LA RÉCEPTION DE L'ŒUVRE DE KARL RAHNER Albert Raffelt, Traduit de l’allemand pa

LA RÉCEPTION DE L'ŒUVRE DE KARL RAHNER Albert Raffelt, Traduit de l’allemand par Robert Kremer Centre Sèvres | « Recherches de Science Religieuse » 2020/3 Tome 108 | pages 361 à 386 ISSN 0034-1258 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2020-3-page-361.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Cette situation est devenue normale quelque vingt à trente ans plus tard, à propos de thèmes majeurs, du moins dans l’espace linguistique germanophone. Et aujourd’hui, trente à quarante ans plus tard encore, il est difficile d’esquisser la présence de Rahner dans le débat théologique actuel : le changement des problématiques induit un certain recul. Les programmes d’études universitaires tendent dorénavant à laisser son œuvre de côté. Par ailleurs, son Grundkurs des Glaubens [Traité fondamental de la foi] continue à être un « longseller » et donne lieu à une intense littérature secondaire à diffusion largement internationale2, qui a atteint plus de 5 500 titres. Enfin, son œuvre, jusqu’alors publiée de façon disséminée, est dorénavant disponible en son exhaustivité dans les Sämtliche Werke [Œuvres complètes]. Ajoutons que l’histoire de la réception de sa théologie et de ses écrits dans leur ensemble n’a pas seulement trait aux publications – primaires et secon- daires – mais peut aussi être cernée, de façon claire ou indirecte, par l’intermédiaire de nombreux autres canaux. 1. Karl Rahner, Sämtliche Werke, 32 volumes en 40 tomes, Herder, Freiburg im Br., 1995-2018, ici le volume 9, p. 733. [=SW] 2. Cf. la banque de données https://krb.ub.uni-freiburg.de/ Pour ne pas surcharger l’apparat des notes, nous nous contentons, dans les cas très clairs, de citer simplement le nom de l’au- teur en renvoyant aux indications de cette banque de données. Elle contient des travaux en 29 langues, y compris en chinois et en japonais (18 titres, respectivement), de même qu’un travail de maîtrise en turc dont nous avons eu connaissance grâce à un contact personnel. Sinon, on ne peut y rechercher que ce qui apparaît dans des bibliographies occidentales, de sorte que le volume réel des travaux consacrés à Rahner est sans doute plus important encore. © Centre Sèvres | Téléchargé le 07/01/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) © Centre Sèvres | Téléchargé le 07/01/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) Albert Raffelt 362 Rahner en tant que récepteur Commençons par rappeler brièvement que Karl Rahner lui-même est le récepteur de traditions diverses. Théologien jésuite, il se doit de mettre en valeur la tradition de son ordre, ce qui, lors de l’enseignement, implique l’utilisation de certains manuels scolaires. Rahner s’inscrit consciemment dans la théologie néoscolastique qui prévaut à l’époque et dont il n’hésite pas à louer la perspicacité et la clarté conceptuelle. Ce n’est pas sans fierté qu’il fait remarquer dans la version polycopiée de son cours sur la grâce que certains parallèles dans le manuel officiel de Ludwig Lercher remontent à son cours, et non l’inverse3. Mais dès ses années d’étude, il se rend compte que la scolastique ne doit pas être conçue de manière étriquée ni découplée de la pensée contemporaine. Sur le plan philosophique, sa découverte de Joseph Maréchal et de son approche positive de la pensée moderne représente une impulsion initiale, et il n’ignore pas non plus les prédécesseurs décisifs de ce dernier, Maurice Blondel4 et plus particulièrement Pierre Rousselot. Son ordre destinant le jeune Rahner à assumer une chaire d’histoire de la philosophie, ses études auprès de Martin Heidegger à Fribourg lui permettent d’élargir cette vision des choses : « Si nous, néoscolastiques, voyons que nous luttons toujours à nouveau avec les mêmes questions, qui sont aussi celles de Kant, de Hegel ou de Heidegger, nous irons à la rencontre de ces hommes avec une meilleure compréhension, et donc avec la perspective plus large d’être entendus d’eux », écrit-il à la fin