ÉVALUER SANS DÉCOURAGER par Roch Chouinard Département de psychopédagogie et d'
ÉVALUER SANS DÉCOURAGER par Roch Chouinard Département de psychopédagogie et d'andragogie, Université de Montréal, Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) Conférence donnée sur invitation dans le cadre des sessions de formation liées à la réforme en éducation, offertes aux personnes-ressources, Ministère de l'Éducation, Québec, les 18 et 19 mars 2002. La majorité des enfants arrivent à l'école primaire avec l'intention d'apprendre. Si vous demandez à un enfant de cinq ans ce qu'il ira faire à l'école, il vous paraîtra surpris par la question et il vous répondra probablement quelque chose du genre « Je m'en vais apprendre à lire ». Bien sûr, les enfants de cet âge ont toutes sortes de craintes à l'endroit de l'école. Ils peuvent avoir peur de ne pas être aimé de leur enseignante, d'être « oublié au service de garde », de ne pas se faire d'amis ou de perdre des effets personnels… Toutefois, peu d'entre eux manifestent au départ des craintes quant à leurs capacités, et ce, même s'ils ont déjà entendu des histoires d'horreur comme celle d'un petit cousin qui a « redoublé » sa 3e année ou d'une voisine qui est scolarisée en classe spéciale. Les enfants entreprennent donc leur cheminement scolaire plutôt confiants et déterminés à apprendre et à réussir (Harter, 1992; Wigfield et Eccles, 1994). En conséquence, ils manifestent alors un niveau plutôt élevé d'engagement et de persévérance dans les tâches scolaires et ils abordent généralement les activités d'apprentissage avec enthousiasme. Ils sont même contents et fiers lorsqu'ils reçoivent leurs premiers devoirs. Malheureusement, pour de nombreux élèves, ces bonnes dispositions ne durent que peu de temps… Figure 1 En fait, les enfants se rendent rapidement compte que l'école n'est pas seulement un lieu pour apprendre, que c'est aussi un endroit où l'on est évalué. L'école installe tout autour de l'enfant des miroirs qui lui renvoient une image très nette de lui-même (Tardif, 1992). Certes, ce n'est pas la première fois que l'enfant reçoit ainsi de son environnement social des représentations le concernant, mais jamais ces représentations n'ont été aussi nombreuses ni n'ont autant porté sur ses capacités et sur son intelligence. Pour toutes sortes de raisons, plusieurs enfants acceptent mal cette image personnelle réfléchie par l'école; certains sont même profondément blessés. C'est ainsi que, cette situation provoquant une importante diminution de l'estime de soi, plusieurs enfants modifient les buts qu'ils poursuivent à l'école : leur priorité n'est plus l'apprentissage, mais la préservation de l'estime de soi par l'évitement des situations pouvant l'altérer davantage (Boileau, 1999; Wigfield et Eccles, Roch Chouinard Évaluer sans décourager 1 1994). Malgré ce que l'on pourrait croire cependant, la majorité de ces enfants est toujours motivée à apprendre, mais cette motivation est désormais secondaire. Ainsi, la motivation scolaire n'est-elle pas tellement une question dichotomique - être ou ne pas être motivé à apprendre - mais une question de priorité d'intention, fonction des buts d'apprentissage ou d'évitement que poursuit l'élève. Les recherches sur le sujet ont montré que la poursuite de buts d'évitement pousse l'élève à adopter certains comportements caractéristiques ayant pour fonction de minimiser l'effet négatif de l'échec sur l'estime se soi (Harter, 1992, Schunk, 1996). Malheureusement, ces comportements sont pour la plupart incompatibles avec l'apprentissage et la réussite à l'école. Ainsi, très tôt les élèves se rendent compte que l'échec subi à la suite d'efforts intenses est plus dommageable en ce qui concerne les perceptions de soi que l'échec qui suit un investissement moindre d'énergie. En conséquence, les élèves poursuivant des buts d'évitement et de préservation de l'estime de soi en viennent à considérer l'effort comme une menace. Ils deviennent des « chercheurs de bonnes réponses », réticents à prendre des chances et à s'engager dans les tâches scolaires dont les résultats sont incertains (Covington et Omelich, 1979). De plus, plusieurs d'entre eux commencent à considérer l'effort comme un palliatif au manque d'intelligence et évitent d'y recourir afin de préserver une image de soi plus positive (Stipek et Mac Iver, 1989). Ensuite, ces élèves ont tendance à refuser de suivre les consignes données par l'enseignant ou l'enseignante. En effet, suivre les indications reçues d'une personne qu'ils voient comme une experte revient pour eux à faire des efforts. En cas d'insuccès, cela rend l'échec encore plus douloureux parce qu'il leur est alors difficile de l'expliquer par la mauvaise qualité de leur travail ou l'inaptitude de leurs stratégies (Rubin, 1999). Qui plus est, les élèves qui poursuivent d'abord des buts d'évitement sont peu enclins à demander et à accepter de l'aide parce qu'ils considèrent que l'aide est donnée