1 Écritures du silence, 5, 2009, 1-12 L. Drigo Agostinho. De la page blanche à
1 Écritures du silence, 5, 2009, 1-12 L. Drigo Agostinho. De la page blanche à la musique: Mallarmé et l’écriture du silence De la page blanche à la musique: Mallarmé et l’écriture du silence LARISSA DRIGO AGOSTINHO Doctorante Université Paris IV-Sobronne Résumé : Nous nous proposons de montrer dans quelle mesure la musique fournit à Mallarmé un modèle de création artistique capable de surpasser l’impuissance provoquée par un lan- gage arbitraire corrompu par un modèle représentationnel tout en préservant et donnant forme au mystère que seules les lettres sont capables de dévoiler. Mots-clés : littérature française du XIX ; modernité ; langage ; littérature et musique. Resumen: Proponemos mostrar en cual medida la música abastece en Mallarmé un modelo de creación artística capaz de sobrepasar la impotencia provocada por un lenguaje arbitrario corrompido por un modelo de representación preservando y consagrando forma al miste- rio que sólo las cartas (letras) son capaces de descubrir. Palabras clave: literatura francesa del siglo XIX; modernidad; lenguaje; literatura y música. Abstract : We suggest showing in which measure the music supplies to Mallarmé a model of ar- tistic creation capable of surpassing the impotence provoked by an arbitrary language cor- rupted by a representational model while protecting and embodying the mystery that only letters are capable of revealing. Key-words : French literature of the XIXth century; modernity; language; literature and music. 1. LE SILENCE COMME IMPUISSANCE POÉTIQUE Dans les années 1866-1869 Mallarmé subit une crise, fondamentale, dans la constitution de toute sa poésie. Cette crise, connue comme « Crise de Tournon » marque la découverte du Néant chez le poète : Malheureusement, en creusant le vers à ce point, j’ai rencontré deux abîmes, qui me désespèrent. L’un est le Néant, auquel je suis arrivé sans connaître le 2 Écritures du silence, 5, 2009, 1-12 L. Drigo Agostinho. De la page blanche à la musique: Mallarmé et l’écriture du silence bouddhisme et je ne suis encore trop désolé pour pouvoir croire même à ma poésie et me remettre au travail, que cette pensée écrasante m’a fait abandon- ner. (Mallarmé, 1998 : 678) Cette crise commence au printemps de l’année 1866, lors de l’écriture d’Hé- rodiade, c’est en « creusant les vers» que le poète découvre le Néant. L’abîme du Néant, se révèle comme une « pensée écrasante », pensée qui met en ques- tion l’homme, et toutes les « vaines formes de la matière », « vaines » mais « su- blimes », « pour avoir inventé Dieu ». Ainsi, le Néant qui serait l’une des figu- res les plus remarquables de la poésie de Mallarmé, n’est pas simplement un abîme, vide, il s’agit d’une pensée, une idée, « une vérité », qui transforme tout en « mensonge ». Le Néant est un abîme qui se creuse à partir de l’écriture même, un abîme dans le blanc du papier, dans le langage. Il révèle au poète la nullité de la fic- tion, il la dévoile comme un « mensonge », « tout » devient, après cette crise, « mensonge ». Le travail de poète, l’acte de « creuser le vers » est à l’origine de la découverte du Néant et son reflexe sera le vers, le Langage. C’est à travers le langage et la fiction, comme critique de la représentation, que l’idée de Néant prend sa forme la plus complexe dans la poésie mallarméenne. Cette rencontre se configure comme le fruit d’une longue méditation, comme Mallarmé l’annonce, il ne s’agit pas d’une découverte faite à travers le boudd- hisme, elle est intellectuelle : « Je viens de passer une année effrayante : ma pen- sée s’est pensée et est arrivée à une conception Pure.» (Mallarmé, 1998 : 713) Hérodiade est le reflet même de la crise qu’elle provoque chez le poète. Les lettres de cette période témoignent de la difficulté que Mallarmé a eue pour la concevoir : « cette œuvre solitaire m’avait stérilisé » (Mallarmé, 1998 : 678) Elle provoque la stérilité poétique de Mallarmé, déclenchant une crise d’im- puissance que suivra le poète pendant de longues années. Hérodiade est, elle- même, à travers sa virginité, le symbole du Néant, sur la forme de la blancheur, et dans son silence énigmatique. J’aime l’horreur d’être vierge et je veux Vivre parmi l’effroi que me font mes cheveux Pour, le soir, retirée en ma couche, reptile, Inviolé, sentir en la chair inutile Le froid scintillement de ta pâle clarté, (Mallarmé, 2003 : 60) Ecrit sur le modèle d’une poétique