Revue Multilinguales Volume: 9 / N°: 1 (2021), pp. 54-81 Reçu le 15/03/2021 Acc
Revue Multilinguales Volume: 9 / N°: 1 (2021), pp. 54-81 Reçu le 15/03/2021 Accepté le 26/05/2021. Publié le15/06/2021 54 UNE LECTURE DE LA RECEPTION DU ROMAN DE LANGUE KABYLE (OU L’UNGAL) A LECTURE ON THE RECEPTION OF THE BERBER (KABYLE) NOVEL Nabila SADI Département de langue et culture amazighes Université M. Mammeri. Tizi Ouzou Résumé Cette étude se propose de suivre le discours critique ayant accompagné l’ungal/roman de langue kabyle et d’observer les jalons de son évolution au gré des enjeux du champ littéraire dans lequel il est produit. Il est question de voir la manière dont ces enjeux ont contribué à façonner les lectures qu’elles soient de l’ordre de la recherche universitaire ou s’inscrivant dans un cadre plus « informel » comme le cas des comptes rendus de lecture. L’objectif est de décrire la manière dont la réception s’est organisée pour répondre à certaines problématiques de l’espace social, à certains aspects contraignants du champ littéraire kabyle, et comment celle-ci s’est vue transformée une fois que ce même champ s’était doté de nouvelles données. Mots clés : Horizon d’attente, champ littéraire, positions, institutionnalisation, légitimation Une lecture de la réception du roman de langue kabyle (ou l’ungal) 55 Abstract This study is devoted to the analyse of the critical discourse that accompanied L’ungal/the berber novel. It also observes the milestones of its evolution according to the challenges of the literary field in which it is produced. This study aims to find out how these issues have contributed to shape readings, whether they are of the order of the university research or part of a more "informal" setting such as the case of reading reports. The objective is to describe the way in which the reception was organized to respond to certain problems of the social space, to certain constraining aspects of the Kabyle literary field, and how it was transformed once the same field had new data. Keywords : Horizon of expectation, literary field, positions, institutionalization, legitimation La réception est une dimension inhérente à la nature même d'un genre littéraire. Elle, qui se définit comme « l’activité de lecture et d’interprétation des textes» (Kherdouci H., 2017 : 14), n’accueille pas l’œuvre de manière passive puisque c’est par la réception que cette dernière prend son plein sens. Le lecteur ne saurait être qu'un élément de la triade (auteur-œuvre-lecteur) comme le signale H. R. Jauss (2010), mais bien « une énergie qui contribue à faire l'histoire » (49), participant, de ce fait, pleinement à l'expérience littéraire et à la mouvance de l'horizon d'attente. Et formuler un discours autour du discours critique, c’est procéder à rebours de la pratique courante pour proposer une sorte de métadiscours dans lequel le discours critique est lui- même transformé en objet d’étude. Il s’agit, ici, de proposer une lecture de la réception de l’ungal qui se décline au niveau de la critique universitaire, des comptes rendus de lecture et quelques Nabila SADI 56 « mentions rapides dans les émissions de la radio kabyle» (Salhi M. A., 2011 : 94). Mais il est surtout question d’historiciser les différentes positions des critiques, de les corréler à l’état du champ littéraire kabyle, à différents moments de son histoire pour observer la manière dont il a impacté les différentes lectures de l’ungal, et comment celles-ci, par ricochet, ont contribué au processus de légitimation et d’institutionnalisation de ce genre. Car comme le note P. Bourdieu (1998), le discours autour d’une œuvre « n’est pas un simple adjuvent, destiné à en favoriser l’appréhension et l’appréciation, mais un moment de la production de l’œuvre, de son sens et de sa valeur» (285). L’ACCUEIL D’UN GENRE LITTÉRAIRE EMERGENT : L’UNGAL La naissance officielle1 de l’ungal, au début des années 1980, n’a pas tardé à susciter l’intérêt de la critique universitaire puisque la première étude en date, celle de D. Abrous, s’aligne au rang des approches anthropo-littéraires en appréhendant ce genre dans une dynamique de passage de l’oralité à l’écriture (D. Abrous, 1989). Elle s’appuie sur les trois seuls textes romanesques attestés comme tels à cette époque-là (Asfel, Askuti et Faffa2) pour énumérer les points de continuité et de rupture que marque l’ungal par rapport à la tradition littéraire orale. Ceux-ci sont particulièrement discutés à partir du contexte socio-politique des années 1980 concomittant avec la montée des revedications identitaires en Kabylie dont l’ungal n’est que l’expression de ces mutations socio-culturelles, explique la même auteure. C’est pourquoi, la question de l’identité et de son impact sur ces trois ungal investit une large part de ce travail. L’usage des néologismes pour pallier à la suppression des emprunts à la 1 Le premier texte portant la mention paratextuelle de « ungal » en première page de couverture est le roman Asfel de Rachid Aliche, publié en 1981. Néanmoins, la critique atteste, présentement, le texte Lwali n udrar de Bélaid At Ali, écrit entre 1945-1946, comme le premier ungal/roman de langue kabyle. 