19. TRAVAIL ET SENS DU TRAVAIL Yves Clot in Pierre Falzon, Ergonomie Presses Un

19. TRAVAIL ET SENS DU TRAVAIL Yves Clot in Pierre Falzon, Ergonomie Presses Universitaires de France | « Hors collection » 2004 | pages 317 à 331 ISBN 9782130514046 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/ergonomie---page-317.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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On le fera en entrant dans ce sujet qui n’est pas classique en ergonomie, par l’exposé des principales théorisations et en examinant quelques exemples. Psychodynamique du travail Pour C. Dejours et le courant de psychodynamique du travail, le problème du sens est central. Mais il faut être précis : « L’objet de la psychodynamique du tra- vail n’est pas le travail » (1996 b, p. 7). Ce sont les dynamiques intra- et intersubjec- tives puisque « la subjectivité est construite au prix d’une activité sur soi-même, sur son expérience vécue et sur ses déterminations inconscientes » (p. 7). Il existe bien, poursuit-il, « une psychologie du travail conventionnelle, où le travail figure comme activité-objet [...]. Mais, précisément, la psychodynamique du travail n’est pas une psychologie du travail mais une psychologie du sujet » (p. 8). À partir des enquêtes, elle établit, par exemple grâce à l’analyse des prises de risque souvent constatées, que l’attitude de mépris du risque ne peut être prise à la lettre. Elle n’est ni une ignorance ni une inconscience mais plutôt un procédé psychologique destiné à contenir la peur ; autrement dit, un système de défense. Cette conjuration de la souffrance peut déboucher sur le plaisir si ce travail psy- chique est reconnu dans l’organisation. Mais les systèmes de défense peuvent aussi se retourner contre les sujets si ce n’est pas le cas. Ils peuvent même « coloniser » la vie hors travail ou encore « nuire à l’intelligence aux deux sens du terme : capa- cité de penser et de raisonner d’une part, compréhension du monde d’autre part » (2000, p. 21). Comme un anesthésique, les défenses autorisent alors un déni du Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nantes - - 41.226.196.88 - 24/11/2019 15:15 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nantes - - 41.226.196.88 - 24/11/2019 15:15 - © Presses Universitaires de France réel. Toute leur ambiguïté apparaît alors : « Le rétrécissement de la capacité de penser se révèle en effet comme le moyen électif d’engourdir le sens moral » (2000, p. 22). Dejours se livre à un inventaire des formes nouvelles de pathologies sociales et des déplacements défensifs auxquelles elles donnent lieu : « Stratégie collective du cynisme viril, idéologie défensive du réalisme économique, stratégie de l’incrédulité candide, stratégie de la bêtise » (2000, p. 18). On trouvera aussi chez P. Molinier, à propos des femmes, de récents développements sur ces ques- tions (2003). Ajouté au « chacun pour soi », cet ensemble porte atteinte à la cohé- sion des collectifs de travail. C’est cette expérience subjective du consentement et de l’aliénation qui donne aujourd’hui son objet à la psychodynamique du travail, la souffrance reconnue ouvrant sur une éventuelle élaboration psychologique. Du coup, le travail humain, en se rapprochant de la conceptualisation freudienne, devient d’abord psychique : c’est le travail de subjectivation, comme « activité sur soi », qui est donné pour central dans cette perspective où l’analyse de l’activité concrète ne reçoit pas de statut original. Si le travail est placé au centre de la psychologie, c’est au même titre que la sexualité (Dejours, 1996 a, p. 161). Dans cette perspective le sujet vient buter sur la société et doit résister à la pres- sion qui s’exerce sur lui pour ne pas succomber ou se décomposer (1996, p. 9). Seule l’action du collectif de travail peut lui fournir les moyens de s’en défendre grâce à l’intercompréhension et à « la formation d’une communauté de sensibilité à la souffrance » (1996 a, p. 177). On comprend alors l’importance que revêt en psychodynamique du travail la mise au jour de la souffrance au