément, celle des garçons trans’/FtM* ? Dans une société où les individus sont dès la naissance assignés au genre femme ou homme en fonction de leur anatomie, où le sexe constitue un code social fondamental, il importe de comprendre les perturbations engendrées par la transgression de ce code – lorsqu’un individu se définit comme appartenant au genre opposé, ou à un genre différent, de celui auquel il/elle a été assigné. Plus précisément, la binarité de genre n’étant pas seulement une opération de distinction sexuée, elle s’inscrit dans un système de valeurs hiérarchiques, de sorte que deux transgressions inversées appellent des analyses distinctes. Autrement dit, une trajectoire FtM ne saurait être appréhendée comme le simple symétrique d’une trajectoire MtF. Cette asymétrie est d’abord repérable par le traitement différentiel des discours sur ces deux trajectoires. Si l’on trouve, en France, des représentations et des discours concernant les trans’ MtF – biographies et autobiographies, essais, articles de presse, apparitions dans les médias, cinéma3– , tout se passe comme si, à première vue, les garçons trans’/FtM, eux, n’existaient pas. Comme si le transsexualismene concernait que les individus mâles. Dans un contexte de suprématie masculine, les femmes sont supposées désirer, en toute logique et selon le sens commun, accéder aux privilèges masculins, et le fait que certaines « prétendent » être des hommes serait dans l’ordre des choses ; à l’inverse, que des hommes désirent être des femmes représenterait le nœud même de la contradiction. Les FtM « passeraient* » plus facilement que les MtF, ils s’inséreraient donc mieux et plus rapidement dans la société et subiraient moins de discriminations. Mais ce qui est pensable, parce qu’ainsi pensé, recouvre­t­il ce qui est faisable, et ce qui se fait et se passe dans nos sociétés ? Face à la disproportion de mise en visibilité des MtF et des FtM, il faut aller regarder au­delà des apparences, pour tenter de comprendre s’il est si logique et facile, en France, aujourd’hui, de devenir un homme lorsque l’on n’est pas né doté d’un pénis. Vouloir et se 1 Monique Wittig, La Pensée Straight, Paris, Amsterdam, 2007. 2 Notamment, les travaux d’Elisabeth Badinter, XY, De l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992, et Daniel Welzer­Lang, Les Hommes et le masculin, Paris, Payot, 2008. *Les mots suivis d’une astérisque renvoient au lexique, en Annexes page 1. 3 Deux films récents en témoignent : Transamerica de Duncan Tucker (2006) et Wild Side, de Sébastien Lifshitz (2004) ont tous deux pour personnage principal une femme trans’ (MtF). L’actrice de Wild Side, Stéphanie Michelini, est trans’. Pour une analyse de la visibilité trans’ dans les medias et en particulier à la télévision, voir le mémoire en sciences de l’information et de la communication de Karine Espineira, « Analyse de la construction des cultures de genre à la télévision. La transidentité, de l’espace public à l’espace télévisuel » (Université de Provence­Aix­Marseille 1, 2007). donner les moyens d’accéder à un genre choisi est toutefois un parcours d’obstacles dont il faut retracer le fond normatif dont ils sont issus. En outre, dans le champ académique, les trans’ (MtF et FtM confondus) ne sont présents que dans les disciplines médicales, en particulier la psychiatrie, été dans une moindre mesure en droit. Toute recherche de documents et de sources les concernant est conduite au constat suivant : en France, la psychiatrie et la psychanalyse détiennent le monopole de l’étude du transsexualisme, l’immense majorité des travaux sur le sujet relevant de ces disciplines. Au fichier national des thèses de Nanterre, on recense 30 thèses de doctorat soutenues en France depuis 1974 : sur ces 30 thèses, on en compte 16 en psychiatrie4, 5 en médecine (chirurgie, endocrinologie, médecine générale, médecine légale)5, 2 en psychologie6, 3 en psychanalyse7, 1 en pharmacie8, 2 en droit9et 1 en littérature10. A quoi il faut ajouter 16 thèses d’exercice en médecine11(dont 10 en psychiatrie). Aucune étude sociologique, anthropologique ou historique n’a encore été menée à ce jour : au mieux trouve­t­on quelques articles, des mémoires de maîtrise et de DESS, mais aucun doctorat – ce qui signifie, aucune enquête d’envergure, et par conséquent, aucune donnée quantitative. Le transsexualisme et les personnes trans’ constituent un sujet de thèse légitime uniquement en droit, en psychanalyse et en psychiatrie. Ce premier constat suppose, dans un premier temps, de se tourner vers une bibliographie anglophone et plus précisément nord­américaine, afin de pallier les lacunes francophones. Dans un second temps, il faut aller chercher la parole des garçons trans’/FtM là où elle se trouve. Si le terrain et l’objet de la recherche ne sont jamais des « entité[s] ‘déjà là’ »12, la difficulté à les construire est d’autant plus grande lorsqu’à ce terrain ne correspond aucun lieu, lorsqu’à la parole n’est destiné aucun support, lorsqu’aux acteurs est assignée une impossibilité d’existence : l’enjeu est alors de construire un objet sociologique à partir d’un « espace non­social et psychiatrisé » [Thomas, 2005]. Ce contexte scientifique, politique et social constitue le point de départ et la raison majeure de cette recherche, en soulevant d’emblée trois questionnements fondamentaux qui constituent l’armature de l’analyse. En premier lieu, il importe de s’interroger sur ce qui est dit sur les trans’ – et en particulier les FtM – , qui le dit et avec quels argumentaires : où l’on s’aperçoit que lorsqu’une certaine visibilité existe, on ne sort pas du sens commun et des stéréotypes. Que ce soit en psychiatrie, en biologie, en droit, mais également dans les publications hors du champ académique, tels les medias, les discours sur et les représentations des trans’ témoignent d’un « butoir de la pensée », pour reprendre l’expression de Françoise Héritier. Il y a dans ces discours et ces représentations de l’impensable et de l’impensé, qui fondent la situation sociale, médicale, juridique des personnes trans’. Deuxièmement, ayant fait le constat de l’invisibilité quasi totale des garçons trans’/FtM, à tous les niveaux de discours et dans tous les espaces sociaux et académiques, il s’agira d’analyser les conséquences théoriques et pratiques de cette invisibilité sur les trajectoires, les discours et les représentations des acteurs. En confrontant les matériaux empiriques rassemblés lors de mon enquête auprès uploads/Philosophie/ entrer-dans-la-maison-des-hommes-de-la-clandestinite-a-la-visibilite-trajectoires-de-garcons-trans-x27-ftm.pdf

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