2 Faffa (1986) de R. Aliche et Askuti (1983) de S. Sadi. Une lecture de la réception du roman de langue kabyle (ou l’ungal) 57 langue arabe est, à ce propos, représenté comme un choix motivé de ces trois romanciers, témoignant ainsi d’un réel positionnement idéologique3. Ce contexte historique déteint, aussi, sur la thématique de ces trois romans qui reprennent, sous des formes variables, la question identitaire. Le choix d’une approche anthropo-littéraire s’explique, à la fois, par la tendance « anthropologisante » des études portant sur la littérature kabyle jusque-là, notamment celles consacrées à la littérature orale mais aussi, par la nature et la vocation même de l’ungal dont la naissance officielle coïncide avec le contexte revendicatif des années 1980. C’est pourquoi, la tendance des premières études portant sur l’ungal gravitait autour du contexte4 ayant vu émergé ce genre et de ses répercussions sur les reconfigurations génériques. L’ungal est, alors, amené à ne pas être interrogé dans sa singularité, mais au sein de la structure vaste de la littérature kabyle écrite comme il est notable dans une étude de D. Abrous (D. Abrous, 2004). Il est, plutôt, replacé dans une dynamique évolutive de cette dernière (intégrant d’autres genres comme tullist/nouvelle et amezgun/théâtre), contribuant, ainsi, à la production d'un champ notionnel visant à rendre compte de ces nouvelles réalités littéraires, à l’image de « néo- littérature/nouvelle littérature », « littérature écrite » (Chaker S., 1992) ou encore « littérature émergente » (A. Ameziane, 2008 : 131-137). Elles représentent autant d’appellations dont le but est 3 L’analyse du lexique de six ungal dans une étude de S. Loikkanen, soutenue à l’institut des langues et cultures orientales (INALCO), corrobore les résultats présentés par D. Abrous à propos de la prédominance des néologismes et de la suppression des emprunts à l’arabe au sein des premiers textes romanesques kabyles (Loikkanen S., 1998). 4 Des études plus récentes continuent encore à interroger cet aspect de la littérature kabyle écrite. Cela peut s’appliquer à l’étude de la narration en berbère de D. Merrola où elle interroge l’ungal, entre autres, en corrélation avec le contexte socio-historique des premières publications romanesques (D. Merolla, 2006). Nabila SADI 58 de rendre compte du nouveau paysage littéraire kabyle et des inspirations et motivations (modernisme, quête identitaire, etc.) ayant pu impulser son émergence. Ces premières études donnent, ainsi, forme à un discours « sur » l’ungal correspondant -pour reprendre les termes de C. Moisan (1987)- à la « phase d’admission » d’un genre, qui est une sorte d’« introduction, d’un discours d’entrée, qui donne un droit d’entrer » (220). La prise en compte de ce contexte d’émergence est un préalable indispensable auquel M. A Salhi dédie d’innombrables textes dans lesquels il y traite l’ensemble des éléments déterminant l’existence de l’expression romanesque kabyle en interrogeant, entre autres, les conditions éditoriales et institutionnelles, le statut de la langue amazighe, la situation sociolinguistique, etc. (Salhi M. A., 2006, Salhi M. A., 2011). S. Chemakh (2010) y observe, également, une étape décisive : « avant de mener des études thématiques ou d'entamer des analyses littéraires du roman, de la nouvelle ou de la poésie kabyle écrite, il semble nécessaire de décrire les conditions d’existence de cette néo-littérature » (163). C’est du côté de l’écrivain qu’il place cette problématique en décrivant les conditions de production des différents genres constituant la littérature kabyle écrite en insistant sur la compétence linguistique, littéraire et la motivation sociale des auteurs de langue kabyle (Chemakh S., 2010). La question de l’édition se taille une place de choix au sein de ce discours d’entrée. Le romancier A. Mezdad, en incluant sa propre expérience dans l'écriture romanesque, initie le débat en posant le problème de l'écrivain de langue kabyle (A. Mezdad, 2001). Les difficultés liées à la production (publications à compte d'auteur) et à la réception (lectorat réduit) sont posées comme deux grands obstacles à la prospérité de l’ungal. De manière un peu plus ciblée, c’est l’expérience éditoriale du haut commissariat de l’amazighité et de son degré d’impact sur le champ littéraire algérien en tant qu’instance de légitimation de la production amazighe qui se retrouve interrogée dans une étude de A. 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- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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