CHAPITRE PREMIER LA DÉDUC'l'ION ET L'INDUCTION Quand on réfléchit a 1. LA CONNA
CHAPITRE PREMIER LA DÉDUC'l'ION ET L'INDUCTION Quand on réfléchit a 1. LA CONNAISSANCE ET L'ACTION J' d J essence e a pen- sée humaine, on ne peut, semble-t-il, méconnaitre que le tra.it qui la cara.ctérise de la maniere la plus constante, c'est son cheminement, son progres. Si nous pensons, si nous réfléchissons, c'est que nous entendons, par cet effort, pa.rvenir a une connaissance que nous ne possédions pas jusqu'a ce moment, qu'il s'agisse d'une conna.issance pra- tique, destinée a nous aider a agir' ou d'un savoir pure- ment théorique, recherché dans le seul dessein de fournir un aliment a notre curiosité. On sait d'ailleurs qu'en ce qui concerne en particulier la pensée soientifi.que, l'un et l'autre de ces deux buts ont été tour a tour considérés comme visés essentiellement par l'intelligence. Platon et Aristote tenaient pour la curiosité, en considérant que !'origine de la philosophie est da.ns l'étonnement, que la géométrie n'a « tout entiere d'autre objet que la connaissa.nce », et qu'il existe < < un savoir dont l'objet ne peut ~tre ni l'agrément, ni le besoin1 », et iJs ont été suivis en cela, aussi bien par leur époque que par le moyen age. Alors que Francis Bacon, dans de nombreux passages, a insisté sur ce que «le but vrai et légitime de la science n'est autre que de doter 4 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGÉE la vie humaine de nouvelles inventions et de nouvelles richesses2 >> et que ses opinions dans cet ordre d'idées ont été reprises par Hobbes, qui proclame:« Le but du savoir est le pouvoir3 » et, au xiXe siecle, codifiées en quelque sorte par Auguste Comte, qui formule : << Toute science a pour but la prévoyance » et « science d'ou prévoyance, prévoyance d'ou action' ». Ce positivisme, auquel, de nos jours, les tra- vaux épistémologiques d'Ernst Mach ont preté un appui tres efficace6, nous avons cru devoir le combattre, en retour- nant aux opinions plus anciennes. Nous nous sommes attaché, 2. L'IMA GE VERIT ABLE en partic lier ' faire ressortir DE LA SCIENCE U • a cambien peu l'image véritable de la science et de son devenir correspond au schéma qui veut qu'elle n'ait pour but que l'action. Les savants eux- memes ont fréquemment insisté sur la primauté de la con- naissance désintéressée. Newton, dont on a voulu, de si étrange fa9on, et en s'appuyant sur la boutade du hypothese.<J non fingo, faire en quelque sorte un positiviste avant la lettre, affirme, dans la préface 8. la premiare édition des Principia, avoir «pour objet, non les arts, mais l'avancement de la philosophie6 ». Poincaré déclare expressément que « c'est la conna.issance qui est le but et l'action qui est le moyen7 », et M. Holder, des le début de son livre traitant de la Méthode mathématique, expose de meme que: « notre effort est... dirigé principalement vers l'intellection des faits, vers leur explication... De cette intellection des faits se déduit ensuite tout naturellement (von selbst), dans l'application aux sciences physiques et ala technique, la détermination d'événements futurs et l'obtention d'effets voulus; mais ces visées ne sont pas celles que la science met au premiar plan8 ». Gastan Milhaud, tout a fait dans le meme sens, a insisté sur < < le rapprochement de ces deux faits : d'une part le déve- LA DÉDUC'l'ION ET L'INDUC'l'ION 5 loppement colossal qu'a r89u la mathématique pendant un temps relativement court [chez les Grecs), la force d'expan- sion indéfinie dont elle parait douée, sa fécondité, meme au point de vue de ses applications, et, d'autre part, le carac- tere de science désintéressée et purement spéculative qu'elle a manifesté. Il est impossible, aussitót que la pensée fait ce rapprochement, de ne pas songer qu'il y a la plus qu'une coincidence et que le désintéressement, l'éloignement de toute préoccupation pratique, chez le géometre grec, a pu etre une des causes profondes du progres de sa science, et du meme coup, de sa fécondité future a l'égard des applica- tions elles-memes9 ». Il n'est que naturel que ce soient les mathématiciens, dont le savoir est, par son essence, abstrait, qui sentent de la maniere la plus immédiate a quel point est peu con- forme aux véritables tendances de !'esprit la théorie qui veut que ses efforts aient invariablement pour but ultime l'action. On connait le mot de K. G. Jacobi, 8. qui Fourier avait reproché de se plonger dans des recherches trap aba- traites, et qui répondit fierement que «le but de la science, c'est uniquement l'honneur de !'esprit humain10 ». Cependant, des la premiere moitié du xr:xe