Teresa de Lauretis Théorie queer et cuhures populaires De Foucault à Cronenberg
Teresa de Lauretis Théorie queer et cuhures populaires De Foucault à Cronenberg Traduction de l'anglais (États-Unis) de Marie-Hélène Bourcier Préface de Pascale Molinier « Le genre du monde» La Dispute REMERCIEMENTS Un grand merci de la préfacière. de la traductrice et des éditeurs à Nicole Eisen- man pour sa réactivité et son outrageous talent. © Teresa de Lauretis Pour la traduction française: © 2007. La Dispute/Snédit, Paris ISBN: 978-2-84303-113-7 Théorie queer: sexualités lesbiennes et gaies. Une introduction Les articles réunis dans ce numéro sont l'aboutis- sement d'un colloque sur la théorisation des sexuali- tés lesbiennes et gaies qui s'est tenu à l'université de Californie, à Santa Cruz, en février 1990.1Le projet du colloque prenait pour point de départ l'hypo- thèse spéculative selon laquelle l'homosexualité ne doit plus être simplement perçue comme marginale par rapport à une forme de sexualité dominante et stable (l'hétérosexualité) vis-à-vis de laquelle elle serait définie de façon homologique ou en opposi- tion. En d'autres termes, l'homosexualité n'a plus à être perçue comme simplement transgressive ou 1. Je voudrais remercier les participants du colloque ainsi que les auteurs des articles de ce numéro pour leurs présentations et leur contribution. Les participants: Francisco Alarcon. Thomas Almaguer. Lourdes Argüelles. Scott Bravrnann. Sue- Ellen Case. Carolyn Clark, Michael Cowan. Julia Creet. Karen Davis. Samuel R. Delany. Julia Erhart. Elizabeth A. Grosz. 95 Théorie queer et cultures populaires déviante par rapport à une sexualité naturelle et respectable (c'est-à-dire la sexualité reproductive institutionnalisée) selon le vieux modèle patholo- gisant ou encore comme un «style de vie» option- nel, selon le modèle du pluralisme nord-américain contemporain. Les homosexualités masculine et féminine, dans l'articulation politico-sexuelle qui est celle des sexualités lesbiennes et gaies en Amérique du Nord, peuvent être reconceptualisées comme des formes sociales et culturelles en soi, bien qu'émergentes et encore floues dans leur défi- nition, sous-codées ou discursivement dépendantes de formes établies. Ainsi, plutôt que de marquer les limites d'un espace social, en désignant une place à la frange de la culture, la sexualité gaie dans ses formes culturelles (ou subculturelles) féminines et masculines spécifiques est un acteur du proces- sus social dont le mode de fonctionnement est à la fois interactif et pourtant résistant, participatif et pourtant distinct, revendiquant à la fois l'égalité (Suite de la note 1 de la page 95) Ramon Garcia, Marjorie Garber, David Halperin, Donna Haraway, Sue Houchins, Earl Jackson,J.-R., D. A. Miller, Madeline Moore, Ekua Omosupe, Vito Russo, Nancy Stoller Shaw, Jennifer Terry, David Thomas, Patricia White et Carter Wilson. Je souhaite également saluer l'aide généreuse qu'ont apportée plusieurs départements universitaires et administratifs du campus de UCSC,la division des Humanités, le Centre des études culturelles, le département des Études littéraires et de l'histoire de la conscience et le Bureau du président à Berkeley. Mes remerciements et ma reconnaissance vont également à l'équipe du colloque, Maggie Collins, Julia Creet et Scott Bravmann, dont l'infatigable gentillesse a grandement contribué à son succès. Un dernier remerciement spécial pour Julia Creet, qui m'a aidée dans l'établissement de la première version du manuscrit de ce numéro, et pour Jenny Anger, assistante éditoriale de Dilferences, qui a mené à bien la version finale et la publication. 96 Théorie queer: sexualités lesbiennes et gaies et la différence, exigeant une représentation poli- tique tout en insistant sur sa spécificité matérielle et historique. Dans cette perspective, les travaux de ce collo- que avaient pour but d'articuler les termes dans lesquels les sexualités gaies et lesbiennes peuvent être comprises et imagées comme des formes de résistance àl'homogénéisation culturelle, contrant les discours dominants à l'aide d'autres construc- tions du sujet dans la culture. Mon espoir était que ce colloque problématiserait également certaines constructions discursives et certains silences cons- truits dans le champ émergent des «études gaies et lesbiennes» et explorerait aussi des questions qui ont été à peine abordées jusqu'à présent, telles que les fondements respectifs et/ou communs des prati- ques et des discours actuels des homosexualités, leur relation avec le genre et la race ainsi que les différen- ces attenantes (différence de classe, différence ethni- que, différence générationnelle et géographique, position sociopolitique). respérais que nous serions prêts à étudier, à rendre explicites, à comparer et à confronter les histoires respectives, les suppositions et les cadres conceptuels qui ont caractérisé jusqu'à aujourd'hui les autoreprésentations des lesbiennes et des gais nord-américains blancs et de couleur; de là, nous pourrions avancer pour remodeler ou réinventer les termes de nos sexualités, construire un autre horizon discursif, une autre manière de penser le sexuel. Je