Francis CHOLLE L’intelligence intuitive Pour réussir autrement © Groupe Eyrolle

Francis CHOLLE L’intelligence intuitive Pour réussir autrement © Groupe Eyrolles, 2007 ISBN : 978-2-7081-3647-2 L’intelligence intuitive, un instrument de travail devenu stratégique 15 © Groupe Eyrolles 1. Gary Klein, Intuition at Work (ouvrage renommé The Power of Intuition dans sa version brochée), Doubel Day Publishing, juin 2004. Au printemps 2004, l’Inde fait à deux reprises la une des journaux du monde entier. Tout d’abord, lorsque le pays vote largement en faveur du Parti du Congrès contre le Parti nationaliste hindou Bharatiya Janata, pourtant annoncé vainqueur dans les sondages précédant le vote national. Puis de nouveau, quand Sonia Ghandi renonce à prendre le poste de Premier ministre de son pays d’adoption, la plus grande démocratie au monde, par la taille de sa population. Lors de l’annonce publique de sa décision, elle confie que sa voix intérieure lui dicte ce choix. Quels qu’en soient les motifs, si une telle décision est tout à fait inhabituelle dans la vie politique indienne connue pour ses ambitieux candidats au pouvoir, il est encore plus rare d’entendre une personne officielle de son rang dire publiquement qu’elle agit au nom de sa voix intérieure quand elle sait la planète entière l’écouter avec la plus vive attention. Notre voix intérieure Le professeur Warren Bennis, qui fait autorité dans de nombreux domaines, notamment celui du leadership d’entreprise, auteur de plusieurs ouvrages de référence et conseiller de quatre présidents américains, appelle son intuition : sa voix intérieure. Être à son écoute et lui faire confiance ont été pour lui, selon ses propres mots, les leçons de leadership les plus significatives qu’il ait eu à apprendre. De fait, il écrit dans la préface du livre Intui- tion at Work1 de Gary Klein, publié en 2004 : « Ce que Ralph Waldo Emerson appelle l’élan bienheureux (the blessed impulse) est fondamental pour comprendre le leadership et les entreprises. » L’INTELLIGENCE INTUITIVE 16 © Groupe Eyrolles Une étude américaine1 montre qu’environ 80 % des cadres supérieurs interrogés reconnaissent croire en ce que l’on appelle les perceptions extrasensorielles2. Et cette croyance ne se fonde pas sur une connaissance théorique du sujet ou la proximité, dans leur entourage, d’une personne douée de talent de prédiction telle qu’un médium ou une voyante. Elle s’explique tout simplement parce qu’ils en ont fait l’expérience directe dans leur quotidien. Les deux professeurs américains, auteurs de cette étude, se sont notamment intéressés aux nombreux récits d’hommes d’affaires ayant bâti des fortunes en pre- nant des décisions apparemment à l’encontre de toute considération rationnelle. Une partie de cette étude s’inté- resse, parmi les 5 000 personnes interrogées, à un sous- groupe particulier : celui des présidents de société dont les résultats nets ont doublé sur une période de cinq ans. Tous dans cette catégorie ont démontré des aptitudes « précognitives » supérieures aux autres personnes tes- tées. Et de fait le test mesurant des aptitudes potentielles aux ESP se révèle, selon les deux universitaires, un bien meilleur indicateur de succès professionnel que les autres instruments psychométriques. Si l’intuition semble un tel levier de succès professionnel, pourquoi les entreprises évaluent-elles leurs cadres sur des critères, par exemple, de management d’équipe, de communication interpersonnelle, d’esprit d’entreprise et depuis peu d’intelligence émotionnelle, mais n’intègrent toujours pas dans leur grille d’évaluation la capacité à manifester et encourager l’intuition chez leurs collabora- 1. Étude menée par le Pr. John Mihalsky et le Pr. E. Douglas Dean de New Ark College of Engineering, dans le New Jersey, sur une période de dix ans, auprès de 5 000 dirigeants. 2. Souvent dénommée ESP de l’anglais Extra Sensorial Perception. L’intelligence intuitive, un instrument de travail devenu stratégique 17 © Groupe Eyrolles teurs ? Comment se fait-il qu’il n’existe pas encore de cours dans les écoles de management ni dans l’enseigne- ment en général pour expliquer les ressorts de l’intuition et ses avantages ? On connaît pourtant des techniques pour la développer et de nombreux ouvrages sérieux ont été publiés sur le sujet. Citons une autre enquête conduite à la Harvard Business School par le professeur Jagdish Parikh, auprès d’une population multiculturelle. Les 13 000 cadres supérieurs interrogés expliquent 80 % de leur succès par des déci- sions prises de façon intuitive, quand 75 % d’entre eux déclarent utiliser à égalité logique et intuition. S’il semble communément admis parmi ces dirigeants que l’intuition est une grande partie de leur succès professionnel, les résultats de l’étude révèlent cependant