Revue d'histoire et de philosophie religieuses Paul et la rhétorique. Regard su
Revue d'histoire et de philosophie religieuses Paul et la rhétorique. Regard sur l’histoire et les enjeux d’un débat Christian Grappe Résumé L’approche rhétorique des épîtres de Paul, remise au goût du jour par H. D. Betz en 1975, renoue en fait avec une pratique illustrée dans les premiers temps de la Réforme notamment par Melanchthon et Calvin. Elle a alors contribué à mettre en valeur la dynamique de la Parole et à battre en brèche l’exégèse scolastique. Mais elle trouve ses racines, par delà certains théologiens médiévaux qui étaient partis en quête de l’intention de l’auteur, chez Augustin et Jean Chrysostome. Bien comprise, elle permet de mieux se mettre à l’écoute des diverses voix qui se font entendre au sein du canon et de s’affranchir d’une lecture fondamentaliste des textes. Abstract The rhetorical approach of the Pauline epistles, reintroduced by H. D. Betz in 1975, in fact revives a practice in use during the first decades of the Reformation, especially by Melanchthon and Calvin. At that time, it helped to bring to light the dynamic of the Word and to breach scholastic exegesis. Apart from certain medieval theologians who searched for the intention of the authors, its roots can be found in the works of Augustine and Chrysostom. This approach allows to listen more carefully to the several voices of the canon and to free oneself from a fundamentalist reading of the texts. Citer ce document / Cite this document : Grappe Christian. Paul et la rhétorique. Regard sur l’histoire et les enjeux d’un débat. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 89e année n°4, Octobre-Décembre 2009. Octobre-Décembre 2009. pp. 511-530; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.2009.5844 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2009_num_89_4_5844 Fichier pdf généré le 05/12/2019 CH. GRAPPE, PAUL ET LA RHÉTORIQUE. HISTOIRE ET ENJEUX D’UN DÉBAT REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2009, Tome 89 n° 4, p. 511 à 530 511 PAUL ET LA RHÉTORIQUE Regard sur l’histoire et les enjeux d’un débat Christian Grappe Faculté de Théologie Protestante – Université de Strasbourg 9 place de l’Université – F-67084 Strasbourg Cedex Résumé : L’approche rhétorique des épîtres de Paul, remise au goût du jour par H. D. Betz en 1975, renoue en fait avec une pratique illustrée dans les premiers temps de la Réforme notamment par Melanchthon et Calvin. Elle a alors contribué à mettre en valeur la dynamique de la Parole et à battre en brèche l’exégèse scolastique. Mais elle trouve ses racines, par delà certains théologiens médiévaux qui étaient partis en quête de l’intention de l’auteur, chez Augustin et Jean Chrysostome. Bien comprise, elle permet de mieux se mettre à l’écoute des diverses voix qui se font entendre au sein du canon et de s’affranchir d’une lecture fondamentaliste des textes. Abstract : The rhetorical approach of the Pauline epistles, reintroduced by H. D. Betz in 1975, in fact revives a practice in use during the first decades of the Reformation, especially by Melanchthon and Calvin. At that time, it helped to bring to light the dynamic of the Word and to breach scholastic exegesis. Apart from certain medieval theologians who searched for the intention of the authors, its roots can be found in the works of Augustine and Chrysostom. This approach allows to listen more carefully to the several voices of the canon and to free oneself from a fundamentalist reading of the texts. En 1975, Hans Dieter Betz, néotestamentaire reconnu et, paral- lèlement, remarquable spécialiste de la littérature grecque, fit souffler un vent nouveau dans le champ des études pauliniennes. Il publia un article 1 dans lequel il proposait que Paul se soit conformé, en composant l’Épître aux Galates, au modèle fourni par la rhétorique antique 2. ————— 1 Betz, 1975. 2 Notre exposé se limitera à l’étude de deux des cinq opérations-mères que distinguait la technè rhetorikè, la dispositio, qui consistait à metre en ordre ce que l’on avait trouvé comme preuves lors de la phase initiale de l’inventio, et l’elocutio, qui visait à l’ornement du discours à travers le choix des mots et des figures. Nous n’envisagerons pas les deux phases ultérieures, qui n’ont de toute façon pas de place dès lors qu’il s’agit de consigner un discours par écrit sans envisager de le prononcer, la memoria, qui permettait de s’en souvenir, et l’actio, qui consistait finalement à le jouer. CH. GRAPPE, PAUL ET LA RHÉTORIQUE. HISTOIRE ET ENJEUX D’UN DÉBAT REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2009, Tome 89 n° 4, p. 511 à 530 512 Dans cette épître, rappelons-le, Paul s’en prend de manière vigoureuse à des personnages, qu’il stigmatise comme des adver- saires. Les