L'être et l'essence, « De ente et essentia » Saint Thomas d’Aquin (Oeuvre authe

L'être et l'essence, « De ente et essentia » Saint Thomas d’Aquin (Oeuvre authentique 1254-1256) Traduction Alain Blachair, mars 2005 Edition numérique http://docteurangelique.free. fr 11 avril 2005 Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin Prooemium – Prologue Une petite erreur au commencement devient grande à la fin, comme le dit le Philosophe1, au Livre I du Traité du ciel2. Or, l’étant et l’essence sont ce qui est conçu dans une première intellection 3, selon Avicenne, au début de sa Métaphysique4. Il convient donc, pour que l’ignorance à leur sujet ne devienne source d’erreur, et pour lever les difficultés qui portent sur ces termes, de dire ce que signifient les noms d’étant et d’essence, comment ce qu’ils désignent se trouve dans les différentes réalités, et quels sont leurs rapports avec les intentions logiques que sont le genre, l’espèce et la différence. Mais, parce que nous devons acquérir la connaissance des réalités simples à partir des composées, et arriver à ce qui est premier à partir de ce qui est postérieur, l’enseignement le plus adapté est celui qui comment par ce qui est le plus facile. Pour cette raison, il faut partir de la signification de l’étant pour aboutir à celle de l’essence. Caput I – Chapitre 1 Il faut donc savoir que, comme le dit le Philosophe au livre V de la Métaphysique5, l’étant se dit, au sens propre, de deux manières, l’une qui désigne ce qui se divise selon les dix catégories, et l’autre, ce qui signifie la vérité des propositions. Leur différence est que l’étant au second sens peut désigner tout ce qui est matière à former une proposition affirmative, même si cela ne désigne rien de positif dans la réalité. C’est en ce sens que les privations et les négations sont dites des étants : nous disons en effet que l’affirmation est opposée à la négation, et que la cécité est dans l’œil. Mais dans le premier sens, ne peut être appelé étant que ce qui désigne quelque chose de positif dans la réalité. C’est ainsi qu’au premier sens, la cécité et ce qui lui est semblable ne sont pas des étants. Le nom d’essence n’est donc pas tiré de celui d’étant pris au second sens. En effet, certains des étants ainsi nommés n’ont pas d’essence, comme cela est évident pour les privations. Mais essence est tiré de l’étant au premier sens. C’est pourquoi le Commentateur6, sur ce même passage, dit que l’étant au premier sens est ce qui signifie l’essence d’une réalité7. Et, puisque, comme cela a été dit, l’étant pris en ce sens se divise selon les dix catégories, il convient que l’essence signifie quelque chose de commun à toutes les natures, par lesquelles les étants sont classés dans les divers genres et espèces, de la même manière que l’humanité est l’essence de l’homme, et ainsi de suite. Et parce que ce qui fait qu’une réalité est placée dans son genre ou son espèce propre, est ce qui est signifié par la définition indiquant ce qu’est la chose, les philosophes8 ont changé le terme d’essence en celui de quiddité9. Et c’est pourquoi le Philosophe la nomme souvent ce que c’était qu’être10, c’est à dire ce par quoi une chose quelconque a d’être quelque chose. 1 C’est-à-dire Aristote. 2 Traité du Ciel, I, 9, 271 b 8-13. 3 On peut considérer primo soit comme un adverbe : tout d’abord. Dans ce cas, intellectu est complément d’agent, et il faut traduire : ce que l’intellect conçoit en premier lieu. On peut aussi considérer primo comme un adjectif. Or c’est précisément cette deuxième construction qui est utilisée dans la traduction du texte d’Avicenne auquel saint Thomas fait référence ici. Voir le premier texte cité dans la note suivante. 4 Avicenne, Métaphysique, I, 6 : « Dicemus igitur quod ens et res et necesse talia sunt quod statim imprimuntur in anima prima impressione » : « nous disons donc que étant ou chose sont nécessairement de ces [notions] qui sont aussitôt imprimée dans l’âme par une première impression. » (ed. Venetiis 1508. fol . 72 rb. a) ; plus bas : « Unaquaeque enim res habet certidudinem qua est id quod est… Unaquaeque res habet certidudinem propriam quae est eius quidditas » : « toute chose en effet possède la détermination par laquelle elle est ce qu’elle est… Tout chose possède une détermination propre qui est sa quiddité » (Ibid., f. 72 va C). 5 Métaphysique V (ou Δ), 9, 1017 a 22-35. 6 Averroès. 