Philoplèbe Olivier Razac Le placement sous surveillance électronique mobile : u
Philoplèbe Olivier Razac Le placement sous surveillance électronique mobile : un nouveau modèle pénal ? Synthèse Ce texte est la synthèse du rapport de recherche du même titre, publié au sein du Centre interdisciplinaire de recherche appliquée au champ pénitentiaire (CIRAP) à l'ENAP , 2011 Source : www.philoplebe.lautre.net 1 Le Placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) a été créé par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Il présente d'emblée une double innovation. Une innovation technique, d'abord, dans la mesure où il permet de localiser en permanence un individu. Le dispositif est principalement constitué de deux éléments : un bracelet serré autour de la cheville et un récepteur de la taille d'un gros téléphone portable qui doit être porté à la ceinture (au domicile un récepteur fixe prend le relais). Le récepteur vérifie la proximité du bracelet et donc du corps du placé, reçoit sa localisation par des satellites grâce à une technologie GPS et envoie ces informations à un centre de contrôle par le réseau de téléphonie mobile (GSM). Cette localisation permet de savoir si un individu pénètre dans un endroit interdit, sort d'un lieu dans lequel il est assigné ou encore s'il a des déplacements comportant certains risques (comme se rendre régulièrement à la sortie des écoles). Le PSEM représente également une innovation pénale parce que l'essentiel des placements ont lieu dans le cadre des « nouvelles mesures de sûreté » : pour l'instant, la surveillance judiciaire (SJ) et bientôt la surveillance de sûreté (SS), ainsi que le suivi socio-judiciaire (SSJ) qui est une mesure plus ancienne. C'est pourquoi le PSEM a été présenté comme une innovation importante par ceux qui l'ont défendu et qu'il a pu, à l'inverse, être perçu comme emblématique d'une rupture majeure avec les principes de notre droit introduite par les nouvelles mesures de sûreté. Le PSEM produirait donc une forte discontinuité, aussi bien au niveau du cadre juridique dans lequel il s'inscrit, des modalités technologiques inédites qu'il introduit, que des pratiques professionnelles qu'il vient bousculer. Ce travail a cherché à évaluer la portée de cet effet de rupture provoqué par le PSEM en posant trois questions qui constituent autant de parties du développement : premièrement, qui est visé par le PSEM dans le cadre de mesures de sûreté ? C'est-à-dire, quel est le personnage constitué en creux par le fonctionnement de ce dispositif ? Deuxièmement, où et selon quelle temporalité se déroule le PSEM ? Plus précisément, dans quelle mesure cette 2 géolocalisation sécuritaire produit-elle un nouvel espace-temps pénal ? Troisièmement, comment le PSEM est-il mis en œuvre ? Plus particulièrement, le travail des conseillers d'insertion et de probation (CIP) qui accompagnent la mesure est-il bouleversé par l'introduction de ce nouveau dispositif ? Inversement, les réactions des professionnels face à ces nouvelles mesures éclairent-elles d'un jour nouveau les tensions qui agitent le travail social pénitentiaire depuis ses origines ? Le traitement de ces questions résulte d'un recueil d'informations de différents types : textes, témoignages, observations afin de mettre au jour les circonstances (qui, où, quand, comment ?) d'un fait nouveau (le PSEM). Le propre de l'enquête est de chercher toute information pertinente ; il s'est donc avéré utile de mobiliser des textes philosophiques, juridiques, sociologiques, psychologiques, des documents institutionnels, parlementaires, syndicaux, ainsi que des témoignages de personnes concernées. Ainsi, 22 entretiens ont été menés entre septembre 2007 et décembre 2008 avec des professionnels et des personnes portant un bracelet électronique mobile1. Il s'agissait d'interpréter le sens convergent de l'ensemble de ces discours afin de saisir le schéma conceptuel qui permet de rendre raison de la création et du fonctionnement de cette surveillance électronique sécuritaire et, par extension, de l'orientation actuelle de la politique pénale. Plus précisément, chaque partie est passée par deux temps d'analyse : d'abord, un temps de clarification conceptuelle afin de séparer le plus nettement possible deux rationalités de la réaction sociale à la délinquance : une rationalité classique que l'on peut dire légaliste et rétributive qui continue de fonder l'action pénale et la rationalité des mesures de sûreté telle qu'elle apparaît à travers les discours, les technologies et les pratiques liés au PSEM. Pour, dans un deuxième temps, esquisser la manière dont ces deux rationalités s'entrelacent, évidemment, dans un modèle mixte où la loi et la norme, la rétribution et le traitement, la carcéralité et le milieu ouvert, le travail social et la probation dessinent dans leurs jeux complexes une expérience pénale inédite. 