"Comment se fait-il que les entreprises fonctionnent ?" La description de ses m
"Comment se fait-il que les entreprises fonctionnent ?" La description de ses méthodes de travail par J.K., le trader qui a fait trébucher la Société Générale, n’a rien de surprenant pour qui s’intéresse au management. On sait depuis longtemps que si les entreprises fonctionnent, ce n’est pas grâce aux procédures préconisées par la Direction, mais malgré elles. Travail irréprochable ou sabotage ? Dans une organisation ayant une obligation de résultat, personne n'applique intégralement les règles. Ou plutôt, il faut être très en colère contre son patron pour le faire, et cela s'appelle la « grève du zèle ». Arme redoutable puisqu'elle permet de tout paralyser en travaillant de façon irréprochable. Le terme a vieilli, et cette forme de lutte sociale, qui était surtout utilisée par les fonctionnaires n'ayant pas le droit de grève, s'emploie moins aujourd'hui qu'il y a deux ou trois décennies. Il faut dire qu'elle est pénible pour ceux qui y ont recours. De plus, on peut penser qu'à force de les contourner, les employés finissent par ne plus avoir qu'une vague idée de ce que sont les règles ! « Comment se fait-il que ça marche ? » Claude Riveline, Professeur de gestion à l'école des Mines de Paris, disait être passé en quarante ans de carrière de la certitude de l'ingénieur chargé de dire « comment les entreprises doivent marcher » à la perplexité de l'observateur qui se demande « comment se fait-il que ça marche ? ». On voit se développer parmi les exécutants, à côté des pratiques officiellement préconisées, un corpus de compétences difficiles à cerner, acquises sur le terrain par l'expérience et le contact avec les collègues. Ces connaissances, que l'on appelle « tacites », sont mal connues par les cadres qui n'ont pas eux-mêmes fait leurs armes dans les bureaux et les ateliers où elles s'apprennent - par osmose plutôt que par l'étude. D'où le dilemme du manager. Il sait parfaitement qu'il ne peut exiger un strict respect des règles, mais doit aussi éviter les dérives. Le jeune trader de la Société Générale n'a donc sans doute pas tort en affirmant : « lorsque je suis en positif ma hiérarchie ferme les yeux sur les modalités et les volumes engagés » (Le Monde, 31/01/2008). Prendre en compte l'asymétrie de connaissances Comment donc donner aux contrôleurs les moyens de contrôler ? Et peut-on le faire, face à cette asymétrie de connaissances en faveur du contrôlé ? Il existe deux solutions. La première consiste à concevoir des organisations, des processus et des systèmes de rémunération n'incitant pas au contournement des règles. Par exemple en évitant de faire miroiter aux yeux du salarié des bonus individuels représentant plusieurs mois de son salaire. L'enjeu ne peut que pousser à la faute, et il est possible de récompenser un employé pour son talent et la part qu'il a prise dans l'obtention des résultats sans transformer son poste de travail en table de roulette. La deuxième solution est de gérer les carrières rationnellement, et de considérer que c'est le contrôleur qui doit disposer du maximum de connaissances. Au lieu de faire passer un employé du middle office, où il travaille sur les mécanismes de contrôle, au trading, comme l'a fait la Société Générale, il serait plus astucieux de faire l'inverse, et que les postes les plus exposés soient supervisés par des managers qui les ont eux-mêmes tenus. Même si les connaissances tacites se périment comme les autres, cela donnerait une longueur d'avance aux contrôleurs. Marc Mousli Deux cents fois onze minutes, ou la semaine de 35 heures Ne pas terminer dans la journée un travail que nous voulions faire en deux heures, s’interrompre au milieu d’une phrase pour regarder sa messagerie, passer dix coups de fil qui auraient pu attendre, bavarder avec un copain qui passait par là alors qu’il nous faut terminer une note urgente... toutes choses auxquelles nous nous sommes cent fois promis de remédier. En fait, nous partageons ces pratiques avec des centaines de milliers de commerciaux, financiers, enseignants, informaticiens, etc., dont le métier est de traiter de l’information. Comme nous, ils sautent en permanence d’une tâche à l’autre, s’interrompent ou sont interrompus dix fois dans la journée pour les motifs les plus divers. Un programme d’études récent cherche à mieux comprendre ce phénomène et ses conséquences. Une matinée très occupée En arrivant au bureau, à 9 heures, Max a l'intention bien arrêtée de lire le dernier rapport de la FAO - dix-huit pages sur l'avenir de la culture du maïs dans les zones tempérées. Bien entendu, il doit d'abord traiter son