7 Averroès, Métaphysique V, comm. 4 : « Sed debes scire universaliter quod hoc nomen ens quod significat essentiam rei est aliud ab ente quod significat verum » : « Mais tu dois savoir que, de manière universelle, ce nom d’étant qui signifie l’essence d’une réalité est autre que celui qui signifie le vrai ». 8 Avicenne, Métaphysique V, 5, Averroès, Metaphysique, V, en plusieurs endroits. 9 Du pronom interrogatif quid : quoi, comme dans : quid est ? Qu'est ce que c'est ? 10 Par exemple : Seconds Analytiques, II, 4-6, 91 a 25 – 92 a 25 ; Métaphysique, VII (ou Z), 3-6, 1028 b 34 – 1032 a 29. Elle est aussi appelée forme, puisque la forme signifie la détermination propre à chaque chose, comme le dit Avicenne au deuxième livre de sa Métaphysique11. Ceci est dit aussi par l’autre de nom de nature, en le prenant au premier des quatre sens que Boèce assigne à ce terme dans le livre des deux natures12 : est appelé nature tout ce que l’intellect peut saisir d’une manière quelconque. Une chose n’est en effet intelligible que par sa définition et son essence. Et c’est ainsi que le Philosophe dit au livre V de sa Métaphysique13 que toute substance est nature. Cependant, le terme de nature pris en ce sens signifie l’essence d’une chose, en tant qu’elle est ordonnée à son opération propre : la raison en est que nulle chose ne peut être privée de l’opération qui lui est propre. Le terme de quiddité quant à lui est tiré du fait que l’essence est ce qui est signifié par la définition. Mais elle est appelée essence en tant que l’étant possède l’être en elle et par elle. Mais, parce que l’étant se dit de manière absolue et en premier lieu des substances, et seulement de manière seconde et relative des accidents, il y a donc proprement et véritablement essence dans les substances, et seulement d’une certaine manière et relativement dans les accidents. Or, certaines substances sont simples et d’autres composées, et il y a essence dans les deux, mais d’une manière plus vraie et plus noble dans celles qui sont simples, en ce qu’elles possèdent un être plus noble. Elles sont en outre causes de celles qui sont composée, au moins en ce qui concerne la première substance simple qui est Dieu. Mais parce que les essences de ces substances nous sont plus cachées, il faut commencer par les essences des substances composées, afin que l’enseignement soit le plus adapté en commençant par ce qui est le plus facile. Caput II – Chapitre II On connaît, dans les substances composées, la matière et la forme, à la manière de l’âme et le corps chez l’homme. Mais il est impossible de dire que l’une d’entre elles est l’essence à elle seule. Que la matière seule ne soit pas l’essence d’une réalité, cela est évident, parce que c’est par son essence qu’une réalité est connaissable et peut être rangée dans une espèce ou un genre. Mais la matière n’est ni un principe de connaissance, ni ce par quoi quelque chose est déterminé à appartenir à une espèce ou à un genre, mais cela se fait par ce qu’elle est en acte14. Mais la forme seule ne peut pas non plus être dite l’essence d’une substance composée, bien que certains s’efforcent de le soutenir15. Il est évident d’après ce qui vient d’être dit que l’essence est ce qui est signifié par la définition de la chose. La définition des substances naturelles ne contient pas seulement la forme, mais aussi la matière ; autrement en effet, il n’y aurait pas de différence entre les définitions physiques et les définitions mathématiques. Il est également impossible de dire que la matière serait introduite dans la définition des réalités naturelles comme un ajout ou un étant extérieur à son essence, parce que cette sorte de définition est propre aux accidents, qui n’ont pas d’essence parfaite. C’est à cause de cela qu’il convient de les définir en leur donnant un sujet qui est extérieur à leur genre. Il est donc évident que l’essence inclut la matière et la forme. Il est également impossible de dire que l’essence signifie une relation entre la matière et la forme, ou quelque chose qui leur soit ajouté, parce que cela serait nécessairement quelque chose d’accidentel et d’extérieur à la chose, qui ne pourrait pas non plus la faire connaître, alors que ces caractères conviennent à l’essence. Par la forme en effet, qui est l’acte de la uploads/Philosophie/ eete-fr.pdf

  • 39
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager