FONCTION ET CHAMP DE LA PAROLE ET DU LANGAGE EN PSYCHANALYSE par Jacques LACAN

FONCTION ET CHAMP DE LA PAROLE ET DU LANGAGE EN PSYCHANALYSE par Jacques LACAN (EXTRAITS) Rapport du Congrès de Rome tenu à l’Istituto di Psicologia della Universitá di Roma les 26 et 27 septembre 1953 PRÉFACE « En particulier, il ne faudra pas oublier que la séparation en embryologie, anatomie, physiologie, psychologie, sociologie, clinique n’existe pas dans la nature et qu’il n’y a qu’une discipline : la neurobiologie à laquelle l’observation nous oblige d’ajouter l’épithète d’humaine en ce qui nous concerne ». (Citation choisie pour exergue d’un Institut de Psychanalyse en 1952). (…) (93)I PAROLE VIDE ET PAROLE PLEINE DANS LA RÉALISATION PSYCHANALYTIQUE DU SUJET « Donne en ma bouche parole vraie et estable et fay de moy langue caulte ». (L’Internele consolacion, XLVe Chapitre : qu’on ne doit pas chascun croire et du legier trebuchement de paroles). « Cause toujours ». (Devise de la pensée causaliste). Qu’elle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse n’a qu’un médium : la parole du patient. L’évidence du fait n’excuse pas qu’on le néglige. Or toute parole appelle réponse. Nous montrerons qu’il n’est pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence, pourvu qu’elle ait un auditeur, et que c’est là le cœur de sa fonction dans l’analyse. Mais si le psychanalyste ignore qu’il en va ainsi de la fonction de la parole, il n’en subira que plus fortement l’appel, et si c’est le vide qui d’abord s’y fait entendre, c’est en lui-même qu’il l’éprouvera et c’est au delà de la parole qu’il cherchera une réalité qui comble ce vide. Ainsi en vient-il à analyser le comportement du sujet pour y trouver ce qu’il ne dit pas. Mais pour en obtenir l’aveu, il faut bien qu’il lui en parle. Il retrouve alors la parole, mais rendue suspecte de n’avoir répondu qu’à la défaite de son silence, devant l’écho perçu de son propre néant. Mais qu’était donc cet appel du sujet au delà du vide de son dire ? Appel à la vérité dans son principe, à travers quoi (94)vacilleront les appels de besoins plus humbles. Mais d’abord et d’emblée appel propre du vide, dans la béance ambiguë d’une séduction tentée sur l’autre par les moyens où le sujet met sa complaisance et où il va engager le monument de son narcissisme. « La voilà bien, l’introspection ! » s’exclame l’homme qui en sait long sur ses dangers. Il n’est pas certes le dernier à en avoir goûté les charmes, avant d’en avoir épuisé le profit. Dommage qu’il n’ait plus de temps à y perdre. Car vous en entendriez de belles et de profondes, s’il venait sur votre divan. Il est étrange qu’un analyste, pour qui ce personnage est une des premières rencontres de son expérience, fasse encore état de l’introspection dans la psychanalyse. Car si cet homme tient sa gageure, il voit s’évanouir ces belles choses qu’il avait en réserve et, s’il s’oblige à les retrouver, elles s’avèrent plutôt courtes, mais d’autres se présentent assez inattendues pour lui paraître des sottises et le rendre coi un bon moment, comme tout un chacun. Il saisit alors la différence entre le mirage de monologue dont les fantaisies accommodantes animaient sa jactance et le travail forcé de ce discours sans échappatoire que le psychologue, non sans humour, et le thérapeute, non sans ruse, ont décoré du nom de « libre association ». Car c’est bien là un travail, et tant un travail qu’on a pu dire qu’il exige un apprentissage, et aller jusqu’à voir dans cet apprentissage la valeur formatrice de ce travail. Mais à le prendre ainsi, que formerait-il d’autre qu’un ouvrier qualifié ? Dès lors, qu’en est-il de ce travail ? Examinons ses conditions, son fruit, dans l’espoir d’y voir mieux son but et son profit. On a reconnu au passage la pertinence du terme durcharbeiten auquel équivaut l’anglais working through, et qui chez nous a désespéré les traducteurs, encore que s’offrît à eux l’exercice d’épuisement à jamais marqué en notre langue de la frappe d’un maître du style : « Cent fois sur le métier, remettez… », mais comment l’ouvrage progresse-t-il ici ? La théorie nous rappelle la triade : frustration, agressivité, régression. C’est une explication d’aspect si compréhensible qu’elle pourrait bien nous dispenser de comprendre. L’intuition est preste, mais une évidence doit nous être d’autant plus suspecte qu’elle est devenue idée reçue. Que l’analyse vienne à (95) surprendre sa faiblesse, il conviendra de ne pas se payer du recours à l’affectivité. Mot-tabou de l’incapacité dialectique qui, avec le verbe intellectualiser, dont l’acception péjorative fait de cette incapacité mérite, resteront dans