Bonjour les managers, adieu les cadres ! Christophe FALCOZ © Éditions d’Organis

Bonjour les managers, adieu les cadres ! Christophe FALCOZ © Éditions d’Organisation, 2003 ISBN : 2-7081-2856-6 49 © Editions d’Organisation CHAPITRE 3 Quand l’entreprise bouscule le statut, le cadre vacille Avec la fin des années 80, les cadres n’ont plus été les metteurs en scène des changements d’organisation au sein de leur entreprise comme c’était le cas depuis le premier choc pétrolier. Au contraire, ils sont devenus la cible de ces transformations profon- des dont le rythme s’est accéléré depuis, au point que le pilotage d’incessants changements semble être devenu une habitude des stratégies et des pratiques de management. L’économie d’entre- prise est entrée dans l’ère des restructurations permanentes. En outre, depuis une quinzaine d’années, les entreprises ont compris que pour mieux maîtriser le changement continuel, elles devaient tout simplement aussi « restructurer » leur encadrement. Les plus grandes d’entre elles se sont alors lancées dans la quête d’un « nouveau cadre » pour répondre à trois transformations majeures. Les stratégies de recentrage et de croissance externe tout d’abord, ont contribué à la déstabilisation des repères profession- nels des cadres. La flexibilité organisationnelle ensuite – qu’elle prenne le visage de l’externalisation, de l’outsourcing ou de la gestion de projet – a modifié en profondeur l’exercice du métier d’encadrant. Enfin, l’internationalisation des firmes a été la cause majeure de la mise à mal du fameux « statut à la française ». Pour les cadres, ces trois mutations se traduisent en fin de compte par la volonté des entreprises d’abandonner la notion de carrière afin BONJOUR LES MANAGERS, ADIEU LES CADRES ! 50 © Editions d’Organisation de mieux les habituer à l’idée qu’ils sont eux aussi désormais au cœur de l’incertitude économique. Comme d’autres domaines de la gestion, la stratégie d’entreprise suit souvent des modes qui n’ont rien d’anecdotiques. Ainsi, après les excès du reengineering, le principe du recentrage sur le cœur de métier reste ancré dans les pratiques. La place de plus en plus déterminante des actionnaires dans les logiques financières des grandes firmes a conduit celles-ci à vouloir rendre leurs perfor- mances plus lisibles. En cela, l’existence d’un portefeuille d’activi- tés très diversifié a rapidement été perçue comme un handicap. Sous la pression des actionnaires, les dirigeants ont donc recherché des configurations d’entreprises spécialisées et centrées sur leur cœur de métier, c’est-à-dire fondées sur un ensemble d’activités proches et facilement analysables. Cette logique a fleuri surtout dans des secteurs « mûrs ». Ainsi, Rhône-Poulenc s’est-il séparé de sa chimie et d’autres activités moins lucratives que la pharma- cie, avant de fusionner avec un autre « pharmacien » européen pour atteindre une taille critique suffisante. La course au gigan- tisme n’est pas une histoire récente, mais elle vient parfois s’ajou- ter à la volonté de clarifier les configurations productives des firmes. Aussi s’accomplit-elle souvent par des opérations de crois- sance externe et de rachats. De cette façon, les grandes entreprises cherchent à obtenir des économies d’échelle pour lutter plus effi- cacement dans un champ concurrentiel largement mondialisé. La valse des stratégies et des hiérarchies Ces deux phénomènes, recentrage et augmentation de la taille, sont, bien sûr, synonymes de restructurations, fusions et acquisi- tions. Ces incessants changements de périmètres avec les modifi- cations de noms, de marques, de produits, de services… qui s’ensuivent, placent les cadres dans un tourbillon qu’ils ne maîtri- sent pas. Une entreprise peut être vendue, rachetée par un concur- rent, « relookée », débaptisée, filialisée… plusieurs fois en une décennie. Les stratégies sont alors régulièrement « corrigées », les Quand l’entreprise bouscule le statut, le cadre vacille 51 © Editions d’Organisation dirigeants remplacés, les objectifs revus. Les cadres souffrent davantage qu’auparavant de ces transformations sans fin. Dans une enquête de l’APEC réalisée en 1998, la réorganisation des entre- prises apparaît comme le deuxième facteur de leurs difficultés professionnelles (35 % des répondants). L’instabilité qui règne dans certains groupes se traduit pour eux par un turn-over de leurs propres hiérarchies et par des revirements stratégiques dont le bien-fondé ne leur apparaît pas nécessairement et qu’ils devront pourtant « vendre » à leur équipe. « Il faut signaler que depuis deux ans nous avons changé de direction plusieurs fois, explique une femme- cadre de 53 ans travaillant dans la fonction contrôle de gestion. A chaque fois, il y a des revirements de stratégie, des modifications d’outils informatiques… Vous êtes obligé de jongler avec différents logiciels qui proviennent des filiales intégrées ou de la nouvelle maison-mère… On perd vite un temps fou… ». Dans une