siecle, Whe- well, qui ne fut point mathématicien, avait déja fait res- sortir que «l'homme n'est pas uniquement un etre pratique; il y a en lui une tendance spéculative, un plaisir a contem- pler des relations idéales, un amour du savoirll ». Peut-etre ne sera- 3. PROSPECTION ET RETROSPECTION t il · t'l fin - pas1nu 1 e, a de mieux marquer la profonde distinction entre les deux manieres de concevoir le but visé par la recherche du savoir, de constatar que cette recherche, ici et la, s'applique en quelque sorte a des coupures de temps distinctes. Car si la prévision porte sur !'avenir, l'explication est au contraire tournée vers le passé. Pour nous servir de termes tres appro- 6 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGÉE priés introduits par M. Maurice Blondel, il s'agit, dans l'un et l'autre cas, de réfl.exion, mais dans le premier de prospec- tion et dans le second de rétrospection12• Sans doute ne faudrait-il pas vouloir pousser cette différenciation a ses extremes limites : nous ne pourrons prévoir qu'a l'a.ide de lois, de .regles que nous aurons déduites de !'examen du passé et, en revanche, quand le phénomene se trouvera expliqué, nous saurons d'avance comment le réel se compor- tera dans des cas analogues. Mais ceci prouve simplement que, dans la pratique du savoir, l'a.ction de ces deux res- sorts moteurs se trouve parfaitement enchevetrée; c'est évidemment pour cette raison d'ailleurs que l'on a pu défi- nir la science tantót a la maniere de Platon et d'Aristote, et tantót a celle de Bacon et de Comte. Toutefois, a consi- 4. LE POURQUOI ET LE QUE FAIRE d' • t erer ce qm es recherché en premier lieu, la distinction apparait nettement. En indiquant la cause ou la raison d'un phénomene, nous répondons a un pourqooi, alors qu'en en fixant la regle, nous nous appliquons a résoudre l'énigme posée par un : que jaire. Et il est parfaitement exa.ct que celle-ci est infi- niment plus pressante que l'autre, puisque l'action est une nécessité de tous les instants. Ce qui n'empeche que tout raisonnement véritable tend a la découverte de raisons : ici l'homonymie exprime une parenté d'idées profondes. L'enfant, des que son intelligence s'éveille, formule des pourqooi a tel point abondants que l'on est amené a juger que la question s'était posée dan.<: son esprit bien avant qu'il ne fut parvenu a l'exprimer en paroles. Sana doute, anté- rieurement encore, il a agi et, done, il a du prévoir. Mais il l'a fait probablement plus ou moins a la maniere d'un ani- mal, c'est-a-dire pous&é plutót par un sentiment instinctif aveugle. L'éveil de la réfl.exion, de l'intelligence propre- ment humaine, de la raison, semhle, par contre, précisé- LA DÉDUCTION ET L'INDUCTION 7 ment caractérisé par le surgissement de cett.e notion de cause ou de rai<:on. On peut remarquer, a ce propos, que la formule meme de la question qui sert de point de départ parait plus spontanée dans ce dernier cas que dans l'aatre : le pourquoi nous est beaucoup plus farnilier ~_,ertes que le que faire. C'est que meme l'homme de raison agit, dans l'immense majcrité des cas, plutót machinalement, poussé par l'habitude ou le simple instinct d'imitation; alors que la recherche de la cause met inévitablement en branle notre intellect. On constate aussi, dans le meme ordre d'idées, que les penseurs qui ont le plus rigoureusement proscrit la recherche de la cause dans le domaine scientHique se sont fréquemment appliqués a faire nait1e une sorte de con- fusion entre ce concept et celui de loi, confusion tendant notamment a effacer la distinction dont nous avons parlé plus haut et qui se rapporte a la coupure du temps qu'on envisage dans l'unet l'autre cas. Quand Taine a:ffirme qu'une pierre tend a tomber « paree que tous les objets tendent a tomberlS », il oherche manifestement a nous faire prendre pour une cause ce qui n'est qu'une regle. Il eut, certes, parlé plus correctement en formulant : étant donné que tous les objets tendent a tomber, cette pierre y tendra également. Que si, au contraire, on voulait vraiment assigner une raí- son au phénomime en question, il faudrait commencer par formuler une théorie mécanique, comme on l'a essa.yé cons- tamment depuis Newton, ou bien alors recourir aux rides de l'espace einsteinien. Mais au fond, la formule de Taine est une sorte d'hommage involontairement rendu ala notion de cause, puisque, en s'effor<;ant de l'exclure, on en uploads/Philosophie/ 1-la-deduction-et-l-x27-induction.pdf
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- Publié le Mar 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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