Études Romain Rolland - Cahiers de Brèves n° 43 - juillet 2019 4 L’un comme l’a

Études Romain Rolland - Cahiers de Brèves n° 43 - juillet 2019 4 L’un comme l’autre Je suis profondément religieux (au sens libre, au sens plein.) [7/11/1928] – Nulle œuvre d’art ne vaut une vie hé- roïque1. – Il n’y a pas d’idéologie qui vaille qu’on brise pour elle une amitié2. – Répondez-moi, Monsieur, je vous en prie ; j’ai tant besoin de conseils ! Autour de moi nul direc- teur moral. Des indifférents, des sceptiques, des dilettantes, des égoïstes3. – J’ai au haut du poumon droit une ancienne lésion… L’examen bactériologique et radioscopique fait diagnostiquer une tuberculose fibreuse. [Journal4, octobre 1919] – Je voulais comprendre, et participer par l’esprit aux puis- sances opposées que j’apercevais5. – Il n’y a qu’un héroïsme au monde : c’est de voir le monde tel qu’il est, et de l’aimer6. – Je sais bien que votre mère, Mikhaïl, d’autres que je ne connais pas, sont les vrais auteurs de ce que vous écrivez, – de même que je dois ce que j’ai écrit à ma mère et à d’autres, les plus chers, – que, naturellement, j’ai sacrifiés ! [20/6/1924] – Il y a en vous une admirable vitalité ; et vous portez dans votre souvenir des trésors d’humanité. [24/09/1922] J’aime mes icônes, je suis religieux. [31/03/1921] – la vie héroïque, la vie de contemplation, – absurde du point de vue humain, inhumaine même, mais que les lois qui sont souve- raines dans mon être choisissent malgré moi. [15/04/1921] – Aidez-moi à dire aux hommes que s’ils sont méchants c’est parce que leur vie est banale, et que, malgré la sécheresse de leur cœur, ils seraient meilleurs si les circonstances leur permettaient une existence plus mouvementée. [6/04/1921] – … je crains sans cesse une ouverture dans la plaie cicatrisée de mon poumon gauche, et sachez tous, mes très chers amis, [que] quand cela arrivera je me tuerai net, car je connais trop la tuberculose… [4/09/1923] – Je voulais comprendre. Comprendre les monstruosités de l’existence7. – Au- jourd’hui même quand le remords le plus atroce ronge mon cœur et m’empoisonne l’existence, aujourd’hui même, quand, pour réparer le crime d’avoir tué ma mère je don- nerais ma vie, encore aujourd’hui je ne donnerais pas mon art pour ressusciter ma mère ! [30/04/1921] –J’espère, en dépit de vous-même, en votre diabolique vitalité. [14/03/1933] Tous deux sont des hommes passionnés, aux réactions parfois brutales, aux pensées parfois contradictoires. Ils sont hommes de foi, ils croient au progrès, ont des convictions so- cialistes. Rejet du matérialisme contemporain, indispensable vie de l’esprit. Viscéralement indépendants, aux cœurs fra- ternels, idéalistes, ils construisent leur vie et leur œuvre sur la base de l’amitié. Consciences individualistes, ils penchent naturellement vers un anarchisme, que je qualifierais de cœur, nullement théorique ou partisan. Istrati s’identifie à la pensée rollandienne (et à Jean-Christophe !) Il a lu Jouve qui a rap- porté la parole de Rolland : « Nous sommes anarchistes dans le sens où le furent tous les grands esprits qui nous montrent la route, dans le passé. Erasme, Voltaire, Flaubert, Tolstoy. Une anarchie ainsi entendue, nous l’opposons aux tyrannies collectives8. » Malgré la maladie, contractée dans leur jeu- nesse, ils sont tous deux dotés d’une puissante vitalité d’où naît un désir d’éternité qu’ils concrétisent par l’inscription dans le présent des plus humaines valeurs et si possible par la création d’œuvres pérennes. L’on me pardonnera, j’espère, la forme qu’a prise, sous ma plume, cet article qui n’est pas une étude à proprement parler mais une compilation de simples extraits de la Correspondance Panaït Istrati-Romain Rolland qui vient de paraître chez Gallimard dans une nouvelle édition établie, annotée et présentée avec Jean Rière. Mais ces extraits sont choisis et entendent offrir les bases d’un pre- mier regard sur deux écrivains liés à jamais par une relation unique. Je n’ai pu m’empêcher d’y joindre d’autres textes les complétant et quelques réflexions personnelles. Je souhaite que l’on voit ici un tremplin pour de nouvelles « Études Romain Rolland ». On trouvera, pour chaque rubrique, en premier les phrases de Rolland (romain) puis les phrases d’Istrati (italique), suivi de mon commentaire. Les références, quand elles ne signalent que la date, se rapportent à l’édition Gallimard. D.L 1. Lettre à Léon Tolstoï, 23/8/1901, in Cahiers Romain Rolland, n° 24, p.51. 