LA « CLASSE INVERSÉE » : UNE ANALYSE CRITIQUE D’UN POINT DE VUE DE DIDACTIQUE D
LA « CLASSE INVERSÉE » : UNE ANALYSE CRITIQUE D’UN POINT DE VUE DE DIDACTIQUE DES LANGUES-CULTURES Christian PUREN contact@christianpuren.com www.christianpuren.com 1 www.christianpuren.com/mes-travaux/2018a/ (février 2018) Ce diaporama a été préparé à l’origine pour servir de support à une conférence qui m’avait été demandée par l’Université Tarbiat Modares de Téhéran dans le cadre d’une mission que j’ai réalisée en Iran (Téhéran et Ispahan) du 28 octobre au 1er novembre 2017. Elle n’a finalement pas été retenue dans le programme définitif. Je suppose, bien qu’on ne me l’ait pas dit, que c’est parce que mon point de vue était critique, du moins en ce qui concerne le recours à la classe inversée dans l’enseignement scolaire des langues. J’en ai repris les contenus de manière à les adapter au format d’un diaporama avec commentaires écrits : j’ai ajouté en particulier, au fil de ces commentaires, des références bibliographiques que l’on pourra consulter en cours de lecture. La « classe inversée » ou « pédagogie inversée » est actuellement une innovation à la mode dans beaucoup de pays pour l’enseignement scolaire et universitaire de toutes les disciplines. Elle a donné lieu ces dernières années, et donne encore lieu, à une multitude de publications. Elle a son association aux USA, en France et dans d’autres pays, qui ont leur site d’informations et d’échanges, et qui organisent des journées spéciales – congrès, colloques et stages. Le point de vue que je développerai ici est celui d’un didacticien de langues-cultures, et plus précisément d’un historien de l’évolution de cette didactique en France. Ce diaporama ne se veut donc pas une analyse complète de la question de la classe inversée en didactique des langues-cultures, mais une préparation (ou un complément) à la lecture du fil des échanges dont les titres, et l’ordre de publication, sont indiqués sur la diapositive suivante n° 2. 1 www.christianpuren.com/mes- travaux/2018a/ www.christianpuren.com/2016/01/31/a-propos-de-la-classe-inversée- dans-l-enseignement-secondaire-des-langues/ 2 www.christianpuren.com/mes-travaux/2018a/ (février 2018) Ces échanges concernent essentiellement l’enseignement scolaire, niveau d’enseignement pour lequel, comme on le lira, la classe inversée suscite de ma part, et de la part d’autres collègues, de fortes réserves de principe et de fortes critiques de la manière dont elle est promue. Ma première intervention sur la classe inversée portait sur l’enseignement universitaire (cf. mon billet de « Blog-Notes » en date du 23 décembre 2014, www.christianpuren.com/2014/12/23/la-classe-inversée-à-l-université- comme-moyen-d-y-amorcer-le-changement-pédagogique/). J’y voyais un intérêt évident pour provoquer une rupture décisive par rapport au cours magistral qui y règne encore souvent (je reviendrai sur cette question plus avant dans ce diaporama). Dans l’enseignement scolaire des langues, par contre, l’intérêt est beaucoup plus discutable. Les raisons en sont multiples, mais les principales me paraissent être les suivantes (les deux dernières sont valables pour toutes les disciplines scolaires) : 1. Le cours magistral n’a jamais eu une grande importance dans l’enseignement scolaire des langues vivantes : même dans la méthodologie dite « traditionnelle » (calquée sur l’enseignement scolaire du latin et du grec langues mortes), la phase transmissive, la « lectio » (la « leçon » de grammaire), se limitait à la présentation par l’enseignant du nouveau point de grammaire, et le temps de travail le plus important était consacré aux traductions d’application faites par les élèves, et ensuite à la correction collective de ces traductions. L’objectif de l’enseignement scolaire des langues, en effet, ce ne sont pas des connaissances langagières : celles-ci ne sont que des moyens au service de 2 www.christianpuren.com/mes- travaux/2018a/ l’acquisition de savoir-faire eux-mêmes au service de compétences, de « savoir-agir » en langue-culture étrangère, et qui peuvent être (1) savoir plus tard maintenir un contact avec la langue-culture étrangère à distance, par documents authentiques interposés, (2) savoir communiquer en langue étrangère, (3) savoir médier (i.e. agir comme médiateur), dans une société multilingue et multiculturelle, entre gens de langues-cultures différentes, (4) savoir agir dans les domaines public, éducationnel et professionnel avec d’autres personnes de langues-cultures différentes. Voir les deux documents suivants, qui présentent ces différents objectifs sociaux possibles de l’enseignement scolaire des langues : - « Les enjeux actuels d’une éducation langagière et culturelle à une société multilingue et multiculturelle (schéma général) », www.christianpuren.com/bibliothèque-de-travail/052/ ; - « L’évolution historique des configurations didactiques », www.christianpuren.com/bibliothèque-de-travail/029/. 