1 André Avias Le genre, du texte aux contextes 1. Introduction La notion de gen
1 André Avias Le genre, du texte aux contextes 1. Introduction La notion de genre a été beaucoup discutée ces dernières décennies, quel que soit le type de discours considéré, qu’il soit littéraire ou non, allant du roman policier à tout texte de la vie courante ou professionnelle. La vogue du roman policier, voire du film policier, est très forte à notre époque, alors que les grands classiques littéraires sont de moins en moins appréciés et vieillissent rapidement. Le roman policier n’est pas vraiment lié temporel- lement à son temps – des meurtres ont eu lieu à toutes les époques; ce sont surtout ses coulisses et ses décors qui le sont. Le noyau central, c’est-à-dire la résolution d’une énigme et le théâtre humain qui s’y joue, semble être lui d’une valeur atemporelle. J. M. Adam donne d’ailleurs une place impor- tante à l’énigme en tant que type de communication, qu’il analyse en liant interprétation et contexte, plaçant à un même niveau des genres aussi diffé- rents que le poème énigmatique, le fait divers, le roman policier, la devi- nette et l’interrogation scolaire. Un grand nombre de textes posent des questions énigmatiques à notre esprit dont il stimule l’activité soit curieuse soit provoquée par un certain contexte social. Il cite André Jolles que je reprends ici: “L’énigme-devinette est une forme simple1 qui suppose l’appartenance à une société secrète ou à un groupe régi par un ensemble de conventions acceptées.”2 Répondre à la devinette, résoudre l’énigme ou bien répondre correctement aux questions d’un sujet d’examen c’est réussir un rite de passage, d’obtenir l’autorisation de faire partie du groupe social 1 Ce qui correspond à un genre primaire (au sens de premier) chez Bakhtine, c’est-à-dire oral. 2 Jean-Michel Adam: “Le style dans la langue et dans les textes”. Langue Française n° 135, Paris: septembre 2002, 71–94 (86). 2 représenté. Comme on peut le comprendre, de la devinette populaire au sujet d’examen, de la lettre de réclamation à une entreprise à la commande d’un produit, de nombreux genres ont des points communs, des processus et fonctions similaires. C’est de prime abord dans le contexte de la lec- ture/écoute-interprétation que le genre et le sens se décident. La notion de genre est-elle utile, et même utilisable? La notion de genre est-elle scientifique? On peut se poser de telles questions avec juste raison. Mais il n’en est pas moins vrai que cette notion est très utilisée, qu’elle est apparemment pratique, voire nécessaire même pour dénommer nos objets d’étude. Nous allons donc dans cet article avoir une réflexion sur ces ques- tions en reliant le genre à la notion de discours et à celle de texte. Nous es- saierons aussi d’avancer une tentative de délimiter l’étude des genres en les exposant à la lumière de la lecture et d’un ensemble de contextes. 2. Texte, genre, discours 2.1 Du genre littéraire au genre non-littéraire Pendant très longtemps, le terme de genre a été peu employé dans la re- cherche linguistique textuelle française, sans doute du fait du passé de ce terme dans la recherche littéraire. Aujourd’hui, sous l’influence de cher- cheurs étrangers son utilisation s’étend non plus seulement au domaine lit- téraire mais aussi à la linguistique textuelle générale. Adam le souligne aussi: “En donnant autant d’importance à des genres non-littéraires que lit- téraires, il s’agira de souligner le fait que le concept est définitivement sorti de son contexte poétique d’origine.”3 Nous avons une longue tradition derrière nous – sans remonter à la poé- tique d’Aristote – où toute une théorie littéraire a été développée autour de ce terme. La plus renommée et la plus proche de nous émane de Genette, pionnier de ce mouvement avec son livre sur l’Introduction à l’architexte. Genette a effectué un travail important de classification des genres littérai- res et a, en gardien du temple, tenté de limiter le terme: La différence de statut entre genres et modes est essentiellement là: les genres sont des catégories proprement littéraires, les modes sont des catégories qui relèvent de la linguistique, ou plus exactement de ce que l’on appelle aujourd’hui la pragma- tique.4 3 Jean-Michel Adam: Linguistique textuelle, des genres de discours aux textes. Paris: 1999, 95. 4 Gérard Genette: Introduction à l’architexte. Paris: 1979, 68–69. 