voudrais suggérer comment, chacun à leur manière, ces articles participent à ce projet. D'où le titre du colloque et de ce numéro de la revue Dijferences. «Queer Theory» attire l'attention sur deux aspects: le travail conceptuel et spéculatif qu'implique la production du discours et la nécessité 97 Théorie queer et cultures populaires d'un travail critique qui consiste à déconstruire nos propres discours et nos silences construits. La barre gaie/lesbienne: un assemblage purement théorique? La présence du terme «queer» juxtaposé à rexpression «lesbienne et gaie» du sous-titre est destinée à marquer une certaine distance critique par rapport à cette dernière, une formule désor- mais bien établie et bien pratique.2 Car l'expres- sion «lesbienne et gai» ou «gai et lesbienne» est devenue la formule standard pour se référer à ce qui, il y a quelques années seulement, était simplement «gai» (par exemple, la communauté gaie, le mouve- ment de libération gai) ou bien «homosexuel» quel- ques années plus tôt. Un rapide tour d'horizon des quelques titres des classiques de l'histoire ou de la sociologie gaies des vingt dernières années nous donne la liste suivante: Coming Out: Homosexual Polities on Britain from the Nineteenth Century to the Present (1977) de Jeffrey Weeks, Sexual Polities, Sexual Communities: TheMaking of a Homosexual Minority in the United States, 1940-1970 (1983) de John d'Emilio, TheMaking of the Modem Homosexual (1981) par Kenneth Plummer, Homosexual: Oppres- 2. Le terme «queer» m'a été suggéré à un colloque auquel je participais et dont les actes vont prochainement être publiés dans rouvrage dirigé par Douglas Crimp et le collectif Bad Object Choices. How Do 1Look? Queer Film and Video. Cependant, mon « queer» n'a pas de rapport avec le groupe Queer Nation dont j'ignorais rexistence à l'époque. Comme les articles le montrent, Queer Nation et cette théorie queer n'ont guère de choses en commun. 98 Théorie queer: sexualités lesbiennes et gaies sion and Liberation (1971) et TheHomosexualisation ofAmerica (1982) de Dennis Altman et Social Theory, Homosexual Realities (1984) de Stephen Murray. Mais le titre de l'article de 1987 de Steven Epstein paru dans la revue Socialist Review où sont discutés tous ces livres est « Gay Polities, Ethnie Identity» et celui de l'anthologie parue en 1989sous la direction de Martin Duberman, Martha Vicinus et Georges Chauncey Or): Hiddenfrom History: Reclaiming the Gay and Lesbian Pasto Le discours de l'historiographie et de la sociologie gaies blanches qui se contentait d'ajouter les femmes après coup, avec peu ou pas de compréhension de la spécificité sociosexuelle féminine s'est développé séparément du discours des publications sur le lesbianisme blanc, lequel a commencé en 1956 avec SexVariant Women in Literature de Jeannette Foster et s'est poursuivi avec, entre autres, SydneyAbbott et Barbara Love (Sappho WasaRighton Woman, 1972), JillJohnston (Lesbian Nation: TheFeminist Solution, 1973), Ti-Grace Atkinson (Amazon Odyssey, 1974), Dolores Klaich (WomanPlus Woman, 1974),Barbara Ponse (Identities in the Lesbian World: the Social Construction of Self, 1978), pour finir avec l'article d'Adrienne Rich, {< Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence »,publié pour la première fois dans la revue Signs en 1980. On constate à la lecture de ces premiers titre qu'ils mettent l'accent sur le genre et la spécificité socioculturelle - femme, lesbienne, féministe, amazone -, des traits absents de la liste précédente et pourtant caractéristiques de la pensée et de l'autoreprésentation lesbiennes dès le départ. Apparemment, la sexualité lesbienne n'abandonne pas facilement ses liens imaginaires et symboliques avec le genre, quel que soit le trouble que ce dernier 99 Théorie queer et cultures populaires puisse causer. TI y a bien sûr des travaux qui traitent de l'homosexualité, plus particulièrement l'article de Mary McIntosh «The Homosexual Role» (1986)mais les lesbiennes nord-américaines n'ont pas gardé ce terme pour se désigner, précisément à cause de sa proximité avec l'homosexualité masculine et de l'élision de la spécificité sexuelle et des question- nements par rapport au genre qu'il entraîne. Elles l'ont également rejeté à cause du stigma que véhi- cule encore le terme «homosexuel» que beaucoup identifient comme un terme «médical ».En Europe et en Amérique latine, l'utilisation du terme homo- sexuel (décliné au féminin) recouvre d'autres histoi- res et soulève d'autres problèmes. Aujourd'hui, nous avons d'un côté les termes «lesbien» et «gai» pour désigner différentes sortes de style de vie, de sexualités, de pratiques sexuel- les, de communautés, de problèmes, de publica- tions et de discours; de l'autre côté, l'expression «gai et lesbienne» ou de plus en plus fréquemment «lesbienne et gai» (les femmes d'abord) est devenue monnaie courante: Coming Up s'est appelée le Gay/ Lesbian Newspaper and Calendar of Events of the Bay Aera, tandis que le uploads/Philosophie/ de-lauretis-theorie-queer-une-introduction.pdf
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- Publié le Fev 09, 2022
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