que plus de 50 % d’entre eux ne sont pas prêts à l’admettre ouvertement. L’ironie de ces résultats n’est pas sans saveur. Mais avant de les commenter, je propose de faire un détour par les coulisses d’un théâtre. Nous allons assister à un exercice d’art dramatique où l’intuition est non seulement au cœur du travail des acteurs mais est aussi considérée comme une denrée précieuse et recherchée. Cette expé- rience humaine nous permettra de comprendre plus faci- lement les concepts introduits plus loin pour mesurer le rôle stratégique de l’intuition dans la capacité d’une entreprise à innover et pour appréhender les raisons de sa marginalisation relative quand il en est question dans la sphère publique. La communication par le silence Mardi 12 janvier 2007, 16 h 30. La répétition vient juste de démarrer. Douze acteurs debout forment un grand cercle sur la scène d’un théâtre. Ils ont les yeux fermés. L’INTELLIGENCE INTUITIVE 18 © Groupe Eyrolles C’est le silence complet. Comme à chaque répétition, ils commencent par un exercice préparatoire. C’est un peu comme un rituel. Mike Nilclitt leur metteur en scène les observe, comme témoin silencieux de leur rite de pas- sage. Il aime ce moment du travail. Immanquablement, il revient toujours à cet exercice. Soudainement une voix se fait entendre : « A. » Silence sur scène. Puis un autre acteur dit : « B. » De nouveau un silence. On entend une autre voix dire : « C. » Peu après un autre acteur se risque : « D », puis, dans la foulée, un autre dit : « E. » Aucun ordre particulier ne semble présider à la séquence des voix qui se succèdent. Un long silence. « F » lance un autre. Tout le monde est calme. On a le sentiment d’une très grande concentration, d’une écoute profonde, tour- née vers l’intérieur. Calmement mais de façon résolue, les lettres de l’alphabet sont énoncées une à une… Jusqu’à la dernière : « Z. » Mission accomplie ! La concentration se relâche. Certains crient de joie. D’autres sautent en l’air. Tous les visages sont heureux. Celui de Mike Nilclitt, le premier. Il est satisfait de l’écoute profonde de ses acteurs. Il sait que dans deux jours c’est la générale. Pour jouer ensemble sur scène, dans le feu de l’action et sous la pression de la représentation le soir de la Première, ils devront s’appuyer sur cet instinct, cette conscience du groupe pour créer une soirée de théâtre d’exception. Chaque fois, avant de commencer la répétition, il leur donne la même consigne. « Fermez les yeux. Entrez en contact avec votre respiration. Trouvez votre concentra- tion et démarrez ! » L’exercice de groupe consiste à réci- ter dans l’ordre l’alphabet complet. Un premier acteur se jette à l’eau : « A. » Puis de façon aléatoire, le groupe va reconstituer l’alphabet, une lettre après l’autre. Deux seules contraintes : ne pas suivre un ordre évident de participation (par exemple, parler l’un après l’autre en L’intelligence intuitive, un instrument de travail devenu stratégique 19 © Groupe Eyrolles suivant l’ordre dans lequel ils se trouvent dans le cercle) et, pour chacun, ne dire qu’une seule lettre à la fois. Si deux personnes parlent au même moment, le groupe doit redémarrer au début de l’alphabet. C’est là toute la difficulté. Les bons jours, comme celui-là, le metteur en scène leur demande de refaire l’exercice en s’écartant plus, de manière à véritablement les isoler les uns des autres. Plus tard dans l’après-midi, il ira jusqu’à leur demander de se boucher les oreilles avec des boules Quiès de sorte qu’ils ne pourront même pas tenter d’anti- ciper la prise de parole d’un autre acteur au bruit d’une inspiration. Ils n’auront plus alors qu’à s’en remettre à leur intuition. L’exercice semble impossible. Pourtant pratiqué régulièrement, un certain type d’écoute se développe et la « magie » apparaît. C’était la conviction de Constantin Stanislavski, celui qui conçut au début du XXe siècle un des systèmes d’enseignement d’art dramatique les plus respec- tés au monde, adapté ensuite par Hollywood et baptisé Method Acting dans les années 50. Marilyn Monroe, Robert Redford, Robert De Niro, entre autres stars du cinéma américain, en firent l’apprentissage avant de connaître le succès. Le phénomène en cours dans cet exercice de théâtre peut être rapproché de la synchronisation neuronale1 mise en évidence par les neurosciences. George Burr Leonard, auteur de nombreux livres sur le développement du potentiel humain et son impact sur la société, écrit dans son livre The Silent Pulse : « La méditation est un moyen pour nous de devenir plus sensible à nos vibrations et rythmes intérieurs. Elle peut être également uploads/Management/ linteligence-intuitive.pdf

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  • Publié le Nov 27, 2022
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