des années 19305. Un autre élargissement d’horizon par rapport à la tradition scolaire néoscolastique est lié à un approfondissement de la connaissance des Pères de l’Église, notamment de la tradition grecque6. Ses premières études plus importantes sont surtout consacrées à leurs écrits spirituels, avec à l’arrière-plan, une fois encore, les travaux français en la matière (Marcel Viller7, Henri de Lubac8, et autres). L’attention particulière accordée à cette tradition de littérature surtout spirituelle doit être complétée par la redécouverte de la spiritua- lité ignatienne, dans une prise de distance par rapport à une approche 3. SW 5/1, p. 244 : « … ab hoc codice dependet, non vice versa ». 4. À propos de la lecture de Blondel par Rahner et plus généralement de son influence sur lui, cf. Albert Raffelt, « Rahner und Blondel » dans Andreas R. Batloog, Mariano Delgado, Roman A. Siebenrock (Éds.), Was den Glauben in Bewegung bringt. Fundamentaltheologie in der Spur Jesu Christi, Herder, Freiburg im Br., 2004, p. 17-33. 5. Karl Rahner, Œuvres 2, Éd. du Cerf, Paris, 2017, p. 503 [= Œuvres]. 6. Cf. les études dans SW 1, SW 3, et aussi SW 11 (histoire de la pénitence). 7. Cf. la refonte, par Rahner, de son écrit La spiritualité des premiers siècles chrétiens, Bloud & Gay, Paris, 1930, dans SW 3, p. 125-390 (Aszese und Mystik in der Väterzeit, 1939). 8. Cf. la recension de Catholicisme (de H. de Lubac), Éd. du Cerf, Paris, 1938, dans SW 4, p. 484-485. © Centre Sèvres | Téléchargé le 07/01/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) © Centre Sèvres | Téléchargé le 07/01/2021 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4) D O S S I E R 363 La réception de l’œuvre de Karl Rahner trop étriquée pratiquée dans l’ordre jésuite au début du XXe siècle. Les efforts entrepris à cet égard par son frère Hugo Rahner (1900-1968) et d’autres vont dans le même sens. Ces brèves indications entendent situer les apports théolo- giques dus à Karl Rahner au sein de traditions ayant exercé sur lui une influence, et dans lesquelles il a introduit des impulsions nouvelles et qui ont continué et continuent à exercer leurs effets à côté de lui et de concert avec lui. Points communs et traits distinctifs précoces Malgré son autonomie, Rahner a pratiqué le « travail en équipe » tout au long de sa vie, ce qu’attestent de nombreux textes dus à plu- sieurs auteurs, mentionnés dans sa bibliographie. Parmi ces ouvrages, l’un des plus anciens, Aufriss einer Dogmatik9, conçu en concertation avec Hans Urs von Balthasar, est publié plus tard par Rahner seul. Dans son texte introductif, il se réfère, une fois encore, à des écrits de Henri de Lubac10. Hans Urs von Balthasar compte également parmi les premiers à recenser les publications des livres du jeune Rahner, inaugurant ainsi une tradition interprétative dont les effets perdurent jusqu’à ce jour11. Nous y reviendrons plus tard. Que cette coopération précoce des deux théologiens, qui seront plus tard des figures majeures de l’espace germanophone, n’ait pas conduit au résultat envisagé est sans doute lié à plusieurs facteurs : la période de la guerre d’abord ; ensuite le choix de H. U. v. Balthasar de quitter l’ordre jésuite, la nécessité dans laquelle il se trouve de subve- nir à son existence, son animosité à l’égard d’autres collaborateurs12, 9. SW 4, p. 419-448 ; Esquisse d’une dogmatique, dans Karl Rahner, Œuvres 4, Éd. du Cerf, Paris, 2011, p. 637-659. 10. SW 4, p. 488, Œuvres 4, p. 624-625. Rahner y cite également H. Bouillard et H. Rondet, puis M. de la Taille et P. Galtier. La prise en compte de la théologie française a une très grande ampleur, et inversement, le jeune Rahner a écrit aussi plusieurs travaux publiés originairement en français dans les Recherches de science religieuse et dans la Revue d’ascétique et de mystique. 11. À propos de la relation entre Balthasar et Rahner, cf. surtout Manfred Lochbrunner, Hans Urs von Balthasar und seine uploads/Litterature/ rsr-203-0361 1 .pdf

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