travail dans l’espace public. Dans une visée de reconnaissance, la description du vécu défensif rapporté à la souffrance éprouvée s’oppose alors à la description gestionnaire. Le sens du travail est regardé ici de manière bien précise. La souffrance originaire en quête de sens : tel est l’objet de la psychodynamique du travail. Une psychologie sociale du travail Il existe une deuxième critique de la réduction du sujet à un opérateur. C’est celle qui est repérable dans l’approche en termes de « système des activités ». Ici aussi distance est prise avec l’approche ergonomique pour poser le problème du sens du travail. Mais il s’agit d’une critique de la dichotomie travail hors travail (Hajjar, 1995, p. 162-183) que la psychologie ergonomique accepterait de fait. Dans le cadre de cette psychologie sociale du travail, Curie et Dupuy écartent, par exemple, les théories du travail pour lesquelles « l’acteur semble s’évanouir lors- qu’il franchit les portes de l’entreprise ou du bureau » (1994, p. 53-54). Pour cette psychologie du rapport entre travail et hors-travail, il faut aller plus loin et surtout ailleurs pour poser le problème du sens : même approchées par une psychologie cognitive, « les conditions de travail ne constituent que l’une des 318 Fondements théoriques et cadres conceptuels Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nantes - - 41.226.196.88 - 24/11/2019 15:15 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Nantes - - 41.226.196.88 - 24/11/2019 15:15 - © Presses Universitaires de France classes de déterminants de la conduite au travail » (Curie et Hajjar, 1987, p. 53). Le sens du travail n’est pas dans le travail car « le comportement dans un domaine de vie est régulé par la signification que le sujet lui accorde dans d’autres domaines de vie » (Malrieu, 1979). À partir d’une palette diversifiée de recherches concernant aussi bien les rapports de la vie domestique que ceux du chômage avec le travail (Curie et Hajjar, 1987) et croisant celles de C. Gadbois sur « l’empreinte réci- proque » de la vie de travail et de la vie hors travail dans le domaine du travail posté (Gadbois, 1979), ces auteurs s’intéressent à la dérégulation du système d’activités des travailleurs. Chaque fois que les plans de vie sont affectés par des changements sociaux et personnels dans un des domaines de l’existence, « l’individu, parce qu’il est sujet, hésite, résiste, soupèse, invente, essaie, prend position par rapport aux contradictions vécues du fait de ses sous-systèmes de vie dont il ne parvient plus à assurer l’intersignification. Nous disons qu’il se person- nalise » (Curie et Hajjar, 1987, p. 52 ; Hajjar, 1995, p. 191). C’est pourquoi, pour Curie et Dupuy (1996), l’écart entre le prescrit et le réel n’est pas seulement imputable aux limites de l’opérateur en matière de savoirs ou de compétences. « Sans exclure ces dimensions, écrivent-ils, adopter ce point de vue n’est-ce pas finalement admettre le formidable postulat d’une identité des fins poursuivies par les organisations et les travailleurs » (1996, p. 149) ? Ils s’y refusent au nom des différences de finalités sociales poursuivies par les unes et les autres. Pour autant, ces auteurs ne reprennent pas à leur compte la réponse qu’ils trou- vent développée, dans la tradition phénoménologique, par la psychodynamique du travail : « Le travailleur opposerait à l’organisation sa propre logique de fonc- tionnement du seul fait que sa subjectivité interpose entre la réalité et le vécu de cette réalité un principe de radicale hétérogénéité » (ibid., p. 187). Pour eux, la per- sonnalisation comme activité sur soi – on l’a vu – ne jaillit pas de là. La mobilisa- tion subjective n’est pas spontanée. Si le travail réel n’est pas conforme au travail prescrit, c’est que la femme ou l’homme ne sont pas seulement des producteurs mais des acteurs engagés dans plusieurs mondes et plusieurs temps vécus à la fois, mondes et temps qu’ils cher- chent à rendre compatibles entre uploads/Litterature/ travail-et-sens-du-travail-yves-clot.pdf

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