Introduction Quelques cailloux sur le chemin... Table des matières Entre reconn

Introduction Quelques cailloux sur le chemin... Table des matières Entre reconnaissance et ostracisme : tout public ou jeune public ? Retour du récit ? Il était des fois Cendrillon : variantes et invariants dramaturgiques De la parole à la représentation Le merveilleux Moralité ? Une histoire de transmission En 1697 Barante et Dufresny présentaient à l’Hôtel de Bourgogne, avec les comédiens italiens du roi, une comédie en un acte intitulée Les Fées ou Les Contes de Ma Mère l’Oie.Du XVII e siècle à nos jours, on ne compte plus les exemples d’adaptation de conte à la scène, Perrault puis les frères Grimm, Hoffmann et Andersen en tête : ces dernières années, au théâtre, en danse ou à l’opéra, Joël Pommerat, Olivier Py, Jean-Michel Rabeux, Maguy Marin, Angelin Preljocaj ou Georges Aperghis par exemple, s’en sont inspirés pour leurs créations 1. Que ce soit en leur empruntant leur intrigue, en en proposant de nouvelles lectures ou bien en cherchant à transposer leurs procédés formels, les arts de la scène ont fait des contes l’un de leurs matériaux privilégiés, au croisement d’enjeux multiples tant esthétiques qu’idéologiques et économiques. Merveilleux ou philosophique, outil pédagogique ou détour à visée politique, le conte en scène contredit par la récurrence de ses réappropriations son statut de genre dit « mineur ». Parce qu’ils appartiennent à une culture populaire originellement non écrite, les contes ont effectivement longtemps été considérés comme des formes inférieures dans la hiérarchie des genres littéraires, et à partir du XVIII e siècle ils ont été associés de manière réductrice à la littérature enfantine ou moraliste. Pourtant, l’adaptation de conte demeure une gageure, entre passé et présent, transmission, réappropriation et invention : un art du palimpseste 2 où le recours à une matière orale, ancestrale, connue de tous, sujette à de nombreuses variantes et support d’interprétations multiples, est producteur d’une complexité esthétique et interprétative. L’échange entre le conte et les arts de la scène est à double sens : le passage à la scène modifie le conte, en le transposant, en en proposant une réinterprétation, et le conte travaille la scène : sa plasticité, sa brièveté et ses liens avec le merveilleux lancent des défis à la représentation. L’engouement retrouvé actuellement pour les contes doit aussi être pensé au sein d’une économie du spectacle où leur notoriété peut apparaître comme un gage de rentabilité. Comme toute adaptation d’un ouvrage à succès, le passage à la scène des contes est une pratique culturelle aux implications « socio-commerciales3 » non négligeables. Attractifs pour les spectateurs, à qui ils garantissent en quelque sorte la certitude de retrouver une bonne histoire tout en éveillant la curiosité quant à leur réinterprétation et expressions artistiques possibles, rassurant en ce sens pour les programmateurs et producteurs, les contes accompagnent un souci d’élargissement et de diversification des publics de théâtre. En France, depuis les années 1970-80, on assiste à un regain d’intérêt pour les contes, en partie impulsé par lemouvement du « renouveau du conte » et les initiatives d’éducation populaire. Arts du récit et arts du spectacle multiplient désormais leurs points de rencontre4, conteurs ou « raconteurs d’histoire » hybridant récit et performance spectaculaire, auteurs et metteurs en scène s’emparant des contes comme des objets dignes d’expérimentation et d’affirmation esthétique. Comme le synthétise Martial Poirson en ouverture d’un récent numéro de la Revue d’Histoire du Théâtre consacré au conte : Aujourd’hui, force est de constater que le conte, sous ses différentes déclinaisons […] ainsi que ses proches parents, mythes, fables et légendes, occupent incontestablement le devant de la scène théâtrale, depuis les premières expériences du théâtre socialiste, au début du XX e siècle, jusqu’aux écritures scéniques les plus immédiatement contemporaines de ce début du XXI e siècle. Le constat est le même, qu’il s’agisse des nouvelles écritures, des expériences d’adaptation ou de transposition par la mise en scène 5. Marie Bernanoce avait également déjà mis en valeur le fait que l’adaptation de contes à la scène va à présent de pair avec « l’éclosion d’écritures originales et fortes dans lesquelles les contes ne sont pas seulement adaptés mais deviennent le matériau de recherches esthétiques et imaginaires les réinscrivant véritablement dans le contemporain6 ». À l’opposé d’une logique de conservation et de patrimonialisation qui cherche à préserver le « patrimoine culturel immatériel » des contes en les fixant, s’affirme donc une autre approche faite de réécritures, détournements et actualisations, qui change le regard porté sur les contes et leurs usages. Le