Projet éditorial Dans un monde en plein bouleversement, la centralité du travai

Projet éditorial Dans un monde en plein bouleversement, la centralité du travail est à la fois incontestable et, bien souvent, hautement problématique. S’il est toujours à dominante salarié, le travail se pluralise au travers des processus d’éclatement du statut de l’emploi, de l’émergence de figures se situant à la lisière du salariat tout comme par effet d’extension du chômage et de la précarité. La division sociale du travail s’entrecroise avec une division sexuelle du travail dont l’écho résonne autant dans l’espace privé que public. Polarisées socialement, les relations de travail ne sauraient être abordées sans prendre en compte l’action collective et les relations professionnelles tout comme l’action publique ou celle des entreprises. C’est pourquoi « Les Mondes du Travail » souhaitent contribuer au décloisonnement des problématiques de recherche sur le travail, l’emploi et les relations professionnelles. Les Mondes du Travail est une revue éditée par l’association du même nom. Elle développe une orientation critique à l’égard des réalités contemporaines du travail, en lien avec le hors-travail et la structuration sociale en général. Les Mondes du Travail est une revue interdisciplinaire et s’adresse autant au monde de la recherche et de l’enseignement qu’à celui des acteurs sociaux. Directeur de publication : Stephen Bouquin Conseil Editorial: Sophie Béroud, Rachid Bouchareb, Stephen Bouquin, Meike Brodersen, José Angel Caldéron, Juan Sebastian Carbonell, Nicola Cianferoni, Pascal Depoorter, Anne Dufresne, Claire Flecher, Nathalie Frigul, David Gaborieau, Cyrine Gardes, Marc Loriol, Séverin Muller, Jérôme Pélisse, Roland Pfefferkorn, Haude Rivoal. Conseil scientifique : Christian Azaïs (économiste), Stéphane Beaud (sociologue), Alain Bihr (sociologue), Paul Bouffartigue (sociologue), Patrick Cingolani (sociologue), Jean Copans (anthropologue), Antonella Corsani (sociologue, économiste), Marie-Anne Dujarier (sociologue), Marc Fourdrignier (sociologue), François Hénot (juriste travailliste), Odile Henry (politiste), Héléna Hirata (sociologue), Michel Lallemant (sociologue), Nicky Le Feuvre (sociologue), Alain Lancry (psychologue), Alain Maillard (sociologue), Esteban Martinez (sociologue), Daniel Mercure (sociologue), Gérard Noiriel (historien), Françoise Piotet (sociologue), Emmanuel Quenson (sociologue), Jens Thoemmes (sociologue), Georges Ubbiali (sociologue), Gérard Valléry (ergonome), Karel Yon (sociologue). Correspondants : Mateo Alaluf (sociologue, Université Libre de Bruxelles), Michael Burawoy (sociologue, université de Los An- geles, Etats-Unis), Juan Montes Cato (Buenos Aires, Argentine), Anne Gray (économiste, South Bank University, London, UK), Patrick Humblet (juriste, Université de Gand, Belgique), Steve Jefferys (sociologue, Londres), Vassil Kirov (sociologue, Unversité de Sofia, Bulgarie), Michele La Rosa (sociologue, Université de Bologne, Italie), Nicky Le Feuvre (sociologue, Université de Genève, Suisse), Salvo Leonardi (juriste, IRES, Rome, Italie), Pablo Lopez Calle (sociologue, Université de Madrid, Espagne), Esteban Martinez (sociologue, Université Libre de Bruxelles, Belgique), Daniel Mercure (sociologue, Université de Laval, Québec), Andres Pedreno (Université de Murcia, Espagne), Georgia Petraki (sociologue, Université d’Athènes-Pantheion, Grèce), Jean Vandewattyne (sociologue, Université Mons-Hainaut, Belgique). info@lesmondesdutravail.net www.lesmondesdutravail.net Les Mondes du Travail – BP 60711 80007 Amiens cedex 1 SOMMAIRE grand entretien « Il n’y a pas d’automatisation sans micro-travail humain » Entretien avec Antonio A. Casilli Par Stephen Bouquin 3 dossier L’automatisation, entre promesses non tenues et réalités 23 contrastées. Une introduction au dossier Stephen Bouquin L’automatisation, une arme de destruction massive 39 de l’emploi ? Stephen Bouquin Plateformes numériques et formes de résistance 71 à la subjectivité précaire. Le cas de Foodora Daniela Leonardi, Emiliana Armano, Annalisa Murgia Les innovations technologiques : une avancée pour l’égalité 85 hommes-femmes ? Le cas des entrepôts de logistique Haude Rivoal Quel statut pour les petits doigts de l’intelligence artificielle ? 99 Présent et perspectives du micro-travail en France Clément Le Ludec, Elinor Wahal, Antonio A. Casilli, Paola Tubaro « Le numérique est un champ de bataille 113 que l’action syndicale ne peut ignorer » Entretien avec Sophie Binet, cosecrétaire Ugict-CGT Les machines intelligentes. Une brève synthèse historique 123 Matthew Cole Sur les origines du General Intellect de Marx 131 Matteo Pasquinelli Travail, techniques automatisées et nouvelles 151 aliénations sociales : Pierre Naville et l’automation Sébastien Petit L’automatisation et ses dérives technicistes 163 Paul Santelmann 1 2 notes de lecture Nicola Cianferoni (2019), Travailler dans la grande distribution. La journée de travail va-t-elle redevenir une question sociale ?, Seismo, 215 p. (Frédéric Moulène) 207 Nicholas Hildyard (The Corner House) (2020), Corridors as factories : Supply chains, logistics and labour. Is this the world you want ?, Counterbalance, 186 p. (Cédric Leterme) 209 Christine Bureau, Antonella Corsani, Olivier Giraud, Frédéric Rey (coord.) (2019), Les Zones grises des relations de travail et d’emploi : un dictionnaire sociologique, Teseo, 678p. (Rachid Bouchareb) 211 François Jarrige (2016), Techno-critiques. Du refus des machines à la contestation des techno-sciences, Editions La Découverte, 434 p. (Stephen Bouquin) 215 Donald Reid (2020), L’Affaire Lip. 1968-1981, Presses univ. de Rennes, 539 p. (Georges Ubbiali) 220 Cédric Durand (2020), Technoféodalisme. Critique de l’économie numérique, La Découverte, 264 p. (Stephen Bouquin) 224 5 d’ici & d’ailleurs La conflictualité du travail peut-elle se limiter au champ politique ? 