2. La rupture entre l’enseignement traditionnel et l’enseignement moderne – entre la méthodologie traditionnelle et la méthodologie directe, au tout début du XXe siècle –, a consisté précisément à inverser le dispositif traditionnel, où les élèves préparaient le travail de traduction en étude ou chez eux avant la correction collective en classe : c’est désormais l’enseignant qui prépare le travail à l’avance de manière à aider et guider les élèves dans leur découverte et le commentaire immédiat du document en classe, seul dispositif qui garantisse que le recours à la langue maternelle (à la méthode indirecte) soit le plus limité possible chez les élèves. C’est la première des trois raisons qui permettent de qualifier la classe inversée en langues d’« innovation réactionnaire » (je développe cette idée dans l’intervention n° 8, voir diapositive ci-dessus). 3. Le contact préalable des élèves avec les connaissances se fait hors présence de l’enseignant, lequel, dans le cours en présentiel, peut au moins voir les réactions des élèves, et a la possibilité d’interagir en temps réel avec eux. C’est une deuxième raison pour laquelle la classe inversée peut être qualifiée, en langue et dans toutes les disciplines scolaires, d’« innovation régressive ». 4. Enfin, last but not least, dans la pédagogie de projet – et c’est l’une des caractéristiques qui en font l’intérêt pédagogique toujours actuel –, les ressources sont recherchées par les élèves eux-mêmes en fonction des besoins définis par eux-mêmes au cours de l’élaboration de leur projet. Dans la classe inversée, ces ressources sont au contraire prédéfinies et préparées à l’avance par l’enseignant, et c’est une autre raison pour laquelle la classe inversée peut être qualifiée, dans les langues comme dans toutes les disciplines faisant appel à la pédagogie de projet, d’« innovation régressive ». www.christianpuren.com/mes- travaux/2018a/ 2 The Flipped Classroom IS : • A means to INCREASE interaction and personalized contact time between students and teachers. • An environment where students take responsibility for their own learning. • A classroom where the teacher is not the « sage on the stage », but the « guide on the side ». • A blending of direct instruction with constructivist learning. • A classroom where students who are absent due to illness or extra- curricular activities such as athletics or field-trips, don’t get left behind. • A class where content is permanently archived for review or remediation. • A class where all students are engaged in their learning. • A place where all students can get a personalized education. Jonathan BERGMAN & Aaron SAMS (je souligne) cité de Marcel LEBRUN, http://lebrunremy.be/WordPress/ 3 www.christianpuren.com/mes-travaux/2018a/ (février 2018) Cette diapositive reproduit la présentation - définition et description - de la classe inversée par leurs deux « fondateurs » (on la retrouve un peu partout sur Internet). Selon le pédagogue belge Rémy LEBRUN, favorable à cette innovation : Le concept, ou en tout cas l’appellation de Flipped Classrooms, est apparu vers 2007 quand deux enseignants en chimie dans le secondaire, Jonathan Bergman et Aaron Sams ont découvert le potentiel de vidéos (PowerPoint commentés, Screencast, Podcast …) pour motiver leurs élèves à préparer les leçons en classe afin de rendre ces dernières plus interactives : Lectures at Home and HomeWork in Class, le slogan était lancé. L’air de rien, cette méthode est à la fois une petite révolution par rapport à l’enseignement dit traditionnel (le magistral, l’enseignement ex cathedra) et une piste d’évolution acceptable et progressive pour les enseignants qui souhaitent se diriger vers une formation davantage centrée sur l’apprenant, ses connaissances et ses compétences. http://lebrunremy.be/WordPress/?p=612, dernière consultation 27/01/2018) 3 www.christianpuren.com/mes- travaux/2018a/ Notons au passage que dans l’enseignement du Français langue étrangère, la centration sur l’apprenant est un thème dominant dans le discours des didacticiens depuis les années 1970, et que depuis la même époque, la méthodologie de référence y est l’approche communicative, qui privilégie en classe l’interaction orale entre apprenants : qualifier la proposition de ces enseignants américains de « révolutionnaire » ne peut l’être, en tout état de cause, que par rapport à l’enseignement de leur discipline dans leur pays à ce moment-là. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur le document présenté sur la diapositive ci- dessus. Pour l’instant, notons les deux premiers éléments, que j’ai encadrés en rouge, qui correspondent à l’idée première de la classe inversée, celle d’utiliser comme moyen (means) un environnement (environment) d’apprentissage. Cette idée de la classe inversée est à replacer dans le contexte de l’évolution des idées depuis une vingtaine d’années en Occident, avec la montée de la pensée écologique dans les sciences de la nature et les sciences humaines. Par rapport au paradigme structuraliste, où l’intérêt se portait en priorité sur l’organisation interne de l’objet d’analyse lui-même, on peut parler, à propos de l’« écologisme » (ou « environnementalisme »), d’un nouveau paradigme, où l’intérêt se déplace vers le milieu dans lequel se trouve l’objet. La méthodologie audio-orale nord-américaine des années 50-60 relevait uploads/Litterature/ puren-2018a-conference-classe-inversee.pdf
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- Publié le Apv 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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