1 Ces entretiens ont concerné : 11 CIP, 4 surveillants PSE-PSEM, 2 responsables de lieux d'hébergement, 1 chef de service d'insertion et de probation (CSIP), 1 directeur adjoint de service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), 1 juge d'application des peines (JAP) et 4 personnes placées sous surveillance électronique mobile. 3 1. Le placé comme sujet de la loi et objet de mesures sécuritaires L'enquête révèle ainsi une expérience pénale tout à fait paradoxale. Le protagoniste principale de cette expérience, le placé, est un personnage flou et ambigu. Il pourrait sembler évident qu'il n'est plus ce sujet pénal classique, sanctionné parce qu'il a désobéi à la loi à laquelle il est soumis en tant que citoyen responsable de ses actes. Punition qui doit rétablir sa citoyenneté en soldant la dette qu'il a contractée avec la société du fait de son délit. À première vue, le fonctionnement du PSEM révèle une figure, non pas simplement différente, mais opposée terme à terme avec ce sujet pénal, de la même manière que le régime juridique des mesures de sûreté s'opposerait à la logique strictement pénale. Le placé apparaît ainsi comme l'objet d'un traitement sécuritaire justifié par l'évaluation d'une dangerosité dont il est responsable en tant qu'individu « anormal ». De ce fait, il est jugé comme toujours susceptible de commettre des excès du fait de ses déficiences. Ce traitement doit permettre de normaliser son comportement de telle manière qu'il ne représente plus une menace pour des victimes potentielles. Or, le placé est, en fait, ces deux personnages à la fois. Mais dire cela, c'est affirmer une chose particulièrement complexe. Il ne s'agit pas seulement de dire que le placé correspond successivement à ces deux personnages ; d'abord puni selon la loi, puis contrôlé selon une logique sécuritaire. Déjà, à ce niveau, il faut mettre en question la prétendue étanchéité de cette division, en particulier parce que l'individu concret fait le lien entre ces deux moments abstraitement séparés. C'est bien la même personne qui est censée « payer sa dette à la société » pendant sa peine de prison et qui est surveillée ou enfermée ensuite du fait de sa prétendue dangerosité. Les deux figures se mélangent effectivement dans l'expérience vécue du placé. Plus encore, la peine implique toujours aussi une rationalité sécuritaire (à l'instar des périodes de sûreté par exemple) et les mesures de sûreté sont toujours aussi des mesures pénales. Si bien que l'on peut affirmer que le personnage pénal que dessine l'exemple du PSEM est bien, en même temps, sujet de la loi et objet sécuritaire. Or, cela n'est pas possible logiquement, c'est-à-dire que les concepts formant les deux rationalités ne peuvent pas coexister dans une 4 figure cohérente. Le résultat de cette construction semble être, en fait, un phénomène d'hybridation conceptuelle qui produit des catégories nouvelles, paradoxales du point de vue des rationalités dont elles sont issues. Ni sujet responsable de ses choix, ni objet responsable de sa défectuosité, ce nouveau personnage est un sujet qui doit prendre en charge sa dangerosité objective. Ni soumis à la loi en tant que citoyen, c'est-à-dire en tant que législateur-sujet, ni soumis à une logique médicale de diagnostic et de traitement d'une pathologie, il doit répondre devant la loi d'écarts à la norme. Ni puni pour payer ce qu'il a fait, ni pris en charge pour se transformer lui-même, il paye pour un temps indéfinie en fonction de ses efforts dans un parcours de prévention des risques. La condition du placé révèle la positivité de la structure paradoxale des évolutions de notre système pénal. L'articulation de rationalités hétérogènes produit une objectivité nouvelle, à la fois résultat et point d'application d'une gestion des risques légitimant pragmatiquement une loi qui la légitime symboliquement. 2. L'espace-temps du placement : exclusion, inclusion, traçabilité Ce personnage pénal paradoxal est plongé dans un espace-temps complexe. De prime abord, la possibilité technique de la traçabilité semble introduire une forte rupture avec les modalités classiques de la contrainte pénale basées sur l'enfermement. Même le bracelet électronique fixe, aujourd'hui banalisé, en reste à la conception statique d'une privation partielle de la liberté d'aller et venir. Le PSEM ouvrirait donc comme une nouvelle ère pénale dans laquelle la technologie peut « contribuer à la réinsertion des personnes concernées en facilitant leur mobilité géographique tout en permettant aux services de contrôle de s'assurer, le cas échéant, de la localisation du condamné avec précision et rapidité2. » Or, l'analyse du fonctionnement concret de cette mesure révèle une spatialité bien plus ambiguë. Tout d'abord, la virtualisation des contraintes spatiales n'impliquent pas un allègement du régime uploads/Litterature/ razac-le-placement-sous-surveillance-electronique-mobile-un-nouveau-modele-penal-psem-synthese.pdf
Documents similaires










-
44
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1190MB