enquête menée auprès d’anciens étudiants de l’ESCP- EAP, les 1 133 répondants expliquent pourquoi ils pensent que ce que l’on attend d’eux est fluctuant : parce que les supérieurs changent souvent (26 %), parce que les marchés et les technolo- gies évoluent rapidement (67 %) et les structures des entreprises aussi (58 %)1. Ces transformations incessantes, doublées de la complexification des structures et de l’accroissement de la taille des grandes entreprises, provoquent un sentiment de flou vis-à-vis de la stratégie, d’absence de concertation et d’éloignement avec la direction générale. Ainsi, dans une enquête Liaisons Sociales- Manpower, 24 % des cadres interrogés sont inquiets pour leur avenir. Ce sont surtout les cadres des grandes entreprises et ceux qui n’ont pas de fonction managériale qui disent être insuffisam- ment associés aux décisions prises à la tête de leur entreprise2. 1. H. Laroche, L. Cadin et C. Falcoz, La construction du manager – recherche sur la fonction managériale et son évolution, rapport remis à la CCIP, novembre 2000. 2. Liaisons Sociales, magazine de septembre 1999. BONJOUR LES MANAGERS, ADIEU LES CADRES ! 52 © Editions d’Organisation Flexibilité, le maître-mot Dans le même temps, se développe un autre discours essentiel dont on n’a pas encore fini de mesurer l’ampleur et les effets : celui de la flexibilité. Certes, les grandes entreprises grossissent mais elles le font en dégraissant la ligne hiérarchique et en se subdivi- sant en petites entités autonomes. Les organigrammes « plats » ou « light » sont devenus une fierté pour bon nombre de dirigeants français qui, traditionnellement, avaient l’habitude de créer une multitude de niveaux hiérarchiques pour assurer le commande- ment et la progression d’un nombre croissant de cadres. L’encadre- ment intermédiaire est celui qui a le plus souffert de ce type de politique très en vogue dans les années 80. La mise en place de « centres de profit » est l’autre grande solution pour assurer une flexibilité organisationnelle. En donnant à une petite entité une autonomie budgétaire, les grandes entreprises ont cherché à améliorer leur contrôle sur les résultats d’équipes à « taille humaine ». Informatisation et systématisation des techni- ques avancées de contrôle de gestion n’ont fait que faciliter la mise en place de ces multiples « PME de grands groupes ». Autre source de flexibilité organisationnelle, celle qui consiste tout simplement à externaliser certaines fonctions supports. Des entre- prises n’hésitent plus à se séparer de leur service informatique, de l’entretien, du gardiennage des locaux… Outre la classique sous- traitance (du recrutement, de la formation en passant par l’accueil téléphonique ou la production d’un élément entrant dans le produit final), se développent donc des pratiques d’outsourcing qui permettent de rendre les charges variables. Ainsi, en cas d’à- coups de la croissance, l’entreprise n’a qu’à revoir son contrat commercial avec son ancien service outsourcé à une société spécia- lisée. Du jour au lendemain, des cadres et ingénieurs sont ainsi vendus à des sociétés qui, le plus souvent, procèdent à des « dégraissages » au bout d’un an. Ils quittent en outre, lors de ces opérations, une activité fonctionnelle au sein d’une entreprise « donneuse Quand l’entreprise bouscule le statut, le cadre vacille 53 © Editions d’Organisation d’ordre » pour entrer dans une logique de prestataire de services spécialisé dans un domaine, subissant du même coup la concur- rence frontale d’autres prestataires de services. L’exemple de la gestion de projet illustre à merveille la mise en pratique de ce double souci de flexibilité et de délégation à des entités autonomes. Très en vogue dans les années 80, elle s’est répandue à grande vitesse, au point que l’on ne sait plus toujours à quoi elle correspond vraiment aujourd’hui. Au départ, la gestion de projet a été conçue pour améliorer les processus d’innovation. Apparue aux Etats-Unis à la fin des années 40, elle a connu de nombreuses transformations au cours des années 1980 et 1990. Elle est plus que jamais synonyme de travail en équipe autonome et de transversalité. Participer à une équipe projet consiste en effet à côtoyer différents collègues de l’entreprise (voire d’autres entreprises) appartenant à des fonctions et métiers divers. La logique hiérarchique et verti- cale est remise en cause, la volonté affichée étant de rendre les processus de création de valeur moins cloisonnés (plus transver- saux). Comme l’indique Thierry Picq, professeur à l’EM Lyon : « L’intérêt du projet est donc de mettre en avant les hommes, leur énergie et leur passion plutôt que les structures hiérarchiques. C’est une occasion de mener une aventure professionnelle complète, du début à la fin, et de uploads/Management/bonjour-les-managers-adieu-les-cadres.pdf

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  • Publié le Mai 19, 2021
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