Représentations genrées et raciales dans la série animée française (2010-2020)

Représentations genrées et raciales dans la série animée française (2010-2020) Objectifs et méthodologie Cette étude, réalisée entre 2018 et 2020, s’attache à analyser les diversités de représentations des personnages au sein des séries animées françaises à destination de la jeunesse. Les longs-métrages d’animation suivant une logique de production et de distribution différente, ne serait-ce que du fait de leur format, ainsi que les courts-métrages, prestations et commandes étrangères ne seront pas ici pris en compte. Nous allons donc nous concentrer sur les séries animées françaises, du fait de leurs spécificités de productions et diffusions auprès du jeune public. Nous nous baserons pour cela sur les visuels, sites de producteurs, pitchs, extraits et épisodes de séries produites entre 2010 et 2020. Dans le cadre de cette étude, 205 séries produites par 45 studios français ont été décortiquées. Ces séries ne sont pas des prestations réalisées par les entreprises françaises pour un producteur et/ou diffuseur étranger mais sont bel et bien des oeuvres dont l’origine est française. Nous n’avons pu collecter le nombre de personnages secondaires sur toutes les séries. De ce fait, seuls les personnages principaux et récurrents y seront comptés. L’origine ethniques des personnages a été déterminée sur le modèle des statistiques anglo-saxonnes, en y ajoutant la catégorie caribéenne, étant donnée son histoire particulièrement attachée à celle de la France. Une relecture en aveugle a été réalisée sur certaines séries où les représentations raciales pouvaient prêter à confusion. Claire LEFRANC Synthèse Alors que la décennie 2010 se clôt sur une évolution des diversités de représentation des plus notoires dans les productions animées japonaises et américaines, Les Intervalles se penche, via cette étude, sur leurs équivalences françaises, en dressant une analyse des représentations genrées et raciales, notamment chez les personnages principaux des séries d’animation produites depuis 2010. Où sont les (pré)-ados ? 205 séries produites sur une dizaine d’années ont ici été comptabilisées, allant du preschool (3-4 ans) au kids (8-10 ans), en passant par quelques oeuvres que les sites de productions classent comme à destination de la famille en général. On note d’ores et déjà l’absence de séries à destination des plus de 10 ans, sauf rares exceptions qui considèrent leurs programmes comme ciblés sur une plus large tranche d’âge (6-12 ans et 8-12 ans) que les traditionnelles catégories preschool, upper-preschool, bridge, kids et pre-teens. De ce fait, on retrouve peu d’oeuvres feuilletonnantes et développant leurs personnages au-delà de l’aventure épisodique, plus adaptées pour une audience de plus de 10 ans. Cette audience est pourtant présente selon les derniers chiffres du CNC (2.4.L’audience de l’animation à la télévision, p58-64). L’étude conjointe avec le RAF, via leur présentation du marché de l’animation de 2019, montre ainsi une augmentation, depuis 1 2010, de la part des séries de 11 à 13 minutes contre une importante diminution de celles de 23 à 26 minutes. Une production audiovisuelle animée peu paritaire Sur ces 205 séries, 264 réalisateur·ice·s ont été comptabilisé·e·s, dont 9,5% de réalisatrices. Moins de 10% de femmes à un poste décisif et qui se retrouvent majoritairement en duo et trio, alors qu’elles ne sont que 4,6% à réaliser seule (contre 46,21% d’hommes) et 0,8% en groupe féminin non mixte (contre 40,2% de réalisateurs). Les chiffres du CNC sont plus optimistes, avec 29,6% de femmes, comprenant dans ce pourcentage les réalisatrices de courts et longs-métrages, de commandes publicitaires et de prestations VFX. 2 De manière générale, les femmes en CDDU ne représentent que 34% des salarié·e·s de la production d’animation et d’effets visuels en 2017, soit une augmentation de 3,8 points seulement depuis 2010 (Marché de l’animation, CNC, p.68). Elles occupent beaucoup les postes de gestion de production, de distribution et de colorisation, où elles sont majoritaires, mais sont bien moins présentes aux postes décisionnaires artistiques que sont la réalisation, la direction artistique (28,4%) et le storyboard (26,1%), pour ne citer que ceux-ci, et sont également très minoritaires (moins de 10%) aux postes techniques de pipeline, de développeuse, de R&D. On peut en conclure que les femmes sont, malgré leur présence prédominante en école d’animation, encore aujourd'hui écartées des postes techniques et décisionnaires alors qu'elles gardent une place importante dans des postes qui leur furent historiquement alloués, à une époque où elles peinaient encore à intégrer le milieu. Chez les personnages, nous sommes également encore loin de la parité. Sans distinguer l’origine des protagonistes (humains, alien, animaux, nourriture et objets animés)​,​ on remarque d’abord qu’ils sont quasiment tous genrés; puis que les femmes, ou plutôt les filles, car il s’agit surtout d’enfants, sont encore très minoritaires. 