1 2ième école d’été de didactique des mathématiques (Olivet) Guy Brousseau, 198
1 2ième école d’été de didactique des mathématiques (Olivet) Guy Brousseau, 1983 Les « effets » du « contrat didactique » Pour suivre le conseil que m'a toujours donné ma depuis longtemps très chère Madame Krigowska, je vais appuyer mes propos d'exemples. De plus, pour éviter le désagrément des indispensables et minutieuses descriptions, je choisirai des exemples simples et célèbres. J'espère que votre expérience des questions d'enseignement vous permettra de mettre de vrais exemples sous mes propos et que vous me pardonnerez ce qu'ils ont de métaphorique. Après avoir présenté ce que j'appelle l'effet "Topaze" exemple introductif à la notion de contrat didactique, je présenterai les effets "Jourdain", "Papy", puis peut-être "Diénès"... Ensuite, dans les "échecs" observés au cours du mouvement des mathématiques modernes nous essaierons de distinguer la part qui revient au contenu lui-même et celle qui revient à notre ignorance des phénomènes de didactique. J'aurai besoin d'utiliser certaines notions comme celles de transposition didactique, "d'épistémologie du professeur", de "Statut des connaissances"... etc. Je suis conscient de ce qu'elles n'appartiennent pas au vocabulaire traditionnel de la didactique et je vous prierai de m'excuser si je n'ai pas le temps de les définir correctement. L'effet Topaze. Dans la célèbre pièce de Marcel Pagnol : "Topaze" on voit Topaze, professeur dans un établissement médiocre faire une dictée à un élève, en cours particulier. 2 "TOPAZE, (il dicte en se promenant :) "Des moutons... des moutons... étaient en sûreté... dans un parc ; dans un parc" (il se penche sur l'épaule de l'Elève (*) et reprend) "Des moutons... moutonsse..." (l'Élève le regarde ahuri). "Voyons mon enfant, faites un effort. Je dis moutonsse... étaient" (il reprend avec finesse) "étai-eunnt. C'est-à- dire qu'il n'y avait pas qu'un seul moutonne. Il y avait plusieurs moutonsse". (l'Élève le regarde perdu...)" Nous voyons ici comment Topaze transforme un problème d'orthographe en problème de phonétique, puis celui-ci n'étant même pas reconnu par l'élève comment Topaze essaye d'obtenir une réponse correcte en donnant la clé de cette énigme mais en la dissimulant sous un nouveau problème : L'élève doit reconnaître pourquoi "moutonne" s'oppose à "moutonsse"... etc Il apparaît clairement qu'il y a une sorte de négociation : Topaze propose successivement des problèmes pour lui "de moins en moins difficiles" et finit par vider la question de son sens. Sans doute dirait-il qu'il cherche d'abord à ce que l'élève "pense à appliquer la règle", puis à ce que l'élève "applique la règle maintenant évoquée", puis à ce qu'il "témoigne qu'il connaît l'existence de la règle",... il finira peut-être par la lui faire réciter ... ou la lui faire apprendre... on sera loin de la dictée et de ses buts. (1) Marcel Pagnol a écrit dans toute cette page l'Élève avec un É majuscule. 3 Cet exemple est typique de certaines situations didactiques où des questions sont explicitement posées aux élèves mais où le professeur prend à sa charge l'essentiel du travail. Pourquoi ? Il montre que le professeur semble avoir besoin à tout prix d'une réponse correcte de l'élève et que d'autre part, il ne peut pas se résoudre à la donner directement. Pourquoi ? La réponse donnée par l'élève au problème d'orthographe n'aura pas du tout, non seulement la même valeur, mais le même sens que celle qu'il donnerait au problème de phonétique - Topaze négocie donc le sens qu'aura le comportement finalement déterminé de l'élève (car il faudra bien finir par le mettre ce s, ne serait-ce qu'à la correction de la dictée), ici, l'élève n'entre pas dans le jeu. Quelles sont les règles de ce jeu ? Nous appelons "effet Topaze" l'échec de cette négociation didactique lorsqu'il consiste pour le maître à vider de leur sens et de leur contenu cognitif les questions qu'il a posées. On peut observer un échec trivial, qui consiste à dicter la réponse à l'élève, mais aussi des échecs non triviaux comme celui qui consiste à dissimuler cette réponse sous une sorte de codage conventionnel ou en tout cas connu de l'élève ; ceci lui permet de répondre sans vraiment mettre en oeuvre la connaissance visée mais chacun sauve la face. Comment expliquer l'effet Topaze ? La difficulté de la connaissance ou l'insuffisance des professeurs ou des élèves sont une mauvaise explication car l'effet Topaze peut se produire avec tous les professeurs sur tous les sujets. La manipulation des questions pour obtenir la signification "maximum" pour le "maximum" d'élèves qui produisent tous la bonne réponse est au contraire une nécessité dictée par des obligations auxquelles le professeur ne peut pas échapper et que nous appelons contrat didactique. Cette négociation le conduit à utiliser tout un arsenal de questions qu'il estime équivalentes des hiérarchies de questions de plus en plus simples, de concepts réducteurs et de changements de registre que nous appelons "l'épistémologie du professeur". 