Galates sont tombés sous leur coupe au point de se détourner de l’Évangile du salut par la grâce en Christ au profit, tempête Paul, d’un autre évangile (Galates 1,6-8). Après la saluta- tion d’usage, l’apôtre – et c’est un cas unique dans ses lettres – ne prend pas le temps d’insérer dans l’exorde une formule de reconnais- sance relative aux destinataires. Il n’a en fait à leur endroit que des griefs. Et l’absence de vœu de bénédiction en conclusion de sa lettre confirme l’état de tension extrême qui prévaut au moment où il la rédige. Courroucé qu’il est, Paul s’emploie, tout au long de son épître, à défendre avec véhémence l’Évangile tel qu’il le conçoit. Betz proposait, dans son étude pionnière de 1975, que, pour mieux parvenir à convaincre son auditoire, il ait en fait recouru à un discours de type judiciaire au sein d’une lettre à caractère apolo- gétique affirmé. En avançant une telle thèse, Betz supposait que Paul ait recouru à l’un des trois grands genres de discours que distinguait la rhé- torique antique 3, le genre judiciaire, destiné à plaider une cause, qu’il s’agisse d’accuser ou de défendre, ce que l’apôtre fait tout à la fois en stigmatisant les adversaires et en faisant l’apologie de son Évangile. Betz allait plus loin encore en affirmant que Paul aurait, dans son épître, suivi, à l’intérieur du cadre épistolaire, le schéma classique des discours antiques 4 avec successivement : Préface épistolaire (1,1-5) Exorde (1,6-11) Narratio (1,12-2,14) avec thèse (1,12) Propositio (2,15-21) Probatio (3,1-4,31) Exhortatio (5,1-6,10) Postface épistolaire (6,11-18) ————— 3 Ces trois grands genres sont : le genre délibératif, classiquement dirigé vers les membres d’une assemblée politique pour les inviter à choisir, pour le futur, entre l’utile et le nuisible ; le genre judiciaire, prioritairement destiné aux juges d’un tribunal appelés à se prononcer en toute justice sur une affaire passée ; le genre épidictique, orienté quant à lui vers une assemblée donnée pour louer ou blâmer, dans le présent, un personnage, un comportement…. 4 Le schéma classique de la dispositio, formalisé notamment par Aristote, faisait se suivre : exorde (entrée en matière) ; narratio (exposé des faits) ; confirmatio (exposé des arguments comportant fréquemment une thèse ou propositio, dans tous les cas une argumentatio ou probatio, et, quand cela s’avère utile, une refutatio ou altercatio) ; peroratio (épilogue). À ces quatre parties, pouvait s’en ajouter une autre, l’egressio ou digressio, susceptible de trouver sa place à tout moment. Plus tard, Quintillien proposa un schéma en cinq parties en distinguant confirmatio et refutatio pour en faire deux sections distinctes. CH. GRAPPE, PAUL ET LA RHÉTORIQUE. HISTOIRE ET ENJEUX D’UN DÉBAT REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2009, Tome 89 n° 4, p. 511 à 530 513 Depuis les études de Betz 5, la prise en compte de la rhétorique antique dans l’interprétation des épîtres pauliniennes a pris un réel essor. Elle donne lieu à de féconds débats, notamment à propos de l’Épître aux Galates, mais aussi de l’Épître aux Romains. Ces débats sont souvent vifs. De fait, dès sa publication, le commentaire de Betz a suscité de nombreuses réactions. Certains, tout en manifestant un réel intérêt pour son hypothèse rhétorique, ne sont pas du même avis que lui quant au genre de l’épître et considèrent qu’elle relève du genre délibératif dans la mesure où elle appelle les destinataires à une décision qui va déterminer leur existence tout entière, et donc leur avenir. Certains encore – et ce sont parfois les mêmes – reconnaissent à leur tour que le schéma de la dispositio classique est éclairant pour mieux saisir le mouvement et la progression de l’argumentation au sein de l’épître, mais s’écartent de la proposition de Betz dès lors qu’il s’agit de déterminer jusqu’où va la narratio et où se trouve la propositio – c’est-à-dire la thèse même de l’épître 6… Et ces débats se retrouvent dès lors qu’il est question de l’Épître aux Romains ou d’autres écrits encore 7. Mais ce dont Betz n’était pas forcément conscient, pas plus d’ailleurs que nombre de ceux qui s’engouffrent dans la brèche qu’il a ouverte, c’est que, en proposant une telle hypothèse, il renouait en fait avec une ancienne tradition exégétique, illustrée à la Réforme par différents auteurs, au premier rang desquels Philipp Melanchthon 8. Melanchthon, qui fut, au côté de Luther, l’un des initiateurs de la Réforme au sein du Saint Empire romain germanique, avait, dès 1519, proposé une approche tout à fait originale uploads/Litterature/christian-grappe-paul-et-la-rhetorique.pdf
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- Publié le Nov 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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