l’histoire de la langue les stigmates de notre obtusion en matière de psychologie… Demandons-nous plutôt d’où vient cette frustration ? Est-ce du silence de l’analyste ? Une réponse, même et surtout approbatrice, à la parole vide montre souvent par ses effets qu’elle est bien plus frustrante que le silence. Ne s’agit-il pas plutôt d’une frustration qui serait inhérente au discours même du sujet ? Ce discours ne l’engage-t-il pas dans une dépossession toujours plus grande de cet être de lui-même, dont, à force de peintures sincères qui laissent se dissiper son image, d’efforts dénégateurs qui n’atteignent pas à dégager son essence, d’étais et de défenses qui n’empêchent pas de vaciller sa statue, d’étreintes narcissiques qui s’épuisent à l’animer de son souffle, il finit par reconnaître que cet être n’a jamais été qu’une œuvre imaginaire et que cette œuvre déçoit en lui toute certitude. Car dans ce travail qu’il fait de la reconstruire pour un autre, il retrouve l’aliénation fondamentale qui la lui a fait construire comme une autre, et qui l’a toujours destinée à lui être dérobée par un autre. Cet ego, dont nos théoriciens définissent maintenant la force par la capacité de soutenir une frustration, est frustration dans son essence1. Il est frustration non d’un désir du sujet, mais d’un objet où son désir est aliéné et qui, tant plus il s’élabore, tant plus s’approfondit pour le sujet l’aliénation de sa jouissance. Frustration au second degré, donc, et telle que le sujet en ramènerait- il la forme en son discours jusqu’à l’image passivante par où le sujet se fait objet dans la parade du miroir, il ne saurait s’en satisfaire puisqu’à atteindre même en cette image sa plus parfaite 1. C’est là la croix d’une déviation autant pratique que théorique. Car identifier l’ego à la discipline du sujet, c’est confondre l’isolation imaginaire avec la maîtrise des instincts. C’est par là s’offrir à des erreurs de jugements dans la conduite du traitement : ainsi à viser un renforcement de l’ego dans maintes névroses motivées par sa structure trop forte, ce qui est une voie sans issue. N’avons-nous pas lu, sous la plume de notre ami Michaël Balint, qu’un renforcement de l’ego doive être favorable au sujet souffrant d’ejaculatio praecox, parce qu’il lui permettrait une suspension plus prolongée de son désir. Comment le penser pourtant, si c’est précisément au fait que son désir est suspendu à la fonction imaginaire de l’ego que le sujet doit le court-circuit de l’acte, dont la clinique psychanalytique montre clairement qu’il est lié à l’identification narcissique au partenaire. ressemblance, ce serait encore la jouissance de l’autre qu’il y ferait reconnaître. C’est pourquoi il n’y a (96)pas de réponse adéquate à ce discours, car le sujet tiendra comme de mépris toute parole qui s’engagera dans sa méprise. L’agressivité que le sujet éprouvera ici n’a rien à faire avec l’agressivité animale du désir frustré. Cette référence dont on se contente, en masque une autre moins agréable pour tous et pour chacun : l’agressivité de l’esclave qui répond à la frustration de son travail par un désir de mort. On conçoit dès lors comment cette agressivité peut répondre à toute intervention qui, dénonçant les intentions imaginaires du discours, démonte l’objet que le sujet a construit pour les satisfaire. C’est ce qu’on appelle en effet l’analyse des résistances, dont apparaît aussitôt le dangereux versant. Il est déjà signalé par l’existence du naïf qui n’a jamais vu se manifester que la signification agressive des fantasmes de ses sujets2. C’est le même qui, n’hésitant pas à plaider pour une analyse « causaliste » qui viserait à transformer le sujet dans son présent par des explications savantes de son passé, trahit assez jusque dans son ton, l’angoisse qu’il veut s’épargner d’avoir à penser que la liberté de son patient soit suspendue à celle de son intervention. Que le biais où il se résout puisse être à quelque moment bénéfique pour le sujet, ceci n’a pas d’autre portée qu’une plaisanterie stimulante et ne nous retiendra pas plus longtemps. Visons plutôt ce hic et nunc où certains croient devoir enclore la manœuvre de l’analyse. Il peut être utile en effet, pourvu que l’intention imaginaire que l’analyste y découvre, ne soit pas détachée par lui de la relation symbolique où elle s’exprime. Rien ne doit y être lu concernant le moi du sujet, qui ne puisse être réassumé par lui sous la forme du « je », soit en uploads/Management/ lacan-fonction-champ-parole-langage.pdf

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  • Publié le Oct 22, 2021
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