Le mythe, au sens ordinaire du terme, est une croyance imaginaire, voire menson

Le mythe, au sens ordinaire du terme, est une croyance imaginaire, voire mensongère, fondée sur la crédulité de ceux qui y adhèrent1 : par exemple, le mythe du « zéro papier », selon lequel l'informatisation permettrait de supprimer totalement la consommation de papier. Or, comme l'impression en double exemplaire de ce travail le montre bien, le zéro papier, annoncé dès 1950 par Taiichi Ono2 , est loin d'être une réalité. Imaginaire, voire mensonger, le mythe serait, dans ce cas, synonyme de fable, de conte, voire de mystification. mythe défini comme un récit légendaire ou fabuleux, d'origine populaire et non réfléchie qui, sous forme narrative, raconte les faits et gestes de personnages réels ou imaginaires (ce que les grecs nomment le muthos). s. Le premier sens de muthos est la parole exprimée, et, par extension, le récit. Mais à partir d'Homère (Vème siècle av. J.-C.), le terme grec prend également le sens plus précis de légende, récit non historique, qui s'oppose alors au logos, qui est également la parole, et donc par extension un récit d'histoire, mais une histoire vraie, dont on a un témoignage5 . Or, jusqu'au Vème siècle, il n'y a pas de différenciation dans la langue grecque entre le muthos, qui est un récit légendaire, et le logos, qui est un discours, une fable. Jusqu'au Vème siècle, muthos et logos sont donc synonymes. Ce n'est que par la suite que logos va prendre le sens d'histoire vraie, validée, en quelque sorte, par le témoignage Place du mythe dans l'histoire de la philosophie: la sagesse du mythe Malgré l'opposition que nous avons analysée entre le mythe et la philosophie, les deux types de discours, bien au-delà de l'usage platonicien du mythe, vont coexister tout au long de l'histoire de la philosophie. « Ainsi, pour présente qu'ait été dans le monde gréco-romain la philosophie selon la variété de ses écoles, il est hors de doute que l'attachement aux mythes traditionnels persistera jusqu'à l'extrême fin de l'Empire d'Occident et d'Orient dans les 26 G. Droz (1992) explique dans son introduction aux Mythes platoniciens les cinq caractères du mythe chez Platon (p. 10-13). Parmi ces caractères, nous retrouvons le caractère narratif et fictif, l'opposition avec la démonstration dialectique, rationnelle, le mythe comme moyen pour exposer du vraisemblable (par opposition au vrai), le mythe comme porteur de sens, et enfin le mythe comme ayant une intention pédagogique. Ce sont ces deux derniers caractères qui nous intéressent ici plus particulièrement. 27 Droz G. (1992), p. 14. 28 Brochard V. (1912). 29 Platon, Gorgias, 523a-524a. Platon y décrit, à travers le mythe de la sentence finale, le jugement des âmes après la séparation de l'âme et du corps. 30 Platon, Phédon, 113d-114c. Dans ce passage, Platon utilise de nouveau le mythe pour préciser la distribution des sanctions (récompenses et châtiments) au moment où l'âme s'est séparée du corps. 31 Droz G. (1992), p. 16. 32 Droz (1992), p. 19. 9 milieux cultivés voire savants » 33. Cette coexistence montre bien l'intérêt philosophique du mythe, ou du moins l'intérêt porté par les philosophes aux discours mythologiques. Loin de rejeter les mythes, les philosophes antiques vont « sauver les mythes », selon l'expression de L. Brisson, à travers l'interprétation allégorique de ceux-ci34. Si les mythes sont incapables de transmettre la vérité et de développer une argumentation, la philosophie, grâce à l'interprétation allégorique, peut dévoiler la signification philosophique du mythe. Il ne s'agit plus de prendre les récits mythologiques au pied de la lettre, mais de les lire autrement: « une idée neuve allait faire son chemin: et si le vrai sens de ces légendes était à chercher au-delà des mots, au-delà du premier niveau d'images qu'ils suggèrent? » 35. Une lecture au second degré, une lecture allégorique des mythes, voit alors le jour, lecture dirigée par la philosophie. Et cette lecture, comme le rappelle L. Jerphagnon, a pour but de montrer le sens caché des mythes, de dévoiler une vérité dissimulée sous forme de récit et que la raison ne peut comprendre sans la médiation de la philosophie: « elle entendait confirmer qu'au-delà de ce que les récits mythiques peuvent avoir, disons : de surréaliste, il y avait une vérité bonne à prendre, à méditer, à appliquer dans sa vie, autrement dit une sophia, une sagesse » 36. Audelà de ces récits légendaires, les mythes peuvent être lus comme des explications philosophiques de la réalité. Mais qu'est-ce qu'une lecture allégorique du mythe? C'est trouver dans le mythe un autre sens que celui qui apparaît à première vue. A la première lecture, littérale, il faut ajouter une seconde lecture, qui va déchiffrer les images que le récit propose: « le sens du mythe est autre (allos) que ce qu'on lit, parce qu'il gît sous (hupo) la lettre: telle était l'étymologie des termes qu'on employait pour désigner l'opération: allegoria, huponoia » 37. C'est ce que J.