Théodora Du même auteur Les Femmes et le sexe dans la Rome antique, Tallandier,
Théodora Du même auteur Les Femmes et le sexe dans la Rome antique, Tallandier, 2013 ; coll. « Texto », 2017. Agrippine. Sexe, crimes et pouvoir dans la Rome impériale, Tallandier, 2015. Virginie Girod Théodora Prostituée et impératrice de Byzance Tallandier Cet ouvrage est publié sous la direction de Denis Maraval. © Éditions Tallandier, 2018 48, rue du Faubourg-Montmartre – 75009 Paris www.tallandier.com ISBN : 979‑10‑210‑1823‑5 « Parce qu’il est question de Sainte Euphémie dans ce livre, il n’y a qu’à toi que je pouvais le dédier. » Saudades. « Laura : Pourquoi t’attaques-tu à un ennemi qui t’est supérieur ? Le capitaine : Supérieur ? Laura : Oui, supérieur ! Cela peut paraître étrange, mais je n’ai jamais vu un homme sans me sentir supérieure à lui. » August Strindberg, Père, acte I. Avant-propos Success-story d’une prostituée devenue impératrice Théodora, la célèbre impératrice de Byzance, ne cesse de fasciner depuis son arrivée au pouvoir il y a près de mille cinq cents ans. Elle suscite depuis lors l’admira- tion des uns et le mépris des autres. Ceux qui l’admirent voient en elle le modèle d’une femme forte, déterminée, capable de régner sur un empire alors qu’elle est née dans la fange. Ceux qui la méprisent redoutent la femme forte, déterminée, qui a su s’affranchir des règles sociales pour régner sur un empire, en dépit de son sexe et de ses origines trop basses. Aujourd’hui, le nom de Théodora serait assurément tombé dans l’oubli si elle n’avait pas été une femme d’exception. Mais la fine politicienne qu’elle fut est sou- vent évincée par l’image sulfureuse d’une amoureuse aux accents tragiques créée par le dramaturge Victorien Sardou et campée par Sarah Bernhardt. Cette Théodora 11 sensuelle, retorse et fantasmagorique n’en finit pas de hanter l’imaginaire collectif à travers d’innombrables romans à l’eau de rose. Pourtant, ce ne sont pas ses soupirs pâmés qui l’ont fait entrer dans l’Histoire mais bien son sens aigu de la politique dont ont témoigné ses contemporains. En 532, alors que les habitants de Constantinople se révoltaient contre l’empereur Justinien, son époux, en criant déjà Nika ! (Victoire), elle prouva sa détermina- tion à conserver sa fonction d’impératrice en empêchant Justinien de fuir. Seule femme parmi les conseillers de l’empereur dépassés par les émeutes, elle s’écria : « Le pouvoir est un superbe linceul1. » Alors que les hommes les plus puissants de la capitale tremblaient, une femme résistait à la pression de la rue. Si elle restait, tous res- teraient. Vaincre ou mourir. Elle fit la preuve ce jour-là d’un courage qui en disait long sur sa personnalité intran- sigeante. Le témoin et narrateur de cette anecdote est Procope de Césarée. À cette époque, le juriste palestinien était au service du général Bélisaire depuis plusieurs années. À ce titre, il était proche du pouvoir et côtoyait le couple impé- rial qu’il couvrait d’éloges dans ses livres et notamment dans Les Édifices, un ouvrage de propagande commandé par Justinien. Mais, en coulisse, l’aristocrate oriental vouait une haine farouche à Justinien et à Théodora, qu’il a conspuée à loisir dans son Histoire secrète pro- bablement publiée à titre posthume et qui se donnait pour mission de révéler les vérités les plus sordides sur Théodora 12 Justinien, Bélisaire, son épouse, la troublante Antonina, et, évidemment, sur l’impératrice. Or Procope, cet homme ambigu, loyal et dévoué dans ses ouvrages officiels, insultant jusqu’à la calomnie dans son ouvrage officieux, est notre source principale sur la jeunesse de Théodora ainsi que sur sa participa- tion effective au gouvernement en tant qu’impératrice. Son histoire, de la fillette de l’hippodrome à l’impéra- trice cruelle avide de pouvoir en passant par l’adolescente délurée, l’actrice et la putain, repose presque entièrement sur l’œuvre contradictoire d’un seul homme. De ce fait, le travail de l’historien contemporain se révèle particulière- ment délicat. Pour espérer toucher du doigt la véritable histoire de Théodora, il faut accepter d’utiliser Procope en fil rouge et de recouper chacun de ses dires avec d’autres sources, parfois plus tardives et ayant toujours un parti pris marqué en faveur ou contre elle. Jean d’Éphèse est l’une des seules sources primaires dont nous disposons. Ce moine arménien, qui a été patriarche d’Éphèse à la fin des années 550, était un fervent partisan de Théodora. À ses yeux, la « reine croyante2 », qui partageait sa foi, n’était que grâce et grandeur d’âme. Mais l’ecclésiastique ne niait pas pour autant qu’elle venait du pornéion3, autrement dit du bor- del. Cette petite phrase, glissée sans volonté de nuire, prouve qu’il ne faut pas réfuter d’emblée les écrits de Procope