LES HÉBRAÏSANTS CHRÉTIENS EN FRANCE AU XVIe SIÈCLE DROZ Textes réunis par Gilbe
LES HÉBRAÏSANTS CHRÉTIENS EN FRANCE AU XVIe SIÈCLE DROZ Textes réunis par Gilbert Dahan et Annie Noblesse-Rocher © copyright 2018 by librairie droz s.a., 11, rue massot, genève. ce fichier électronique est un tiré à part. Il ne peut en aucun cas être modifié. l' (les) auteur (s) de ce document a/ont l'autorisation d'en diffuser vingt-cinq exemplaires dans le cadre d'une utilisation personnelle ou à destination exclusive des membres (étudiants et chercheurs) de leur institution. Il n'est pas permis de mettre ce PDF à disposition sur Internet, de le vendre ou de le diffuser sans autorisation écrite de l'éditeur. Merci de contacter droz@droz.org http://www.droz.org LES DEUX VERSIONS DE L’ÉVANGILE DE MATTHIEU EN HÉBREU PUBLIÉES PAR SEBASTIAN MÜNSTER (1537) ET PAR JEAN DU TILLET ET JEAN MERCIER (1555). UN RÉÉXAMEN DES TEXTES ET DE LA QUESTION DE LEURS AUTEURS Le XVIe siècle a vu la publication des premières traductions par- tielles ou intégrales du Nouveau Testament en hébreu dans le monde chrétien 1. De telles traductions circulaient pourtant bien avant parmi les juifs, intégrées dans des ouvrages polémiques écrits en hébreu et visant à réfuter les dogmes chrétiens 2, mais elles restaient pratiquement inconnues à la plupart des chrétiens, y compris à la majorité des ecclésiastiques, des théologiens et des intellectuels. Les deux premières éditions d’un texte intégral de l’évangile de Matthieu en hébreu, celle qui a été publiée en 1537 à Bâle par l’illustre hébraïsant Sebastian Münster 3 et rééditée à Paris en 1551 par Jean Cinqarbres, professeur d’hébreu au Collège royal 4, et celle qui a été publiée quelques années plus tard, en 1 Pour une liste des traductions des textes néotestamentaires en hébreu, dont une quinzaine ont été publiées au cours du XVIe siècle, voir Jean CARMI- GNAC, The Four Gospels Translated into Hebrew by William Greenfield in 1831, Turnhout, Brepols, 1982, p. VII-X. – Je remercie Jan Joosten pour ses remarques sur l’ensemble de ma contribution. 2 Voir Pinchas E. LAPIDE, Hebrew in the Church : The Foundations of Jewish- Christian Dialogue, trad. Erroll F. Rhodes, Grand Rapids (Michigan), Eerd- mans, 1984, p. 20-52. 3 Pour une courte présentation de la vie et de l’œuvre de Sebastian Münster et pour une bibliographie sur lui, voir Sophie KESSLER-MESGUICH, « Early Christian Hebraists », dans Hebrew Bible / Old Testament : The History of Its Interpretation, t. II, From the Renaissance to the Enlightenment, éd. Magne SÆBØ, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008, p. 254-255, 268-272. 4 Sur Cinqarbres, voir Sophie KESSLER-MESGUICH, « L’enseignement de l’hébreu et de l’araméen à Paris (1530-1560) d’après les œuvres grammati- Tirage-à-part adressé à l'auteur pour un usage strictement personnel. © Librairie Droz S.A. ERAN SHUALI 218 1555 à Paris par l’évêque Jean du Tillet et par l’hébraïsant Jean Mercier, lui aussi professeur d’hébreu au Collège royal 5, tiennent une place intermédiaire entre ces anciennes traductions du Nou- veau Testament en hébreu et les traductions plus tardives. D’une part, ces éditions ont été faites par des savants chrétiens et pour un public chrétien mais, d’autre part, les textes qu’elles compor- taient étaient considérés comme provenant du monde juif. Quel intérêt pouvait-il y avoir pour ce genre de textes ? Les introductions des trois éditions révèlent, en effet, les trois intérêts principaux que ces textes pouvaient susciter chez les lecteurs chrétiens de l’époque. Premièrement, ces textes pouvaient intéres- ser le nombre grandissant d’étudiants en hébreu, qui pouvaient s’entraîner en les lisant 6. En effet, dans son introduction Münster affirme qu’il n’a pas destiné son ouvrage aux juifs ; « mais », dit- il, « c’est plutôt ici que j’ai tourné mon regard pour aiguillonner en toute foi les miens à apprendre les Ecrits Saints, ce que peu de gens ont pu faire, jusqu’à ce jour, avec succès sans connaître la langue hébraïque. » 7 Et, dans l’édition de Cinqarbres, la notice du typographe au lecteur explique que le choix de joindre au texte hébraïque de l’évangile quelques courts textes de l’Ancien Testa- ment a été fait « pour que tu aies ensemble des Ecrits nouveaux et anciens, dont tu pourrais te servir pour t’exercer dans la langue hébraïque » 8. Deuxièmement, un intérêt pour ces textes pouvait naître du fait même qu’ils semblaient être tirés des écrits de la polémique juive, cales des lecteurs royaux », dans Les Origines du Collège de France : 1500-1560, éd. Marc Fumaroli, Paris, Collège de France / Klincksieck, 1998, p. 368-370. 5 Sur la vie et l’œuvre de Jean Mercier, voir Jean (c. 1525-1570) et Josias (c. 1560- 1626) Mercier : L’amour de la philologie à la Renaissance et au début de l’âge clas- sique, éd. François Roudaut, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 7-175. 