CLASSIQUES DU XX' SIECLE « Ouvrage classique », dit le Dictionnaire de l'Académ

CLASSIQUES DU XX' SIECLE « Ouvrage classique », dit le Dictionnaire de l'Académie « Ouvrage qui a soutenu l'épreuve du temps et que les hom- mes de goût regardent comme un modèle ». Bien des écrivains qui parurent, d'abord, indignes d'un tel hommage sont entrés, plus ou moins vite, dans ce Panthéon de l'âme où Racine ne rougit pas de rencontrer un Stendhal, ni Goethe un Dostoïevski. Mais, s'il n'est pas très difficile d'élever à la dignité Me classi- ques les écrivains des siècles passés, une critique vivante doit aussi tenter de dire, hic et nunc, quels sont ceux de nos contemporains qui méritent déjà le nom de classique par le caractère exemplaire de leur expérience et de leur style. On a tenté de réunir dans cette collection : « Classiques du XXe siècle », hors de tout parti pris politique ou esthétique, tous ceux qui, vivants ou morts, français ou étrangers, paraissent répondre aux grandes préoccupations du monde moderne, depuis les morts de longue date comme Nletzscho ou Dostoïevski jusqu'à des écrivains nés en ce slècln, comme Camus ou Mounler. En demandant à tels de nos meilleurs critiques de présentai un écrivain de leur choix, nous avons cru devoir Inui iii|>|tn|ni que cette collection s'adressait au grund public, nt purlieu lièrement à l'étranger, et qu'il convenait donc de perler son langage: le plus simple, le plus direct, In plun naturel qui soit. La critique, telle que nous l'entendons Ici, dnvrnit avoir pour ambition d'amener à un auteur, réputé difficile, Inn lecteurs restés Indifférents à son œuvre parco qu'ils non possédaient pas les bonnes clés. Lucien GUISSARD Né en 1919. Licencié en sciences politiques et sociales. Rédacteur en chef adjoint de La Croix, critique littéraire au même journal ; membre de direction de Presse-Actualité. Ouvrages publiés : Catholicisme et progrès social, Ecrits en notre temps, études sur la pensée sociale et littérature qui valut à son auteur le Grand prix catholique de littérature 1961. EDITIONS UNIVERSITAIRES PAR L U C I E N GUIS: LUCIEN GUISSARD E M M A N U E L M O U N I E R C L A S S I Q U E S DU XX e S I E C L E Editions Universitaires 115, Rue du Cherche-Midi Paris-6e Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays y compris l'U.R.S.S. © by Emmanuel Mounier (Editions Universitaires, 1962). AVERTISSEMENT Le nom d' est inséparable d'un mouvement de pensée politique dont la revue Esprit fut et demeure l'expression. L'auteur du petit ouvrage que voici n'a pourtant pas eu pour objectif d'analyser en dé- tail cette pensée ni de suivre l'histoire intérieure de la revue. Il a fixé son regard sur la personnalité de Mou- nier, il s'est limité au cheminement d'une intelligence, à la signification d'une vie. Pour cela, il a cru néces- saire de donner largement la parole à Mounier lui-mê- me, comme on le verra par l'abondance des citations. Cela ne l'empêche pas d'engager la discussion sur cer- tains points jugés essentiels. Comme le veut la collection « Classiques du XX« siè- cle », ce livre aura rempli sa tâche s'il peut servir d'in- troduction à la lecture de Mounier, une introduction amicale et fidèle. L.G. CHAPITRB I « JE SUIS UN MONTAGNARD » Dans les époques dangereuses se lèvent les hommes audacieux. Ils prennent le risque de scruter notre nuit et ne s'éclairent pas à la grosse lanterne familière que leur tendent les opinions reçues, les systèmes de pensée en usage, les exclusives de partis qui se couvrent du manteau emprunté de la vérité absolue. Audacieux, toujours menacés par le faux-pas au bord des abîmes, ils veulent être vigilants. Parce qu'ils veillent, ils sont exigeants : le temps où ils vivent, le milieu qui les a nourris, ne leur semblent jamais purs de reproches. Ils cultivent en eux une telle sensibilité au péril qu'ils ne peuvent se croire en repos ni laisser en repos leurs con- temporains. Emmanuel Mounier fut un de ces hommes. Quand il mourut en 1950, à l'âge de 45 ans, personne n'aurait pu lui refuser la vertu de présence. Sa vie avait été courte mais il l'avait consumée à prendre sa part des drames politiques, des controverses sociales et culturelles, des inquiétudes religieuses, qui donnent au demi-siècle son allure de champ de bataille. Son histoire se confond avec l'histoire des hommes. Rien ne semblait le prédestiner à une existence ar- dente de publiciste. Né le 1" avril 1905, à Grenoble, dans une famille