3 Notons que Genette place sa réflexion exclusivement dans le domaine litté- raire et qu’il n’envisage donc aucun autre type de texte: Il précise en note que “le fait de genre est proprement esthétique, [...] est commun à tous les arts”; pour lui le mode est une sous-articulation au genre qui décrirait la situation d’énonciation. Un autre auteur, antérieur à Genette, qui a fait beaucoup avancer la réflexion générique, est bien sûr Bakhtine.5 Pour lui les genres sont soit primaire ou secondaire; c’est-à-dire que les genres premiers, que nous par- lons, correspondent à des situations typiques de communication verbale (requêtes, ordres, félicitations, etc. – donc des actes de discours). De ceux- là sont dérivés les genres seconds plus complexes de l’écrit. Bakhtine met lui donc l’accent sur l’aspect évolutionnel des genres et sur leur relation à des situations de communication. D’autres ont suivi, et surtout du côté de nos amis anglo-saxons qui ont eu, avec facilité, l’idée d’étendre cette notion à toute production textuelle. Ils sont nombreux, à titre d’exemple je citerai un passage pris dans un ou- vrage collectif sur la notion de genre, édité et introduit par Aviva Freedman et Peter Medway: This theoretical rethinking has led to or been accompanied by a growing of em- pirical studies of school and workplace writing. Since Odell and Goswami’s pio- neering 1985 collection, Writing in Non-academic Settings, researchers have used ‘ethnographic’ research methods drawn from anthropology to study such in- stances as the writing of professional biologists (Myers 1990); the documents produced by tax accountants (Devitt 1991); the production of the experimental ar- ticle (Bazerman 1988; Swales 1990); the discourse produced at a central bank (Smart 1992, 1993); the recording and reporting of social workers (Paré 1991); the evolution of the memo and the business report (Yates 1989); the role of text in private enterprise (Doheny-Farina 1991); and writing for the disciplines at univer- sity (Herrington 1985; McCarthy 1987; Freedman 1990; Berkenkotter et al. 1991).6 Ajoutons à cette liste les travaux renommés de Swales puis Bahtia qui ont été intéressants de part leur tentative de définir le terme dans un cadre communicatif, celui des écrits universitaires (Swales) et professionnels (Bhatia). Bhatia le définit ainsi : 5 Mikhaïl Bakhtine: Esthétique de la création verbale. Paris: 1984. 6 Aviva Freedman, Peter Medway (eds.): “Locating Genre Studies: Antecedents and Prospects”. Genre and the New Rhetoric. London: 1994, 1–20 (1–2). 4 It is a recognizable communicative event characterized by a set of communicative purposes identified and mutually understood by the members of the professional or academic community in which it regularly occurs. Most often it is highly structured and conventionalised with constraints on allowable contributions in terms of their intent, positioning, form and functional value.7 Par ailleurs, il est possible de considérer cette communauté comme une communauté rhétorique (rhetorical community), donc en soulignant ainsi les échanges, les points de vue qui s’opposent ou non, les idées d’identité et de différence, ainsi que Miller le fait.8 Nous allons utiliser ce concept de communauté discursive dans notre article sans le problématiser, nous ren- voyons sur cette question à l’article de Frandsen.9 2.2 Utilité et difficultés La question sur la notion de genre, de savoir si un texte correspond à un genre spécifique ou non, est importante car elle doit permettre de montrer l’utilité de cette notion. Pour le cas du Mot du Président dans les rapports annuels, Kjersti Fløttum le dit bien: “De dire que c’est un genre propre est peut-être douteux, mais il serait naturel d’étudier le Rapport annuel dans son ensemble par rapport à ce concept.”10 La question qui se pose ici est celle de la délimitation des genres. Pour y répondre de façon sérieuse, il est nécessaire de prendre comme point de départ la notion de discours et l’idée de communauté d’esprit de Swales. Si donc on considère un discours spé- cifique comme une famille discursive réunissant un ensemble d’énoncés reconnus par une certaine communauté d’individus,11 à chaque discours correspondra un certain nombre de genres, ce que l’on peut aisément (mais partiellement) exemplifier pour les discours littéraire ou économique. Cela ne fait que confirmer un point de vue partagé par beaucoup, depuis Witt- 7 Ajay Bhatia: Analysing genre: Language use in Professional Settings. London, New York: 1993, 30. 8 Carolyn R. Miller: “Rhetorical Community: The Cultural Basis of Genre”. Genre and the New Rhetoric. London: 1994, 67–78 (74). 9 Finn Frandsen: “What Do Members of Discourse Communities Have in Common?”. Wenche Vagle, Kay Wikberg (eds.): New Directions in Nordic Text Linguistics and Discourse Analysis: Methodological Issues. Oslo (à paraître). 10 Kjersti Fløttum, Inge Hemmingsen, Unni Puntervold Pereira: Styrets/styreformanns beretning, Arbeidspapirer fra Høgskolesenteret i Rogaland: nr. 178, 1993, 25. (Ma tra- duction). 11 Cette communauté a un caractère double, elle est à la fois celle des locuteurs (person- nes actives) et des auditeurs (le uploads/Management/ avias.pdf
Documents similaires










-
82
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 11, 2022
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.1513MB