DERRIDA ET LA QUESTION DE LA PRÉSENCE : UNE RELECTURE DE LA VOIX ET LE PHÉNOMÈN
DERRIDA ET LA QUESTION DE LA PRÉSENCE : UNE RELECTURE DE LA VOIX ET LE PHÉNOMÈNE Françoise Dastur Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale » 2007/1 n° 53 | pages 5 à 20 ISSN 0035-1571 ISBN 9782130561842 DOI 10.3917/rmm.071.0005 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2007-1-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) Derrida et la question de la présence : une relecture de La Voix et le phénomène RÉSUMÉ. — On a souvent considéré que la partie la plus importante de l’œuvre de Derrida résidait dans les cinq livres publiés entre 1967 et 1972. On se propose ici, à travers une relecture du texte le plus décisif de cette période, La Voix et le phénomène, de mettre en lumière la manière propre à Derrida d’unir la question de la disruption de la présence à celle de l’écriture. Ce qui est par conséquent interrogé est l’accent mis par Derrida sur la mort, considérée comme la condition même de possibilité du langage et de l’écriture. Comme Derrida le montre à bon droit, Husserl, en dépit de l’importance qu’il confère à l’écriture dans le processus d’idéalisation, n’a pas pris conscience du fait que le rapport à la mort constitue la structure concrète du présent vivant. Mais, d’un autre côté, en opposant d’une manière trop dualiste la présence et l’absence, la vie et la mort, Derrida ne s’est pas lui-même montré capable de voir que la condition du langage n’est pas tant la mort du sujet que l’être-pour-la-mort et la finitude du Dasein. ABSTRACT. — It has often been considered that the most important part of Derrida’s work consisted in the five books published between 1967 and 1972. This paper intends, by way of a re-reading of Derrida’s most powerful text from this period, Speech and Phenomenon, to bring to light Derrida’s specific manner to unite the question of the disruption of presence to the question of writing. What is therefore questioned is Der- rida’s emphasis on death, considered as the very condition of possibility of langage and writing. As Derrida rightfully shows, Husserl, in spite of the importance he confered to writing in the process of idealization, was not aware of the fact that the relationship to death constitutes the concrete structure of the living present. But on the other hand, by still opposing in a too dualistic manner presence and absence, life and death, Derrida himself was not able to see that the condition of langage is not so much the death of the subject as the being toward death and the finitude of Dasein. On a souvent considéré que la partie la plus importante de l’œuvre de Derrida a consisté dans les cinq premiers livres qu’il a publiés entre 1967 et 1972, période durant laquelle Derrida devint soudainement un philosophe célèbre, et en un sens plus célèbre encore aux États-Unis qu’en France, en particulier à la suite de la conférence qu’il donna en 1966 à Baltimore sur « La structure, le Revue de Métaphysique et de Morale, No 1/2007 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) signe et le jeu dans le discours des sciences humaines » 1. Il est vrai que durant les années suivant la publication en 1962 de son introduction à L’Origine de la géométrie de Husserl, Derrida a développé dans un laps de temps extrêmement court ce qu’on pourrait considérer comme le fondement de ce qui se nommera par la suite « déconstruction ». Au cours de la seule année 1967, il publia non seulement L’Écriture et la différence, un recueil d’articles rédigés entre 1959 et 1966, mais aussi les deux parties de De la grammatologie, qui furent écrites en 1965 et 1966, et son célèbre essai La Voix et le phénomène, probablement rédigé durant la même période et immédiatement suivi de deux essais plus courts, qui seront repris en 1972 dans Marges de la philosophie : « La diffé- rance », texte d’une conférence faite devant la Société française de philosophie le 27 janvier 1968 2 et « Ousia et Grammè », texte publié en 1968 dans L’Endu- rance de la pensée, recueil dédié à Jean Beaufret 3, qui avait enseigné