REPENSER LA PLURIDISCIPLINARITE Un clinicien travaillant auprès d’enfants en si

REPENSER LA PLURIDISCIPLINARITE Un clinicien travaillant auprès d’enfants en situation de handicap est inévitablement confronté à trois niveaux de questionnement : - l’enfant conduit en consultation est légitimement sa première préoccupation avec pour question : comment répondre aux symptômes qu’il présente ? - cependant il ne saurait longtemps faire l’économie d’une prise en compte des parents, qu’ils soient ou non pour quelque chose dans les problèmes de leur enfant, ils sont touchés et doivent être écoutés. - le troisième niveau est moins flagrant, c’est à l’expérience que se révèlent les dommages d’interventions conjointes non concertées, telles médicales, psychologiques pédagogiques, judiciaires, sociales... Il apparaît en effet que ce que l’on nomme pluridisciplinarité vienne compromettre des actions séparées, par ailleurs pertinentes et correctement menées. La réponse au risque d’incohérence est communément apportée en terme de synthèse. La synthèse est l’exercice traditionnel de notre champ médico-social, elle doit pourtant appeler de réelles objections. Pourquoi doit-on interroger et mettre en cause cette notion de synthèse et par quelles modalités de fonctionnement peut-on la remplacée ? I. Le constat. a) Les conséquences de l’esprit de synthèse pluridisciplinaire. Comme premier support de réflexion, arrêtons-nous sur le fonctionnement des Centres Médico- psycho-pédagogiques. Les équipes des CMPP composées de médecins psychiatres (parfois de pédiatres), de psychologues, de rééducateurs en psychopédagogiques et en psychomotricité, d’orthophonistes et d’assistants sociaux sont un terrain propice à l’étude de la pluridisciplinarité. Le processus est bien connu, à la suite d’une série de bilans, des spécialistes se réunissent pour proposer un traitement aux difficultés d’un enfant. La réponse oscille entre rééducation et psychothérapie, laissant parfois une partie de la problématique en suspend… Dans l’intention d’apporter la réponse la plus exhaustive possible, ses équipes ont poussé la logique pluridisciplinaire jusqu’à escamoter les cloisons qui délimitent leurs spécificités. L’évolution du traitement des difficultés scolaires des enfants est à ce propos très significative. Dans les années 60 lorsqu’un enfant présente des difficultés scolaires, il lui est proposé une rééducation pédagogique (Inizan), une reprise des apprentissages sur un mode actif et personnalisé. Ce type d’intervention est conçu comme si un versant cognitif ou instrumental pouvait être dissocié de la personnalité de l’enfant et de son histoire. Ensuite les études sur l’échec scolaire révèlent l’importance des facteurs psycho-affectifs. L’accent est alors mis sur la dimension psychique des troubles, une place est faite aux facteurs relationnels, à l’expression et l’écoute (O. Delaunay). La rééducation devient un acte psycho-pédagogique. Un troisième mode d’intervention fleurit dans les années 80 : les thérapies spécialisées (A. Bourcier) ou thérapies à médiation. La thérapie spécialisée est la somme et la conjonction des connaissances en pédagogie et en psychanalyse. La Pédagogie Relationnelle du Langage (C. Chassagny) décrit un processus de structuration qui favorise un cheminement afin que l’enfant se dégage d’un univers archaïque imaginaire pour tendre vers un ordre symbolique rationnel. Le motif de la consultation est provisoirement écarté au profit d’une démarche qui ne se cache pas d’être psychothérapique. Ainsi en posant le problème de l’échec scolaire en termes psychologiques puis en termes psychanalytiques la substance théorique s’enrichit, mais paradoxalement l’approche clinique 1 s’opacifie. Il est essentiel de rappeler qu’une rééducation n’est pas régie par les mêmes règles qu’une psychothérapie, à fortiori une psychanalyse : si la première vise à la réhabilitation d’une aptitude défaillante du sujet dans son rapport au monde, les secondes impliquent l’organisation psychique complète du patient dans son fonctionnement et dans ses fondements. Les deux processus ne sauraient être assimilés et les effets produits confondus. Dans cet esprit les CMPP ont revendiqués la pratique originale d’actes complets, les actes médico-psycho-pédagogiques, originalité onéreuse car propice à la confusion pour les praticiens mais surtout préjudiciable aux patients en raison de la dilution des significations. Cette synthèse à laquelle nous aspirons est-elle vraiment possible et… souhaitable ? b) L’impossible synthèse interinstitutionnelle. Prenons à présent l’exemple de deux services habitués à œuvrer de concert, néanmoins exposés à des dissensions : une équipe de SESSAD et un service ASE. La première intervient toujours à la demande des parents, sur avis de la MDPH ; elle accorde beaucoup d’importance à leur implication dans le projet concernant leur enfant. En revanche, l’ASE est fréquemment mandatée par le juge. Elle a pour mission d’appliquer une décision contraignante : retrait des enfants, visites médiatisées… Ces mesures sont la plupart du temps mal supportées par les parents qui se braquent contre ces exécutants. Deux types de relation