177 Réflexions sur les référendums populaires en Suisse contre l’extension des horaires d’ouverture des magasins Nicola Cianferoni varia Le travail relationnel à composante artistique dans 191 les services psychiatriques Lise Demailly 3 4 1 grand entretien « Il n’y a pas d’automatisation sans micro-travail humain » Grand entretien avec Antonio A. Casilli Propos recueillis par Stephen Bouquin SB : Comment en es-tu venu à travailler sur la question du digital labor ? Antonio A. Casilli : Pour répondre, il faut revenir sur mon parcours. Je suis économiste de formation universitaire et je suis issu de cette branche de l’Italian Theory qu’on qualifie de post-opéraïste, mais qui mérite d’être appelée opéraïste1 car il y a quand même beaucoup plus de continuités que de ruptures dans cette tradition. A la fin des années 1990, ce courant était préoccupé par les enjeux du post-fordisme. L’étude de structures organisationnelles caractérisées par la disparition du fordo-taylorisme, les enjeux de la tertiarisation et de l’externalisation, ainsi que le développement de nouvelles formes de production basées sur des actifs immatériels étaient autant de sujets qui préparaient la réflexion sur ce qu’on allait appeler le capitalisme cognitif. Maintenant, si c’est-là mon point de départ, à un moment, j’avais fini par mettre cette approche entre parenthèses. Lors de mon installation en France, alors que je poursuivais des études doctorales en sociologie, j’ai développé des recherches qui portent sur les études des sociabilités du numérique. J’ai commencé à étudier comment les gens se comportent en ligne en regardant leurs stratégies d’optimisation du capital social. J’avais donc 1. Voir Mario Tronti, Nous opéraïstes. Le « roman de formation » des années soixante en Italie, Paris, L’Eclat, 2013. 4 quitté le champ d'études du travail au cours de cette période, la première décennie des années 2000, pour me pencher sur la façon dont les individus connectés créent des structures, des groupes d’affinités, des formes et d’interactions sur les premiers médias sociaux. Ensuite, au cours des années 2010, je suis progressivement revenu vers le travail, mais armé de nouvelles méthodes et de nouvelles approches, développées au sein de la sociologie des techniques. C’est ainsi que j’ai bouclé la boucle et, en fusionnant l’intérêt pour le numérique et celui pour le travail, je me suis orienté vers les questions du digital labor. Ce n’est pas forcément inattendu, puisque ma définition de ce concept le caractérise comme une marchandisation des formes d’interactions sociales sur Internet. La définition que j’en donnais en 2015 – le prétexte a été un séminaire de l’INA qui est devenu un petit livre2 – est la suivante : le digital labor correspond à une subsomption de nos activités en ligne, de nos liaisons numériques, en les intégrant dans la sphère productive et au final de leur valorisation à des fins marchandes. Ce n’est pas un hasard si j’ai préféré mobiliser la notion de subsomption à celle, plus utilisée en sociologie, de domination. La subsomption de l’humain sous le capital dépasse la simple soumission à un pouvoir politique ou son inscription dans des hiérarchies de classe. Elle situe les individus au sein d’un système technique et économique qui en capte les gestes, les désirs, les interactions. Voilà donc que mon parcours me conduit, au bout de vingt ans, à revenir aux sources. Mais, entretemps, la situation a largement évolué et mes positions sont devenues moins tranchées aussi. Aujourd’hui, j’ai fait le deuil de l’opéraïsme et je m’éloigne largement de questions comme le travail « immatériel », le travail de la « connaissance » ou le capitalisme « cognitif » car, du point de vue empirique, ces approches se sont limitées à analyser les métiers dits « sublimes »3. Leur société de l’information est encore largement peuplée d’ingénieurs, de professionnels au travail éminemment créatif qui gèrent la production de connaissances, des experts qui conduisent une activité qualifiée en jouissant d’une contribution reconnue dans la production de richesses. C’est une vision que je trouve désormais réductrice. Non seulement elle fait l’impasse sur des pans entiers du marché du travail, mais elle s’obstine à mobiliser la sémantique surannée du numérique comme virtuel ou immatériel. Or, depuis mes travaux des années 2010, mes efforts autant sur le plan de la recherche empirique que sur le plan de la systématisation théorique ont visé, au contraire, à montrer qu’il y a énormément de matérialité uploads/Litterature/ revista-mundos-del-trabajo.pdf

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