à l’École normale au cours des années pendant lesquelles Derrida y était étudiant. Sans revenir sur les étapes de son interprétation de la phénoménologie hus- serlienne de 1954 à 1967 4, ni sur la question du rapport entre Heidegger et Derrida au sujet du jeu et de la différence 5, on se propose simplement ici de s’interroger sur les deux thèmes fondamentaux de pensée que Derrida a trouvés chez Husserl et qui constituent la base de son projet de déconstruction du logocentrisme et du phonocentrisme. *** Le premier de ces thèmes se trouve dans L’Origine de la géométrie, là où Husserl, après avoir affirmé l’indépendance de l’objectivité idéale à l’égard de son expression linguistique, montre, dans un renversement soudain, que non seulement l’incarnation linguistique, mais l’écriture elle-même sont le médium indispensable de la constitution de la vérité et des objets idéaux 6. L’écriture a toujours été considérée comme ce qui donne une certaine permanence à ce qui 1. Cf. J. DERRIDA, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, pp. 409-428. 2. D’abord publié dans le Bulletin de la Société française de philosophie, vol. LXII, no 3, juillet-septembre 1968, et repris dans Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972, pp. 1-29. 3. Cf. L’Endurance de la pensée. Pour saluer Jean Beaufret, Paris, Plon, 1968, pp. 219-259. Repris dans Marges de la philosophie, op. cit., pp. 31-78. 4. Cf. F. DASTUR, « Finitude et répétition chez Husserl et Derrida », in Alter, Revue de Phéno- ménologie, no 8, « Derrida et la phénoménologie », 2000, pp. 33-51. 5. Cf. F. DASTUR, « Heidegger and Derrida : On play and difference », in Epoché, A Journal for the History of Philosophy, Brigham Young University, 1996, pp. 1-23. Une nouvelle version fran- çaise de ce texte paraîtra sous le titre « Heidegger, Derrida et la question de la différence » dans les actes du colloque « Derrida et la tradition de la philosophie » qui eut lieu à l’ENS de la rue d’Ulm en octobre 2005. 6. Cf. E. HUSSERL, L’Origine de la géométrie, traduction et introduction de J. Derrida, Paris, PUF, 1962, p. 83. Noté par la suite OG. 6 Françoise Dastur © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 21/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 154.0.180.89) est dit, et, de la même manière, Husserl voit en elle ce qui confère aux idéalités un être perpétuel. Mais, comme Derrida le souligne bien, un tel être perpétuel, qui n’a rien à voir avec une infinité actuelle, n’est que la forme pure de l’itération infinie (OG, p. 48), de sorte que l’ouverture à l’infinité qui prend place dans l’histoire humaine sous la forme de la géométrie, c’est-à-dire de la philosophie – qui n’est rien d’autre pour Husserl que la capacité de neutraliser la facticité empirique –, n’est nullement l’ouverture à un royaume anhistorique d’entités éternelles, mais au contraire à ce que Derrida nomme, à l’aide d’une expression empruntée à un manuscrit de Husserl, une « histoire transcendantale », l’histoire paradoxale de ce qui demeure identique et peut être indéfiniment répété. Ce renversement soudain de Husserl constitue le principal intérêt de ce court manuscrit, comme Merleau-Ponty fut le premier à le souligner, en particulier dans son cours de 1959-1960 7, mais pour Merleau-Ponty, s’il y a bien là un « geste décisif » (OG, p. 83), il continue à prendre place à l’intérieur du langage, dans la mesure où l’apparition de l’écriture n’est rien d’autre qu’une « mutation essentielle du langage » 8, alors que Derrida considérera plus tard le même « geste » comme la base de sa propre inversion de la relation entre parole et écriture. Cela impliquera une rupture avec Husserl aussi bien qu’avec la phé- noménologie, car, comme il le soulignera dans La Voix et le phénomène, l’écri- ture est encore pour Husserl un mode de la parole, ce qui veut dire qu’il demeure prisonnier uploads/Litterature/ rmm-071-0005.pdf
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- Publié le Jan 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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