LA GRAMMAIRE DES PARTICULES EN ANCIEN FRANÇAIS: SÉMANTISME, DISTRIBUTION ET PER
LA GRAMMAIRE DES PARTICULES EN ANCIEN FRANÇAIS: SÉMANTISME, DISTRIBUTION ET PERTE DE PRODUCTIVITÉ* Heather Burnett, Katrina Petrik & Mireille Tremblay Queen's University et Université d'Ottawa 0. Introduction La plupart des grammairiens prennent pour acquis que les items lexicaux sont organisés en classes de mots qu’on appelle « parties du discours » ou « catégories ». En grammaire générative, la nature exacte de ces classes de mots a fait l’objet de nombreux débats. Parmi les enjeux importants, on peut nommer la nature des distinctions catégorielles et le caractère plus ou moins primitif des catégories. Ainsi, selon de nombreux auteurs ((Lyons (1968), Jackendoff (1990) et Hale & Keyser (1993)), les distinctions catégorielles ont un fondement sémantique. Ces auteurs définissent les catégories en termes notionnels, effectuant une correspondance systématique entre type sémantique et réalisation catégorielle. Par exemple, les verbes correspondraient à des activités, les noms à des entités, etc. Par ailleurs, depuis Chomsky 1970 et Jackendoff 1977, il est couramment accepté de dire que les catégories syntaxiques ne sont pas des primitifs, mais plutôt un ensemble de traits plus ou moins complexes, traits qui peuvent être définis en termes purement syntaxiques (Chomsky 1970, Jackendoff 1977) ou mixtes (Baker 2003). Au cours des dernières années, de nombreux travaux (Hale & Keyser 1993, Halle & Marantz 1993, Borer 2005a, 2005b, Déchaine & Tremblay (en prép.) ont remis en question ces approches traditionnelles. Selon ces auteurs, les distinctions catégorielles émergent comme un épiphénomène : les items lexicaux ne sont pas marqués de façon inhérente pour la catégorie syntaxique et les distinctions catégorielles sont le reflet du contexte grammatical dans lequel un item lexical donné est inséré. Ainsi, pour Déchaine & Tremblay, en prép., un item lexical est un ensemble de traits phonologiques et sémantiques, sans statut catégoriel prédéterminé. Les distinctions entre catégories résultent de l’opération MERGE : les noms correspondant à un item lexical sous la tête fonctionnelle D (Déterminant), les verbes à un item lexical sous ASP (Aspect), alors que les prépositions sont dans une relation locale avec une autre tête lexicale L1. * Nous tenons à remercier vivement les participants à l'Atelier bilingue en linguistique théorique (U. York, décembre 2004) et au colloque annuel 2005 de l'Association canadienne de linguistique (UWO) pour leurs commentaires et suggestions. Cette recherche a été partiellement subventionnée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (subventions # 410-05-1518 (M. Tremblay) et # 412-2003-1003 (Di Sciullo)) et par la Fondation des bourses du millénaire du Canada (H. Burnett). 1 Selon Déchaine & Tremblay (en prép.), la présence des têtes fonctionnelles D et ASP suit du Principe d’interprétation complète : les arguments requièrent la présence de D pour l’ancrage référentiel et les événements requièrent la présence de ASP pour l’ancrage aspectuel. Actes du congrès annuel de l’Association canadienne de linguistique 2005. Proceedings of the 2005 annual conference of the Canadian Linguistic Association. © 2005 Heather Burnett, Katrina Petrik et Mireille Tremblay 2 (1) a. Nom: [DP D [LP L ]] b. Verbe: [ASPP ASP [LP L ]] c. Préposition: [LP L [LP L ]] En éliminant l'information catégorielle des entrées lexicales et en limitant l'entrée lexicale aux traits phonologiques et sémantiques, cette approche restreint le rôle du lexique dans la grammaire. En effet, en l'absence de traits catégoriels, il devient de plus en plus difficile de maintenir dans l'entrée lexicale l'information de type argumental et, de fait, de nombreux travaux récents militent, soit directement, soit indirectement, en faveur d'une telle épuration du lexique. Ainsi, selon (Roberge 2004; Cummins & Roberge 2005), la transitivité ne peut être une propriété catégorielle ou lexicale, puisque les langues du monde semblent permettre aux verbes intransitifs d'apparaître avec un objet direct, et aux verbes transitifs d'apparaître sans objet phonologiquement réalisé. Plus récemment, Borer (2005b) adopte une position plus extrême en proposant d'éliminer ce type d'information de l'entrée lexicale: […lexical entries do not contain information about the projection of arguments, nor are there any specified links between the lexical semantics of individual lexical items and syntactic positions]. Borer (2005b:73) Le présent article fournit des arguments supplémentaires en faveur d’un lexique d'où on aurait évacué toute information catégorielle ou argumentale. Notre étude porte plus particulièrement sur la relation entre particule et préposition dans l'histoire du français23. Nous proposons qu’il n’existe pas de distinctions syntaxiques ou sémantiques inhérentes entre particule et préposition: la transitivité des prépositions n'étant pas une propriété catégorielle, la différence entre particule et préposition ne peut être attribuable à des différences argumentales, qu'on parle de sélection-c (sous-catégorisation) ou de sélection-s (structure conceptuelle). La différentiation entre particule et préposition n’est donc pas inscrite dans le lexique mais résulte de l’opération Merge. Selon cette approche, il n'existe pas de différence de transitivité entre prépositions et verbes : dans les deux cas, la transitivité des items lexicaux découlant dans les deux cas de l'opération Merge. Cette approche de la transitivité n'est pas sans rappeler celle développée dans Borer (2005b). 