nouvelle, qui tenait à peindre « non la chose mais l’effet qu’elle produit » Hérodiade rejoint les idées de Mallarmé, pu- bliés beaucoup plus tard, sur la lecture de la poésie. Hérodiade provoque chez le 3 Écritures du silence, 5, 2009, 1-12 L. Drigo Agostinho. De la page blanche à la musique: Mallarmé et l’écriture du silence poète l’effet de sa virginité, il se sent impuissant devant la page blanche, en ne voyant aucune raison de la corrompre avec le noir de l’encre de sa plume. Hérodiade est la figure par excellence de la poésie pure mallarméenne, qui privilégie l’effet poétique à la signification du poème, qui exclut toute représen- tation pour céder la place au langage et exclut le monde pour faire du poème rien qu’un « bibelot d’inanité » ou le « néant s’honore ». La crise de 1866 s’achève avec l’écriture d’Igitur, un projet néanmoins ina- chevé. Mais le Néant reste le principe négatif par excellence à la base de toute l’esthétique mallarméenne. Dans Igitur par exemple le Néant prend la forme du hasard contre lequel le poète doit se battre, à côté de la pensée pour écrire. Dans les années qui suivent, surtout au tour de 1880 Mallarmé écrit de nombreux tex- tes journalistiques, notamment de critique d’art, des textes sur la musique, le théâ- tre, la danse, où le poète développe et expose les principes esthétiques de son œuvre rêvée, le Livre. Ce qui nous intéresse ici est le rapport entre la musique et la poésie, car c’est justement la musique qui fournit au poète une alternative face à un langage im- puissant, incapable de jeter une lumière sur le mystère qui nous entoure. Nous allons examiner surtout le principal texte sur le rapport entre la poésie et la mu- sique « La musique et les Lettres », et comme introduction à la question du rap- port entre musique et poésie chez Mallarmé, nous proposons la lecture du poème « Sainte ». 2. LA MUSIQUE: DU SILENCE DANS LA POÉSIE SAINTE À la fenêtre recélant Le santal vieux qui se dédore De sa viole étincelant Jadis avec flûte ou mandore Est la Saint pâle, étalant Le livre vieux qui se déplie Du Magnificat ruisselant Jadis selon vêpre et complie : À ce vitrage d’ostensoir Que frôle une harpe par l’Ange Formée avec son vol du soir Pour la délicate phalange 4 Écritures du silence, 5, 2009, 1-12 L. Drigo Agostinho. De la page blanche à la musique: Mallarmé et l’écriture du silence Du doigt, que, sans le vieux santal Ni le vieux livre, elle balance Sur le plumage instrumental, Musicienne du silence. (Mallarmé, 2003 : 44) Ce poème date de la fin de 1865, il a été écrit à la demande de Mme Cécile Brunet, marraine de la fille du poète Geneviève, à l’occasion de sa fête. Son titre originel est « Sainte Cécile jouant sur l’aile d’un chérubin ». Cécile peut donner l’anagramme de silence. Ce qui fait de ce poème plus qu’un poème de circonstance, mais un poème où la circonstance du langage, présentant l’insinuation d’un rapport essentiel entre la Sainte de la musique et le silence, offrant ainsi au poète une occasion idéale de réfléchir sur le rapport entre silence et musique dans la poésie. L’hommage à la sainte de la musique malgré l’effacement du titre apparaît dans la liste d’instruments musicaux cités : « viole », « flûte », « harpe », « mandore ». C’est justement cette dernière qui donne le ton du poème, ou son rythme. La mandore est un vieil instrument à quatre cordes, le poème a quatre quatrains, et les vers ont huit syllabes, pliés, sur quatre syllabes. Le caractère sacré de la Sainte, qui pourrait évoquer aussi le caractère sacré de la poésie et son rapport avec la religion, apparaît dans plusieurs instants à travers l’ « ostensoir », le « Magnificat », et finalement correspond à l’image du titre initial « l’ange » qui « frôle une harpe » etc. Une seule phrase compose ces quatre quatrains, elle tourne autour du verbe « être », le verbe le plus omis, le moins présent dans toute la poésie mallarméenne une phrase qui ne cherche guère à définir mais à déconstruire l’image de la Sainte « à la fenêtre », juxtaposée au reflet de la Sainte dans le « vitrage ». Les signes de cette opposition deviennent plus clairs quand nous regardons la première version de ce poème, le premier quatrain présentait le même mot au premier vers du premier quatrain, « recelant », uploads/Litterature/larissa-drigo-agostinho-mallarme-l-x27-ecriture-du-silence.pdf
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- Publié le Jan 11, 2022
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