4 Ces questions sont au coeur de l'analyse des phénomènes didactiques et je voudrais faire remarquer le glissement qui conduit à ne pas seulement observer les comportements des élèves mais à tenir pour essentielle la manière de les obtenir. Les mathématiques par leur nature même se prêtent magnifiquement à ce jeu. Les heuristiques de Polya sont elles autre chose que cette épistémologie du professeur ? Le contrat didactique (1). Ainsi dans toutes les situations didactiques, le maître tente de faire savoir à l'élève ce qu'il veut qu'il fasse. Théoriquement, le passage de l'information et de la consigne du maître à la réponse attendue devrait exiger de la part de l'élève la mise en oeuvre de la connaissance visée, qu'elle soit en cours d'apprentissage ou déjà connue. Nous savons que le seul moyen de "faire" des mathématiques c'est de chercher et résoudre certains pro- blèmes spécifiques et à ce propos de poser de nouvelles questions. Le maître doit donc effectuer non la communi- cation d'une connaissance, mais la dévolution du bon pro- blème. Si cette dévolution s'opère, l'élève entre dans le jeu et s'il finit par gagner, l'apprentissage s'opère. Mais si l'élève refuse ou évite le problème, ou ne le résout pas ? Le maître a alors l'obligation sociale de l'aider et même parfois de se justifier d'avoir posé une question trop difficile. Alors se noue un contrat qui détermine - explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement - ce que chaque partenaire,-l'enseignant et l'enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera d'une manière ou d'une autre 5 responsable devant l'autre. Ce qui nous intéresse ici est le contrat didactique, c'est-à-dire la part du contrat qui est spécifique du "contenu" : la connaissance mathématique. Par exemple, voici quelques conditions auxquelles le maître doit se soumettre : Il ne peut interrompre la relation didactique sur un contrat d'échec. Il ne peut pas laisser vide d'activité utile un moment. L'effet Jourdain. C'est une dégénérescence non triviale de l'effet Topaze : Le professeur, pour éviter le débat de connaissance avec l'élève et éventuellement le constat d'échec, admet de reconnaître dans les comportements ou dans les réponses de l'élève, bien qu'elles soient en fait motivées par des causes banales, l'indice d'une connaissance savante. L'exemple le plus célèbre est celui que donne Molière dans "Le Bourgeois Gentilhomme". Le maître de Philosophie - à qui M. Jourdain, le bourgeois gentilhomme demande de lui apprendre "l'orthographe et l'almanach" - ceci révèle que tout ce qui n'est point vers est prose et tout ce qui n'est point prose est vers. "Alors, quand je dis : "Martine apporte-moi mes pantoufles, c'est de la prose ? - Mais oui..." et M. Jourdain est ravi de voir ainsi une phrase banale prendre place dans l'édifice du savoir. Tout le comique de la scène est basé sur le ridicule de cette sacralisation d'activités familières dans un discours savant. Et Molière insiste. Le maître de philosophie fait une classification et une description minutieuse des voyelles tandis qu'il fait faire seulement à son élève "a" ou "u" que le savoir est une belle chose, et que je vous veux de mal mes parents de ne point m'avoir fait instruire - s'écrie M. Jourdain. Combien d'exemples n'avons nous pas vus de ce phénomène lorsque l'élève à qui l'on faisait faire des manipulations un peu étranges avec des pots de yaourt ou des 6 images coloriées se voyait déclarer "tu viens de découvrir, c'est un groupe de Klein". D'une façon moins grossière, le désir d'insérer la connaissance dans des activités familières peut conduire le professeur à substituer à la problématique véritable et spécifique, un autre, par exemple métaphorique ou métonymique et qui ne donne pas un sens correct à la situation. En fait souvent les deux problématiques sont présentes et le professeur essaie d'obtenir le meilleur compromis. Je laisse de côté pour l'instant une perversion de l'effet Jourdain assez commune qui consiste pour le professeur à préférer des problématiques secondaires au débat principal, parce que c'est là qu'il a investi son désir. Par exemple, il introduit des innovations sur des points mineurs ou surajoute carrément des exigences étrangères et en fait l'objet principal de l'apprentissage et de son jeu avec l'élève. Les structures mathématiques donnent évidemment un prix entièrement favorable à ce uploads/Philosophie/ effet-de-contrat.pdf
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- Publié le Fev 27, 2021
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