2. A Jérôme et Jean Tharaud, in Romain Rolland, De Jean-Christophe à Colas Breugnon, Ed. du Salon Carré, 1946. 3. Lettre à L. Tolstoï, 1887, in Cahiers Romain Rolland, n° 24, p. 22. 4. Romain ROLLAND, Journal, Europe, n° 439/440, novembre/décembre 1965, p. 178-179. 5. Pierre Jean JOUVE, Romain Rolland vivant, Ollendorff, 1920, p. 173. 6. Romain ROLLAND, préface à la Vie de Michel-Ange, Cahiers de la Quinzaine,1906. 7. Panaït ISTRATI, préface à La Maison Thüringer, Rieder, 1933, p. 16. 8. Pierre Jean JOUVE, Romain Rolland vivant, op. cit., p. 116. Rolland et Istrati / Istrati et Rolland Daniel Lérault 5 Études Romain Rolland - Cahiers de Brèves n° 43 - juillet 2019 L’un avec l’autre […] vous êtes le seul génie du conte, du beau récit, de la nouvelle, de la prose artistique, que je reconnaisse dans la littérature d’à présent. [02/08/1925] – Je suis plus heureux de votre succès que du mien. [01/05/1924] – Flamme inextin- guible [11/01/1923] – […] mon cher ami, et frère Panaït Istrati [à Olga Kameneva, 14/10/1927] – […] menacé de mort par les fascistes roumains [...] Ces cochons-là seraient capables de jeter dans le Danube leur plus grand artiste, − et l’un de nos plus grands écrivains9. – Nous devons voir par vos yeux. [31/10/1927] – Le « haïdouc » Istrati m’envoie de Russie et d’Orient (il vagabonde à tire d’aile) une pluie de cartes et de lettres […] Il Istratise la Révolution, Lénine, Koltchak, tout ce qu’il touche. Tant mieux pour nous ! Mais sa vie ne tient qu’à un fil, il se brûle par les deux bouts10. – Je ne puis dire combien j’en suis heureux. […] Voilà un livre enfin ! Presque tout le reste de la littérature d’à présent me dégoûte. Et parfois, je me demande : « Ai-je, donc, perdu l’appétit ? » – Non ! Je ne l’ai pas perdu. J’ai dévoré vos chardons, comme un âne. Il y a toute la sève et le feu de la terre, là- dedans. Mais les autres ne me donnent à manger que du pa- pier. Je vous embrasse. Votre Romain Rolland. » [21/07/1928] Mon cher ami, mon dieu ![…] Je suis, à vos genoux, celui qui vous aime sans limites. [2/11/1922] – Votre fils spi- rituel [8/1/1924] – Votre terrible correspondance, pleine d’une foi qui dépasse Jean-Christophe [11/1/23] – Je suis votre œuvre [08/01/24] – Pourquoi écris-je… Mais pour vous, pour vous seul. [11/01/1923] – … moi qui vous porte dans le cœur depuis ma naissance et qui vous cherche à travers les es- paces depuis une éternité. [21/03/1921] – De la vraie littéra- ture ? Mais voici, je la fais ici, avec vous, et cela me suffit… [21/03/1921] – […] un sorcier me barra la route et m’offrit une magnifique caravelle : – Assez de ténèbres ! Va, en pleine lumière, à la vue de du monde ! J’embrassai la main du sorcier et le pavillon de la ca- ravelle : – Merci ! il faut donc que je continue ! – De plus belle ! – Ce sera alors comme ce fut jusqu’ici : pour le monde. Le sorcier avala un sourire amer : – Bien entendu, mon enfant ! [Pour avoir aimé la terre, op. cit., p. 17] Istrati, fils d’un contrebandier grec qu’il n’a pas connu est, depuis toujours, en quête d’un père. Il ne se trompe pas en trouvant chez Rolland la figure paternelle qu’il recherche. C’est une relation filiale qui s’instaure, une reconnaissance d’un père par son fils et vice-versa. Sévérité et protection se- ront de mise – Rolland accouchera Istrati d’Istrati. Nous sont alors offertes de belles pages du père et du fils, ensemble, au travail, poussés vers un objectif commun. Et les résultats sont là. L’un… et l’autre Je ne cherche pas les affections (tempi passati), je cherche les œuvres. [18/01/1922] – L’individu se montre au naturel : un féroce égoïste. Depuis qu’il est sorti de la mi- sère, il m’intéresse beaucoup moins11. – Pour dire le vrai, il est le seul écrivain français – ce Roumano-Grec ! – que je puisse lire avec joie. Les autres me font l’effet de clercs (non pas au sens de Benda « le Talmudiste », comme dit Jean- Richard) mais de clercs de notaires. Ils rédigent des actes. C’est assommant12 ! – […] et l’on ne fait rien de bon, contre sa nature. La vôtre a pour mission de rallumer et de propa- ger partout le feu, – le feu quel qu’il soit – bon ou mauvais, rouge ou blanc (il y a de tout dans la flamme) – le feu vivant, – le feu qui tue, mais en brûlant. [31/12/1927] … j’aime l’homme et je m’applique à chercher en lui la bonté et l’amour… uploads/Litterature/ rolland-et-istrati-istrati-et-rolland-daniel-lerault.pdf

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