courrier électronique. Vers 9 h30, il a éliminé les dix « pourriels » qui avaient franchi toutes les barrières anti- SPAM, classé les douze copies - sans aucun intérêt pour lui - expédiées par des collègues adeptes du principe de précaution, et répondu aux deux messages qui le concernaient vraiment. Il s'attaque au rapport. Trois minutes plus tard, Jean-Claude entrouvre la porte du bureau : « tu viens au jus ? » ; à cette heure-là, le rite de la pause-café est sacré. Revue rapide des feuilletons bureaucratiques en cours, nouvelles fraîches du siège social ... Il est dix heures quand Max retrouve l'introduction du rapport sur la culture du maïs. Le premier coup de téléphone ne tarde pas. Il est 10h25 quand il raccroche. Pendant que son interlocuteur lui donnait des informations qu'il connaissait déjà, il a vérifié sa messagerie. Deux « pourriels » et un message de Xavier lui proposant un couscous chez Rachid à midi. Réponse immédiate : à 10h30, il est urgent de penser au déjeuner. Les sept minutes qui suivent sont consacrées à la culture du maïs. Max est plongé dans le tableau de la page trois quand le téléphone sonne. C'est Bonnot, le chef de département « Tu aurais cinq minutes pour parler du dossier BASF ? ». Max saute sur l'occasion : son patron est difficile à coincer : toujours en réunion ou en voyage. Il abandonne sans remords l'historique des nappes phréatiques dans les zones de culture, attrape le dossier BASF-Agri Production et fonce au cinquième étage. Lorsqu'il sort du bureau de son chef, satisfait d'avoir des orientations précises sur la conduite à tenir vis-à-vis de son client, il est 11h25. Il faut dire que pendant leur entretien, Bonnot a reçu quatre coups de téléphone, deux SMS, et a été questionné trois fois par sa secrétaire. Difficile de replonger dans le dossier maïs avant le déjeuner : les amateurs de couscous savent que le vendredi il faut arriver tôt chez Rachid si l'on veut une bonne table. L'après-midi se déroulera comme la matinée, sur un rythme à peine ralenti par la digestion de l'excellent Gris de Boulaouane de Rachid. Max terminera la lecture du rapport de la FAO dans son jardin, dimanche après-midi, pendant que les enfants seront au stade. Onze minutes par activité Rien de caricatural dans cette description : c'est la vie quotidienne du cadre moyen d'une grande organisation, d'un universitaire, d'un syndicaliste, etc. Des chercheurs de l'UCI (Université de Californie à Irvine) et de l'Université Humboldt à Berlin travaillent depuis plusieurs années sur les interruptions au travail, et les résultats qu'ils ont obtenus montrent que Max n'est ni mieux ni plus mal organisé que ses collègues du monde entier. Ils ont classé les interruptions en deux groupes : internes et externes. Les premières (44% du total) sont entièrement du fait de la personne observée : elle s'arrête de travailler sur un dossier pour chercher ses messages sur Internet, pour aller boire un verre d'eau ou pour téléphoner à un copain. Les interruptions externes, majoritaires, sont provoquées par le téléphone, l'alerte sonore d'arrivée d'un courriel ou d'un SMS, les collègues de bureau, le conjoint ou les enfants pour ceux qui travaillent à domicile.[1] Des centaines d'heures d'observation et de chronométrage ont montré que les personnes employées à des travaux de bureau relativement autonomes (avec une importante utilisation des technologies de l'information) travaillaient en moyenne 11 minutes sans interruption, et que ces onze minutes étaient fractionnées en tâches qui duraient chacune moins de 3 minutes. Ces résultats peuvent surprendre. En fait, ils recoupent les travaux d'Henry Mintzberg, qui avait montré dès 1973 qu'un directeur général avait « en moyenne 36 contacts écrits et 16 contacts verbaux par jour, pratiquement chacun ayant trait à un problème différent »[2]. En se basant sur un temps de travail effectif de 10 heures par jour, on obtient un temps moyen de 11min. 30 sec. par « contact ». Qui paie ? Après avoir compté les interruptions, les chercheurs californiens et berlinois ont cherché à en évaluer les conséquences : quel est le coût, et qui paie ? Le coût peut se calculer en mesurant le temps nécessaire à la reprise de l'activité interrompue. Il faut réactiver l'ordinateur, retrouver l'endroit où l'on s'est arrêté de lire ou d'écrire, se remettre en tête les idées que l'on était en train d'assimiler ou de développer, relire quelques phrases, etc. La première conclusion de ces mesures est que les interruptions sont effectivement uploads/Management/ articles-management.pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
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