s’instaurent ainsi simultanément. Une relation confiante de partage dans le premier cas, une relation méfiante, hostile et même agressive dans le second. Le SESSAD voit se développer un espace d’échange, un discours qui lui permet de travailler sur le fond de la problématique de l’enfant. Chemin faisant, il prend connaissance de la personnalité du père et de la mère. Le service ASE peut être légitimement agacé de ce climat favorable, alors qu’il est confronté à une famille hostile, refusant de collaborer. Il peut aussi reprocher à ses collègues sa bienveillance à l’égard de parents sanctionnés par une mesure de justice et craindre d’en voir les effets compromis. Le simple fait de les recevoir et des l’écouter ne leur apporte-t-il pas un soutien voire une caution ? Le différend est compréhensible, il est la conséquence des logiques spécifiques des deux services. - Les membres de l’ASE sont tenus à d’évidentes précautions. Le juge n’a-il pas décidé une mesure de protection des enfants ? Ces parents ne représentent-ils pas un danger ? Pour cette équipe, il est naturel d’être vigilant surtout en l’absence de collaboration. - La mission du SESSAD peut-être en revanche favorisée par la bonne disposition des parents. Même si cette équipe n’ignore pas la décision du juge et ses motifs, il lui est utile dans son travail auprès de l’enfant de bénéficier de leur participation. Pour cette équipe, les parents sont un soutien dynamique à l’évolution de l’enfant. Une telle situation illustre les références foncières qui exposent deux équipes à des dissensions voire à un conflit. Pourtant chaque service ne fait rien d’autre que de jouer sa partition. L’un missionné pour assurer la protection de l’enfant et l’autre son développement psychologique. Ainsi en est-il du fondement des institutions qui servent les usagers, marquant une inévitable et indispensable compartimentation entre chacun : l'école avec pour mission principale, l'acquisition des compétences ; les consultations spécialisées dont la santé mentale de l'enfant est l'objectif premier ; enfin les services sociaux pour lesquels prévaut la notion de protection. La mission de chacune de ces entités est fixée par un agrément, elle structure tout autant la composition de l’équipe que l’organisation administrative ou son fonctionnement. La spécificité de chaque service a également une incidence sur le positionnement des membres de l’équipe. Dans notre exemple, chaque équipe comprend un psychologue clinicien ayant la même formation, le même cursus universitaire, la même orientation clinique. S’il est naturel de constater des différences dans l’approche des deux services, il est en revanche plus étonnant de découvrir des variations 2 entre les psychologues dans leur analyse du cas : chacun parle de la même situation mais d’une place différente. A cela deux raisons : en premier lieu la mission du service a une incidence sur le positionnement des parents et de l’enfant. Chacun conçoit aisément qu’ils ne se présentent pas de la même façon selon qu’ils sont l’objet d’une investigation sociale dont ils peuvent redouter les conséquences ou demandeurs dans une démarche de soins ou d’éducation. En second lieu, la mission du service a également une incidence sur le traitement de l’information qui lui est donné par l’usager mais aussi sur l’orientation de l’écoute du spécialiste. De manière générale, le discours est lié au lieu dans lequel il est prononcé par l’usager et il est lié au lieu dans lequel il est entendu par le spécialiste. C’est la raison pour laquelle en toute bonne foi et sans que leur compétence ne soit en cause, deux psychologues peuvent produire des conclusions divergentes, parfois opposées. Cette observation est essentielle dans une perspective d’élaboration multidisciplinaire, elle justifie que l’on tende vers une analyse compartimentée des données plutôt que de se livrer à une lecture en continu d’éléments entremêlés de plusieurs protagonistes. c) les gauchissements individuels. L’esprit qui préside à l’élaboration d’une réflexion collective n’est pas seulement tributaire d’un groupe ou d’échanges entre deux groupes, il est également lié à la manière dont chaque membre d’une équipe assure la transmission de données. Chaque intervenant de l’équipe est un ‘’porte- parole’’, c’est un véhicule impliqué à titre personnel dans l’analyse et l’interprétation du cas. Ce n’est donc pas un véhicule neutre, il est empreint de subjectivité, coloré de projections… Nous connaissons la marge de gauchissements auxquels nous sommes exposés. Il est par exemple courrant d’entendre un psychothérapeute en contrôle faire état de son ressenti personnel, lorsqu’il parle de son patient. Soit par exemple ce psychologue rapportant les effets d’une scène ayant lieu chez les grands parents de son patient et d’évoquer en association le souvenir d’un incident équivalent vécu dans sa propre famille. Il établit une continuité dans laquelle se mêlent les souvenirs et les sensations, les signifiants uploads/Management/ repenser-la-pluridisciplinarite.pdf

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  • Publié le Oct 22, 2021
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