-P. Vernant fait dans son ouvrage38, dans lequel il raconte les récits grecs des origines tout en laissant entrevoir, tout au long du récit, l'interprétation allégorique possible. Par exemple, le mythe de l'origine de l'univers nous permet de comprendre l'ordre et le chaos, ces deux puissances contradictoires qui sont présentes dans le monde à tout moment. Si Zeus représente l'ordre, les puissances divines du Tartare représentent le chaos. Ce sont ces interprétations, ces lectures allégoriques, que les philosophes ont faites au cours des siècles. L'interprétation du mythe d'Oedipe par Freud et la psychanalyse est également un bon exemple de l'influence des mythes sur la philosophie. De l'antiquité jusqu'à aujourd'hui, le mythe est présent dans le discours philosophique. 1) L'étude du mythe comme présentation de la naissance de la philosophie Le récit mythologique et le discours philosophique semblent tout d'abord s'opposer et même s'exclure l'un l'autre, l'un étant rationnel et l'autre non, comme nous l'avons dit plus haut. Pourquoi, dans ce cas, étudier le mythe en cours de Philosophie? Pour quelles raisons étudier avec nos élèves un discours non-argumentatif, non vérifiable, voire nonphilosophique? Une approche historique du mythe, qui a précédé la philosophie naissante, permet de mieux comprendre ce qu'est la philosophie. Avant même de prendre en compte la complémentarité du mythe et de la philosophie, il est déjà intéressant d'étudier le mythe. En effet, l'étude du récit mythologique permet de découvrir un mode de pensée particulier, non-argumentatif, qui précède et se distingue du mode de pensée philosophique. Etudier le mythe, c'est étudier une façon de penser et de voir le monde qui se distingue de la philosophie, et en ce sens, le mythe a sa place en cours de Philosophie, car il permet aux élèves de mieux comprendre la naissance du discours philosophique, en rupture avec le récit mythologique. Pour comprendre la naissance de la philosophie en Grèce, à Milet, au VIème siècle av. J.-C., l'étude ou du moins la compréhension du mythe semble nécessaire. Comme J.-P. Vernant le rappelle en parlant de la philosophie, « pour savoir ce qu'elle est, il faut examiner les conditions de sa venue au monde, suivre le mouvement par lequel elle s'est historiquement constituée, lorsque dans l'horizon de la culture grecque, posant des problèmes neufs et élaborant les outils mentaux qu'exigeait leur solution, elle a ouvert un domaine de réflexion, tracé un espace de savoir qui n'existaient pas 11 auparavant » 39. Connaître les conditions d'apparition de la philosophie, c'est mieux comprendre ce qu'est la philosophie. En effet, historiquement, chaque nouveau mode de pensée va naturellement se définir, se déterminer par rapport aux modes de pensée existant, que ce soit dans la continuité ou en opposition à ces derniers. Il en est de même pour la philosophie, qui apparaît clairement en opposition à l'explication mythologique du monde: « s'affirmer “philosophe“, c'est, autant et plus encore que se rattacher à ses devanciers, prendre ses distances à leur égard » 40. Enfin, l'étude du mythe permet aux élèves de comprendre ce que n'est pas la philosophie. Définir quelque chose par ce qu'il n'est pas permet souvent de mieux comprendre cette chose, car étudier les disciplines voisines de la philosophie, comme le mythe, ou la sophistique, c'est mieux connaître les frontières de la philosophie, c'est pouvoir mieux délimiter chaque discipline. Donc l'étude du mythe, parce qu'il s'oppose et en tant qu'il s'oppose au discours philosophique, permet de mieux comprendre ce qu'est la philosophie. Et en ce sens, le mythe a sa place en cours de Philosophie. Mais comme nous l'avons dit plus haut, et comme l'histoire de la philosophie le montre, le récit mythologique et le discours philosophique ne s'excluent pas l'un l'autre. Le récit mythologique a trouvé, dès l'antiquité greco-romaine, sa place dans certains textes philosophiques majeurs, comme chez Platon. Voilà également pourquoi l'étude du mythe fait partie de l'étude de la philosophie et a donc pour cette raison également sa place en cours de Philosophie. Nous avons vu avec l'usage platonicien du mythe que le mythe n'est pas exclu de la tradition philosophique. Au contraire, exclure l'étude des mythes platoniciens de l'étude de la philosophie serait appauvrir considérablement l'intérêt et la portée de la philosophie platonicienne. En effet, comme uploads/Philosophie/ brouillon.pdf

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