6 Voir Stephen G. BURNETT, Christian Hebraism in the Reformation Era : Authors, Books, and the Transmission of Jewish Learning, Leyde-Boston, Brill, 2012, p. 23-47. 7 « … huc potissimum respexi, quo domesticis fidei calcaria ad sacrarum liter- arum studium, quod paucis hactenus feliciter sine hebraicae linguae cogni- tione cessit, adderem », Sebastian MÜNSTER,הַמָּשִׁיחַ תּוֹרַת :Euangelium secundum Matthaeum in lingua hebraica cum uersione latina atque succinctis anno- tationibus, Bâle, Heinrich Petri, 1537, dédicace au roi d’Angleterre, p. [iii]. 8 « […] tum ut scripturas nouas et ueteres habeas in unum congestas, quibus te in Hebraica lingua exercere possis », Jean CINQARBRES,הַמָּשִׁיחַ תּוֹרַת :Sanctum Domini nostri Iesu Christi Hebraicum Euangelium secundum Matthaeum, Paris, Martin le Jeune, notice du typographe au lecteur [pages non numérotées]. Tirage-à-part adressé à l'auteur pour un usage strictement personnel. © Librairie Droz S.A. LES DEUX VERSIONS DE L’ÉVANGILE DE MATTHIEU EN HÉBREU 219 si fascinante pour les chrétiens qui se sentaient sans doute visés par elle. Et, en effet, il semble que c’est également pour répondre à cet intérêt que, dans ses notes abondantes au texte de Matthieu, Münster cite en hébreu de longs passages de différents livres juifs de polémique, y joignant souvent une traduction latine. Et c’est aussi sans doute pour cette raison que du Tillet et Mercier ont reproduit à la fin de leur livre vingt-trois questions polémiques sur des points du dogme chrétien qu’ils disent avoir trouvées regrou- pées à la fin de leur texte hébreu de l’évangile de Matthieu, ce qu’eux-mêmes expliquent assez classiquement en disant : « Nous les avons jointes ici seulement pour que tu perçoives l’obstination habituelle et ancienne de ce misérable peuple. » 9 Et, troisièmement, la raison sans doute la plus déterminante pour laquelle ces textes avaient de l’attrait pour les lecteurs chré- tiens était la croyance fort ancienne que l’évangile de Matthieu avait été originellement écrit en hébreu 10. Lisant ces textes, les lecteurs pouvaient penser, comme l’a dit Franz Delitzsch, « qu’ils avaient entre les mains le texte original de l’Apôtre » 11. Cette croyance n’est pas mentionnée dans l’introduction de Sebastian Münster pour une raison que la suite de cette étude pourra éclai- rer, mais elle semble être l’enjeu central dans les éditions de Cinqarbres et de du Tillet-Mercier. Ainsi, Cinqarbres consacre la quasi-intégralité de son introduction de dix pages à un exposé plein de pompe sur les témoignages des Pères de l’Eglise au sujet de l’original hébreu de l’évangile de Matthieu. Lui-même, croyant que ce texte hébreu original se trouvait à son époque en Inde et gêné par le fait que Münster, dont il a repris le texte, passe sous silence son origine ancienne, dit seulement : « Je n’oserais rien 9 « Ea huc adscribenda curauimus non aliam ob caussam, quam ut solitam et antiquam miserae huiusce gentis peruicaciam agnosceres […] », Jean DU TILLET et Jean MERCIER,מתי בשורת :Evangelium Hebraicum Matthaei, recens e Iudaeorum penetralibus erutum, cum interpretatione Latina, ad vulgatam quoad fieri potuit, accommodata, Paris, Martin le Jeune, 1555, p.קלזsqq. 10 Les témoignages anciens sur ce sujet sont regroupés dans Albertus Frederik Johannes KLIJN, Jewish-Christian Gospel Tradition, Leyde, Brill, 1992. 11 « Das hebräische Matthäusevangelium, unter dem Titelמתי בשורתund mit dem Bemerken recens e Judaeorum penetralibus erutum von Tillet heraus- gegeben (Paris 1555), erregte solches Aufsehen, dass viele die Urschrift des Apostels in Händen zu haben meinten », Franz DELITZSCH, Eine Ueber- setzungsarbeit von 52 Jahren, Leipzig, Akademische Buchhandlung [W. Faber], 1891, p. 27. Tirage-à-part adressé à l'auteur pour un usage strictement personnel. © Librairie Droz S.A. ERAN SHUALI 220 affirmer sauf que je pense que l’ouvrage est assez ancien. » 12 De même, c’est sans doute pour faire appel à cette croyance que l’on a donné à l’édition de du Tillet-Mercier le titre alléchant « L’évan- gile de Matthieu, jusqu’à ce jour gardé en secret auprès des juifs et caché dans leurs grottes et récemment tiré de leurs chambres et de l’obscurité et mise au jour […]. » 13 Et il semble que c’est aussi pour appuyer l’originalité de ce texte hébreu de Matthieu que, dans l’introduction principale à cette édition, Jean du Tillet affirme que « au témoignage et selon l’affirmation des hommes érudits des deux côtés des Alpes… il est écrit avec une pureté de langage qu’aucun écrit postérieur à la désolation de ce peuple ne manifeste » 14. En revanche, dans sa uploads/Litterature/ the-two-hebrew-versions-of-the-gospel-of.pdf
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- Publié le Aoû 20, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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