choix d’inscrire Cendrillon (2011), troisième conte réécrit par l’auteur-metteur en scène Joël Pommerat après Le Petit Chaperon rouge (2004) et Pinocchio (2008), au programme du Baccalauréat option théâtre (2013-2015) nous a paru symptomatique de cette évolution. Si, d’un point de vue méthodologique, on fait l’hypothèse que Cendrillon de Pommerat est un exemple représentatif d’une tendance plus vaste, que nous apprend cette œuvre des nouvelles alliances entre contes et arts de la scène contemporaine ? Le conte est-il un matériau de théâtre comme les autres, qu’apporte-t-il à la scène et comment celle-ci l’éclaire-t-elle en retour à nouveaux frais ? Que nous dit la version théâtrale de Pommerat par rapport à d’autres réécritures scéniques du conte ? Quelles nouvelles lectures des contes proposent leurs adaptations contemporaines et que nous révèlent-elles de notre vision du monde et de l’enfance ? Qu’en est-il des nouveaux usages du conte en scène, et plus particulièrement de Cendrillon dans le cadre d’une formation au théâtre pour futurs bacheliers ? Sans prétendre à l’exhaustivité, ce deuxième Hors-Série de la revue Agôn aspire ainsi, à partir de l’étude du cas Cendrillon de Pommerat, à ouvrir un espace de réflexion autour du conte en scène, constellation qui se développera au fil de publications invitées « en continu » à compléter ce dossier dans les mois à venir7. Entre reconnaissance et ostracisme : tout public ou jeune public ? C’est en partie avec un conte, Le Petit Chaperon rouge, que Pommerat et sa compagnie Louis Brouillard ont atteint leur notoriété : créé en 2004, Le Petit Chaperon rouge est repris en 2006 en ouverture du soixantième Festival d’Avignon et à l’issue de l’une des représentations Peter Brook invite Joël Pommerat à être artiste associé aux Bouffes du Nord (2007-2010). Pommerat raconte que ce Petit Chaperon rouge lui a fait quitter « une filière de public “averti” » pour toucher un plus large public et qu’il est alors devenu en quelque sorte « populaire malgré [lui]8 ». Cendrillon a été créé au Théâtre national de Bruxelles en 2011, quelques mois après Ma chambre froide (Molière de l’auteur francophone vivant et Molière des compagnies) et a été plébiscité par le public et par la critique (Prix belge de la critique francophone) avant de gagner la reconnaissance officielle de l’institution scolaire. Le succès de Pommerat, tout en s’inscrivant dans un parcours singulier, atteste-t-il d’un engouement plus général pour les adaptations scéniques de contes ? Gardons-nous d’un effet de perspective trop optimiste. L’étude du cas Cendrillon ne peut faire l’économie d’un questionnement plus large sur la place des contes dans le paysage théâtral contemporain. De leur présence accrue en scène soulignée par Martial Poirson au relatif mépris historique associé à cette forme populaire et à sa relégation fréquente dans la catégorie du théâtre dit « jeune public », les analyses varient. Michel Jolivet, directeur de la Maison du conte de Chevilly-Larue, n’hésite pas, par exemple, à comparer la place des contes dans les arts de la scène à celle de la marionnette, considérant qu’ils sont tous deux « victimes du même ostracisme », dévalués en tant qu’arts populaires et arts enfantins : « Récemment, certains se sont étonnés que Joël Pommerat se soit intéressé à Cendrillon pour finir par applaudir le talent du metteur en scène qui a su faire un beau spectacle d’une telle “niaiserie”. Cela révèle une véritable méconnaissance du conte9 », selon lui. Connus de tous, les contes ne seraient donc pas pour autant reconnus à leur juste valeur en tant que matière narrative et pratique performative. Par rapport à cette question de la reconnaissance des contes, il semble également nécessaire de questionner l’association récurrente entre contes et « théâtre pour enfants ». En dédiant son recueil de contes à la nièce du roi, en ajoutant des moralités aux histoires populaires dont il fixe le récit par écrit, Perrault, fidèle à la maxime classique utile dulci (plaire et instruire), a inscrit les contes dans une visée pédagogique qui leur était étrangère. Dans la tradition orale européenne, les contes étaient destinés aux adultes, transmis lors de veillées où les enfants pouvaient être présents sans que les contes leur soient spécifiquement destinés. Devenus des objets privilégiés de la littérature enfantine à partir du XVIIIe siècle, les contes caractérisent certes aujourd’hui une part importante du répertoire contemporain de « théâtre jeunesse10 » mais peut-on les y réduire pour autant ?Non sans humour, le metteur en scène Jean-Michel Rabeux présente La Barbe bleue (d’après Perrault) comme « un spectacle pour adulte à partir de 8 ans11 ». Cendrillon de Pommerat est annoncée comme une œuvre « tout uploads/Litterature/ pommerat-french-theater.pdf

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