de condition modeste, il rappellera souvent à ses amis que ses aïeux étaient des terriens et qu'il avait trouvé dans son héritage certains traits psy- chologiques dont il gardait la fierté. Au colonel X, il écrit, quelques semaines avant sa mort : « Je suis un 100 CLASSIQUES DU XX' SIECLE « intellectuel ». Ceci appelle un certain nombre d'atro- phies et de tics. Je me garderai de m'en croire exempt. Mais souvent je me retourne avec reconnaissance vers mes quatre grands-parents paysans, des vrais tous qua- tre, avec de la terre à leurs souliers, le lever à trois heures et la tranche de saucisson dans les doigts. Quand je me sens tout de même, vu de l'intérieur, si étranger à ma gens, comme gens, quand je bondis aux fausses grâces, aux mots enflés, aux pirouettes ou, sur l'autre versant (l'Université), à l'épouvantable esprit de sérieux, je sens un grand-père réagir en moi, sa santé me couler dans les veines, l'air de ses champs me pu- rifier les poumons, et je rends grâces, comme tant d'autres... » Le descendant des terriens a besoin de faire retour aux origines. Il ne consent pas, sans se critiquer soi- même, au dépaysement qu'exige sa carrière d'intellec- tuel ; une hygiène lui est indispensable et c'est en même temps l'aveu des travers qu'il n'a pas entièrement évi- tés. « Je suis un montagnard », confie-t-il aux Touchard en 1936. Il se compare à l'eau d'un lac de montagne : « pas un pli à la surface, une netteté inhumaine, mais le torrent gronde dans le fond, et si vous y regardez bien, à cette surface, ce n'est pas du métal, ce n'est pas du miroir, mais la fine peau d'un œil humide. Si ce n'était trop beau, et donc un peu prétentieux pour moi de pousser la parenté, je vous dirais que je suis un peu de cette eau-là. Du naturel le plus incertain, le plus sauvage de goûts, somme toute primesautier, et fait pour la contemplation distraite du ciel et de la terre plus que pour les mises en marche et les dogmatis- mes ». Pourtant, le jeune Mounier, à travers une enfance qui lui fut douce, se dirigeait vers un monde qui dé- concerte les montagnards et les paysans. Eprouvé phy- siquement par une surdité partielle, par une vue très affaiblie, il avait entrepris ses études avec retard. Ses parents et ses maîtres se trouvaient d'accord pour re- connaître qu'il avait sur ses camarades l'avantage d'une maturité précoce ; il était appliqué à la tâche ; son in- telligence avançait dans les questions et les réponses avec une lenteur qui n'était pas faiblesse, mais exi- gence. Au sortir du lycée, il fallut choisir une direction dans les études supérieures. Les parents rêvaient d'un fils médecin. Emmanuel, affectueux et timide, surtout ti- EMMANUEL MOUNIER 8 mide, s'inscrivit à la Faculté des sciences malgré l'at- trait évident qui le portait vers les lettres. Le désir pa- ternel ne suffisant pas à donner une vocation, ce fut une période de souffrance. A son grand ami belge Jac- ques Lefrancq, Mounier le dira dans une lettre d'août 1933 : < Je tombe dans la physique-chimie-histoire na- turelle. Désespoir, jusqu'aux goûts de suicide. Pour ou- blier, je fonce comme un fou. » Il en perdait l'appétit. Les trois années 1921 à 1924, il les tient pour .perdues parce qu'il n'a pas pu donner libre cours à son amour de la lecture : au lieu du Bateau ivre, les mathémati- ques ; juste le temps d'entrevoir que Bergson est plus passionnant. En 1924, il suit une retraite fermée que prêche à Saint-Robert le P. Décisier : « la retraite est lumineuse. J'y lis en lettres de feu la nécessité de bi- furquer ». Cette fois, il est résolu à s'orienter vers la philosophie et il n'a aucune peine à convaincre sa fa- mille. Pendant trois ans (1924-1927), il suivra les cours de Jacques Chevalier à l'Université de Grenoble. Entre le philosophe et son brillant élève, va naître une amitié qui sera, pour Mounier, une des richesses les plus dé- licates de sa jeunesse studieuse : l'élève admire son maître ; le maître sait qu'il influence en profondeur cet esprit étonnamment réceptif et curieux. Mais Mounier n'était pas né pour devenir un disciple. « Alors qu'en apparence, il se soumet passivement à l'action et à l'exemple d'autrui, une lente incubation secrète lui per- met d'assimiler ce qu'il accueille et de le faire sien, dans l'attente d'autres révélations. Une longue uploads/Litterature/lucien-guissard-emmanuel-mounier-editions-universitaires-1962.pdf

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