34,6% au total, avec un écart encore plus conséquent pour les protagonistes animaux, puisqu’on n’y retrouve que 25,7% de personnages ouvertement identifiés féminins, contre 39,21% lorsqu’elles sont humaines. Elles sont surtout présentes, toute origines confondues, dans des groupes mixtes paritaires (19,6%), puis en héroïne solitaire (9,6%), alors que les groupes féminins non mixtes et les mixtes à majorité féminine représentent chacun moins de 5% des protagonistes féminines des 205 séries étudiées. 3 4 Devant comme derrière les écrans, tout est blanc L’interdiction française de réaliser des statistiques raciales, pourtant utilisées depuis longtemps dans les pays anglo-saxons afin de mieux comprendre le fonctionnement des classes sociales et raciales*, et le racisme qui en découle, nous empêche de précisément déterminer la quantité de personnes non-blanches travaillant dans l’industrie de l’animation française. Ce sont les manques de représentations raciales dans les dessins animés même, ainsi que les stéréotypes qui en sont faits, qui laissent à penser qu’il y a bien peu de personnes concernées derrière les écrans pour proposer des personnages et des histoires plus diversifiées et moins cliché. Les séries animées françaises proposent en effet uniquement 27,7% de personnages principaux racisés* (sur le total de personnages principaux et récurrents). Rappelons que cela ne correspond pas à une communauté unique face à une autre (la blanche), mais à des personnes noires, asiatiques, arabes, autochtones*, hispaniques / latinos* et caribéennes, face à la communauté blanche. L’écart est d’autant plus important que sur le pourcentage de personnages principaux racisés, 5,2% sont d’une origine ethnique indéterminée, du fait de leur adhésion à des normes esthétiques blanches et du manque de développement de leur ​background​. On compte uniquement 9,3% de séries dont la majorité du casting est non-blanc. La parité est plus qu’atteinte chez les protagonistes racisé·e·s avec 50,6% d’héroïnes. Chez les personnages racisés en général, les plus représentés, tant chez les filles que chez les garçons, sont les protagonistes noirs, puis asiatiques. Les personnages principaux féminins racisés sont proportionnellement plus nombreux que les garçons par rapport aux protagonistes blancs puisqu’ils représentent 36,4% du total des filles alors que les garçons non-blancs ne forment que 21% du total des protagonistes masculins. 5 Handicapé·e·s et queers sous la cape d’invisibilité Le titre résume à peu près la situation : on ne trouve pas de personnages handicapés et/ou LGBT+* dans les séries animées françaises, sauf très rares exceptions qui se comptent sur les doigts d’une main. Le premier constat est celui d’une méconnaissance des handicaps qui amène une représentation centralisée autour du fauteuil roulant. Les troubles mentaux et psychiques peuvent en partie expliquer leur absence par le grand nombre formats courts des séries animées françaises, rendant plus difficile la mise en scène de personnages ayant ces pathologies. Mais les protagonistes avec des troubles de l’audition, de la vue et/ou de la voix, ainsi que des personnages handicapés moteur en béquilles, ou avec des prothèses, ne sont pas plus représentés alors que visuellement plus simple à développer. 6 Dans le second cas, c’est l’absence globalisée de romance dans les séries d’animation françaises qui ressort, en plus d’une sous-représentation des couples LGBT+ établis. Car si les protagonistes, souvent enfants, n’ont pas de relation romantique, leur entourage adulte est toujours cisgenre et hétérosexuel. Ce même entourage est souvent à l’origine de la cisnormativité* et de l’hétérocentrisme*des séries sur les personnages principaux. Autrement dit : ne parlons pas de romance, mais il est convenu que tout le monde reste cigenre et héréro malgré tout. 1. Genre et dérange Du fait des coproductions et des retours artistiques de nombreuses personnes sur la chaîne de fabrication d’une oeuvre, notamment producteurs et diffuseurs, il est souvent difficile pour une série de développer des personnages réellement innovants. Les chargé·e·s de programme peuvent entre autres imposer des choix suivant la culture du pays, y compris ses discriminations. Les scénaristes, character designers et réalisateur·ice·s ont tendance à s’autocensurer pour éviter des refus trop répétés. Ainsi, il est possible de se retrouver avec des personnages blanchis, des héroïnes minorées et un effacement du moindre doute quant à la sexualité des personnages, même adultes, même parents. 1.1 Du trope au stéréotype Il existe, en écriture, plusieurs tropes féminins qui ont tendance à être récupérés tels quels, changeant les personnages en stéréotypes. Rappelons d’abord la différence entre un trope, ou archétype, et un stéréotype : là où le premier va poser des bases de référence sur un type de personnage, qu’elle soient visuelles ou comportementales, le second ne développe pas le personnage au-delà de ces références et tend à uploads/Litterature/ representations-genrees-et-raciales-series-animees-2010-2020.pdf

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