aux élèves incompétents et que demander de l'aide revient à avouer son impuissance (Covington et Omelich, 1979). Afin de minimiser les risques de dépréciation personnelle, ces élèves en viennent à viser tout juste la note de passage et hésitent à s'engager dans les activités d'apprentissage qui « ne comptent pas dans la note » (Harter, 1992). Graduellement, ils commencent à exprimer publiquement leur désintérêt plutôt que leurs difficultés afin de préserver une image positive auprès de leurs pairs. En même temps, plusieurs effectuent un processus de rationalisation : alors qu'ils étaient entrés à l'école quelques années plus tôt dans le but d'apprendre, ils réussissent à se convaincre de l'inutilité de l'école et du peu d'intérêt des choses qu'on y apprend (Wigfield et Eccles, 1994). Certains adoptent même des comportements asociaux pouvant aller de l'opposition à l'adulte aux actes délinquants afin de compenser pour les sentiments de perte de contrôle générés par leur situation scolaire (Chouinard, Plouffe et Roy, en préparation). D'autres, au contraire, manifestent des problèmes plus intériorisés, comme le repli sur soi, et cherchent à se faire oublier. Finalement, un nombre considérable des élèves affectés par la poursuite de buts d'évitement en viennent à s'absenter de l'école le plus souvent possible et, en bout de ligne, à décrocher. L'apparition de ces attitudes et de ces comportements est la conséquence d'un processus de détérioration graduel de la motivation à apprendre. Ce processus, observé chez certains enfants dès la première année, touche de plus en plus d'élèves à chacune des années du primaire et du secondaire (Chouinard, 2001; Stipek et Mac Iver, 1989, Wigfield et Eccles, 1994). C'est cette situation qui fait justement dire à Viau (1994) que le milieu scolaire ne devrait pas tant viser à augmenter la motivation à apprendre qu'à freiner le processus de démotivation à l'endroit de l'école et des tâches scolaires! Roch Chouinard Évaluer sans décourager 2 En relation avec les comportements axés sur l'apprentissage et ceux visant la préservation de l'estime de soi, la figure 2 propose un modèle de la motivation scolaire permettant d'expliquer le degré d'engagement et de persévérance des élèves . Selon ce modèle, le développement des compétences est avant tout tributaire du niveau d'engagement et de persévérance de l'élève. L'engagement et la persévérance s'expriment principalement par l'effort et par l'attention ainsi que par le recours aux stratégies cognitives et métacognitives. À leur tour, l'engagement et la persévérance peuvent être prédits par les attentes de succès de l'élève à l'endroit de ses entreprises scolaires et par la valeur que ces entreprises représentent à ses yeux (Pintrich et Schrauben, 1992; Eccles, Wigfield et Schiefele, 1998). Chacune de ces deux composantes principales du modèle, les Attentes et la Valeur, regroupe différentes variables. Ainsi, la composante Attentes, de nature plus affective, comprend les perceptions de soi de l'élève, alors que la composante Valeur, plus pragmatique, renvoie particulièrement à l'intérêt qu'il accorde à l'école, aux matières et aux tâches, et aux liens qu'il établit entre ces éléments et ses buts personnels. Ainsi, l'élève qui entretient des attentes positives de succès, qui accorde beaucoup de valeur à l'école et dont les buts d'apprentissage sont élevés sera plutôt enclin à adopter des comportements associés à l'engagement et à la persévérance, alors que celui qui entretient de faibles attentes de succès, des perceptions négatives de soi et des buts d'évitement aura tendance à manifester les comportements de préservation de soi décrits précédemment. Selon Chouinard et Fournier (2002), les attentes de succès et la valeur accordée à l'école sont elles-mêmes influencées par la perception qu'a l'élève de la valeur, pour ses parents, de l'école et des choses qu'on y apprend ainsi que par la perception du niveau de confiance que ces derniers entretiennent quant à ses capacités de réussir. De plus, les comparaisons avec les autres qu'effectue l'élève, le climat de coopération (positif) ou de compétition (négatif) dans lequel les apprentissages s'effectuent, le niveau de ses performances scolaires antérieures et les pratiques pédagogiques et évaluatives en vigueur dans l'école et dans la classe contribuent aussi à déterminer ses attentes de succès et la valeur qu'il accorde à l'école (Bandura, 1986). Cela dit, il importe de préciser ici que l'élève, tout comme l'enseignant, consacre une bonne partie de son temps à l'évaluation. Cependant, ces deux acteurs n'évaluent pas nécessairement les mêmes choses. La démarche de l'enseignant porte sur les apprentissages de ses élèves alors que celle de l'élève porte plutôt sur lui-même et sur la valeur de l'école. Il convient d'ajouter ceci : les recherches sur uploads/Management/ evaluer-sans-decourager-chouinard.pdf
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