2 Les données de cette étude proviennent principalement du corpus, Base de français médiéval, constitué par Christiane Marchello-Nizia de l’ÉNS-Lyon. 3 La pertinence de l’alternance préposition-particule dans les débats entourant le rôle du lexique et la question de la transitivité a trop longtemps été sous-estimée. Ce phénomène est sans doute attribuable au fait que les prépositions sont souvent traitées dans certains cadres théoriques comme faisant partie du système fonctionnel (Abney 1987, Baker 2003). Or, notre étude apporte des raisons de considérer les prépositions et les particules comme des items lexicaux et non fonctionnels. Nous renvoyons le lecteur à Déchaine & Tremblay in prép. pour une discussion approfondie du caractère lexical des prépositions. 3 Notre article sera organisé de la façon suivante. Dans la première section, nous exposons la problématique reliée à la distribution des particules et des prépositions en ancien français. Les deux sections qui suivent traitent de l'interprétation des particules (§2) et de la transitivité des prépositions (§3) dans cette langue. Dans la quatrième section (§4), nous montrons comment les distinctions sémantique et distributionnelle entre particules et prépositions sont tributaires de l'environnement syntaxique et des opérations computationnelles. Finalement, la dernière section (§5) traite de la perte des particules dans l'histoire du français et discute des restrictions imposées par notre analyse sur le type d'explications auxquelles on peut faire appel pour rendre compte de ce changement. 2. Les particules en ancien français 2.1 Le système des particules Comme l'a fait remarquer Buridant 2000, un grand nombre de prépositions de l'ancien français pouvaient avoir une utilisation soit transitive (2), soit intransitive4 (3). (2) a. Sus sa poitrine tenoit ses mains croisant Sur sa poitrine gardait ses mains croisées. Il gardait ses mains croisées sur sa poitrine” Aliscans, 827, cité dans Buridant 2000, §388. b. …avant que li solaus fust levés, …avant que le soleil fut levé, « …avant que le soleil soit levé, » Artu, p. 150 (3) a. Si corent sus au chevalier (pro 3pp) courent (part.) vers le chevalier ils poursuivent le chevalier Artu, p.??? b. …ceus qui avant venoient …ceux qui avant venir(3pp) ‘ceux qui avançaient’ 4 L'utilisation intransitive des prépositions ne doit pas être confondue avec leur utilisation comme prépositions orphelines qui, selon Zribi-Hertz 1983, impliquent un argument implicite. (1) Lors pensent des plaies Lancelot et metent sus ce qu’il cuident qui bon li soit… «Alors ils pansent les plaies de Lancelot et y appliquent ce qu’ils pensent bon pour lui. » Artu, p. 203 4 Artu, p. 127 Comme l'ont montré Dufresne, Dupuis & Tremblay, 2003, les particules forment une unité sémantique avec le verbe qu’ils modifient, mais cette construction n’est pas un atome syntaxique, puisque le verbe et la particule peuvent être séparés par un sujet (4a), un objet direct (4b) ou un adverbe (4c): (4) a. …et pour ce se trait il ariere …et pour cela, se trait il ariere …et, à cause de cela, il est parti Trispr p. 263 b. le mers reportoit le nef ariere. ‘la mer a ramené le bateau’ Clari p. 74 c. Je lour courui esranment sus … Je les pourchassai aussitôt… Trispr, p. 62 Dans certains cas, le sens du prédicat complexe (V+PART) demeure compositionnel, tel qu’illustré en (5). (5) a. …qu’il est menterres de metre tel chose avant. …qu’il est mensonger d’avancer de telles choses. Artu, p. 37 b. je m’en irai ariere a mon signour je CL-CL aller-FUT ariere à mon seigneur ‘Je retournerai à mon seigneur’ Artu, p. 143 Il existe toutefois de nombreuses formes apparemment lexicalisées, comme les prédicats complexes metre sus « accuser » et corre sus « attaquer » : (6) a. la reïne te pardonra ce meffait que tu li as mis sus..... la reine te pardonnera ce méfait dont tu l’avais accusé Artu, p. 106 b. Lors li corent li autre sus de parole et dient : Dame, vostre escondires ne vos vaut neant ; Alors, les autres l’invectivent et lui disent : Dame, votre refus ne vous vaut rien. Artu, p.174 Il nous apparaît nécessaire, dans notre recherche sur la représentation lexicale des particules, d’éliminer ces formes mémorisées de l’objet d’étude et de se concentrer seulement uploads/Philosophie/ burnett-petrik-tremblay-la-grammaire-des-particules-en-ancien-franc-ais-se-mantisme-distribution-et-perte-de-productivite.pdf
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- Publié le Dec 29, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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