sur la jeunesse tumultueuse de l’impératrice et que ce n’était alors ni un secret ni une honte4. SUCCESS-STORY D’UNE PROSTITUÉE DEVENUE IMPÉRATRICE 13 Le chroniqueur Jean Malalas, autre contemporain de Théodora, sans aucun doute soucieux de glorifier l’œuvre de Justinien, ne s’est guère étendu sur le passé de l’im- pératrice. Pour lui, elle s’est impliquée dans un combat féminin – pour ne pas dire féministe – en luttant contre le proxénétisme. Malalas ne s’est pas mis en porte-à-faux avec la propagande justinienne et n’a communiqué que sur les événements que la Cour voulait mettre en avant5. De même, pour le panégyriste Jean le Lydien, Théodora n’est décrite qu’en tant qu’épouse honnête et avisée de l’empereur, toujours prompte, par son « intelligence et sa commisération6 », à défendre les plus faibles. Elle devait certes avoir bien des qualités, mais une œuvre de propa- gande n’est qu’un recours partial et partiel pour retracer l’histoire de l’impératrice issue des bas quartiers de la Nouvelle Rome. À partir du xe siècle, Théodora est élevée au rang de mythe. Pour les historiens médiévaux orientaux tels que Michel le Syrien ou Zonaras, elle était devenue une sainte au-dessus de tout soupçon. Ces derniers renièrent sa jeunesse débauchée pour en faire un parangon de vertu. Au contraire, les érudits et historiens occidentaux de l’époque moderne comme Montesquieu7 et Edward Gibbon8, effrayés par sa puissance, voulurent la réduire à l’état de putain hérétique, cruelle et rancunière. Pour comprendre qui était Théodora, l’historien se doit de naviguer en eaux troubles, de trier judicieuse- ment les informations en croisant les textes anciens et de faire preuve de la plus grande prudence dans l’inter- Théodora 14 prétation des sources textuelles. De leur côté, les sources archéologiques et artistiques sont très limitées. Les por- traits aujourd’hui attribués avec certitude à l’épouse de Justinien sont rares. La célèbre mosaïque de la basilique Saint-Vital de Ravenne en Italie est en réalité la seule où Théodora est identifiée avec certitude. Un buste conservé au Museo d’arte antica du Castello Sforzesco de Milan9 lui est également attribué bien que des doutes subsistent. Si la mosaïque de l’église Saint-Vital, par son contexte, est riche d’enseignements, on ne peut perdre de vue que l’art byzantin est assez stylisé et n’a jamais visé à représenter un visage de manière réaliste. Cependant, si l’histoire de l’art ne nous apprend que peu de choses sur Théodora, elle n’est pas muette sur l’œuvre du couple impérial. Justinien a entrepris une politique de grands travaux non seulement à Constantinople, mais aussi dans le reste de l’empire et le nom de Théodora lui est associé dans nombre des édifices dont il est le commanditaire. Le couple impérial a voulu changer le visage de l’empire et une telle entreprise en dit long sur lui. La numismatique non plus n’est pas d’un grand secours dans l’étude de la vie de Théodora. Si les impératrices ne sont pas absentes du monnayage byzantin, leur pré- sence n’est pas systématique non plus. Ainsi, Justinien n’a jamais fait représenter son épouse sur ses monnaies, mais, là encore, un silence peut parfois être éloquent. Depuis le xixe siècle, de nombreux chercheurs se sont intéressés à elle mais il faut continuer à naviguer entre les écueils de ceux qui, pour faire valoir la grande dame SUCCESS-STORY D’UNE PROSTITUÉE DEVENUE IMPÉRATRICE 15 qu’elle fut, voulurent éluder son passé dérangeant, car, encore aujourd’hui, l’incroyable destin d’une prostituée devenue impératrice semble plus proche d’un conte de fées – ou d’une calomnie – que de la réalité. Pourtant, Théodora n’est pas la seule à avoir connu un tel destin. Ainsi, l’historien américain Clive Foss souligne l’éton- nante ressemblance entre les trajectoires de Théodora, impératrice de Byzance, et d’Eva, l’épouse du dictateur argentin Juan Perón, elle aussi comédienne avant de deve- nir une femme politique influente au côté de son mari10. Plus d’une fois, l’Histoire s’est faite plus surprenante que la fiction. Néanmoins, les études abondantes et sérieuses sur le règne de Justinien, sur ses réformes sociales, économiques et juridiques, ainsi que les travaux des historiens de l’art contribuent à nous donner une vision relativement pré- cise de cette Constantinople du vie siècle entre Orient et Occident, de cette ville qui se voulait la Nouvelle Rome et d’une femme qui a laissé son empreinte dans la grande comme dans la petite histoire. Théodora, sainte ou putain ? Ne soyons pas si manichéens et suivons les traces de la plus grande impératrice de Byzance. Théodora Chapitre uploads/Litterature/ theodora-imperatrice.pdf
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- Publié le Jan 03, 2023
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