UN NOUVEAU DOCUMENT SUR L’AFFAIRE GYP Depuis la publication de la biographie de

UN NOUVEAU DOCUMENT SUR L’AFFAIRE GYP Depuis la publication de la biographie de L’Imprécateur au cœur fidèle, en janvier 1991, les mirbeaulogues et mirbeauphiles savent que la vie d’Octave Mirbeau a été perturbée pendant quatre ans, de l’automne 1884 à l’automne 1888, par ce que j’ai appelé « l’affaire Gyp », parce que les trois actes de cette ténébreuse affaire1, dont tous les secrets n’ont pas été levés à ce jour, l’ont vu s’affronter très durement à la comtesse de Martel, alias Gyp de son nom de plume (1849-1932), polémiste et romancière antisémite et bonapartiste à qui l’on doit notamment Le Petit Bob (1882) et Le Mariage de Chiffon (1894). Mais, en l’occurrence, ce ne sont pas les opinions ultra-conservatrices de cette dame qui sont à l’origine de cette « vilaine affaire2 », comme la qualifie Claude Monet, effaré, quand son ami lui en raconte les divers épisodes rocambolesques. Et c’est bien malgré lui que notre Don Quichotte s’est embarqué dans la bataille, entraîné chevaleresquement par sa nouvelle compagne, Alice Regnault, qui deviendra son épouse légitime en mai 1887. Vitriol, roman à clefs et lettres anonymes L’affaire débute le 27 octobre 18843, lorsque Gyp prétend avoir été, ce jour-là, victime d’une tentative de vitriolage sur les Champs-Élysées4, de la part d’une femme vêtue d’un caoutchouc et le visage caché derrière une voilette, qui se serait enfuie aussitôt après avoir perpétré son forfait et en qui elle prétend, plusieurs jours après les faits supposés5, reconnaître Alice Regnault. À lire la rubrique des faits divers de l’époque, il semble que le vitriol soit utilisé le plus souvent pour assouvir une vengeance6. Toujours est-il que Le Gaulois du 29 octobre, dans un entrefilet intitulé « Un drame mystérieux », ne fournit aucun nom, mais précise que la jeune femme agressée est partie sans attendre l’arrivée de la police et en laissant son manteau de loutre7, « légèrement brûlé », à la pharmacie où elle a reçu les premiers soins, pour des blessures qualifiées de « pas très graves8 ». La policière qui sera par la suite chargée de l’enquête, une certaine dame Bonjour, sera pour sa part intimement persuadée que la belle Alice, sur le compte de laquelle elle a dûment enquêté dans les milieux bien informés, est responsable de cette agression manquée, mais, faute de preuve (ou bien parce qu’entre-temps Gyp aura retiré sa plainte, comme Meg de Garde, dans Le Druide), elle devra renoncer à faire poursuivre la présumée coupable et l’affaire se terminera par un non- lieu, à une date indéterminée, mais à coup sûr antérieure au 28 avril 1885. 1 Pour davantage de détails sur les trois actes de cette affaire, voir notre article « Mirbeau et l’affaire Gyp », Littératures, Toulouse, n° 26, printemps 1992, pp. 201-219. 2 Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé du 30 avril 1888 (Wildenstein, t. III, p. 237). 3 Dans son roman à clefs Le Druide (Havard, 1885), Gyp datera le vitriolage du 25 octobre. 4 Dans Le Druide, Gyp situera l’attentat au parc Monceau. 5 Dans Le Druide, Meg de Garde (c’est-à-dire Gyp herself) ne porte pas plainte tout de suite, par souci de sa tranquillité, et c’est plusieurs jours plus tard que son mari s’en charge pour elle. 6 Le 9 octobre précédent, un article du Gaulois, intitulé « Encore le vitriol », rapportait comment deux hommes, dont l’un curieusement nommé Martel comme Gyp, avaient été gravement blessés par un vitriolage à la tête perpétré par une domestique, engrossée puis abandonnée par l’un d’eux. Même titre pour un entrefilet paru une semaine plus tôt, le 2 octobre 1884. N’y aurait-il pas un effet de mode ? Dans Le Druide, Gyp écrira : « En général, une jalousie violente explique les actes de cette nature, mais quand ils sont accomplis par une personne cédant à un désir de vengeance, ils le sont à visage découvert » (p. 99), ce qui n’est pas le cas de Meg de Garde, l’héroïne du roman, vitriolée par Geneviève Roland. Faut-il en conclure qu’il ne s’agit pas d’une vengeance ? 7 D’après Léon Bloy, dans Le Pal du 11 mars 1885, cette fourrure « dévorée » par l’acide sulfurique aurait valu la bagatelle de 3 000 francs (Le Pal, Éditions Obsidiane, 2002, p. 47)… 8 Dans Le Druide, Gyp-Meg de Garde recevra des gouttes de vitriol sur un pied et souffrira de blessures de l’épiderme pendant plusieurs semaines. On sait que Gyp se vengera avec l’arme de sa plume trempée dans le… vitriol, dans un fort médiocre et ennuyeux roman à clefs et à scandale, Le Druide, qui paraîtra chez Havard le 19 juin 1885, alors qu’Octave et Alice villégiaturent au Rouvray, près de Laigle, dans l’Orne. Elle y trace un portrait fort diffamatoire de l’ancienne théâtreuse, rebaptisée Geneviève Roland, de son nom de guerre, alias veuve Blaireau9, alias Gant de Velours quand elle signe ses échos mondains dans Le Druide d’Anatole Solo (c’est-à-dire Le Gaulois d’Arthur Meyer) : elle est qualifiée de « fille » et de « cocotte », certes « tellement jolie » (p. 128) et séduisante, mais « capable de tout10 », et la romancière prétend que son « dossier de fille à la préfecture » est « exceptionnellement chargé de vilaines histoires11 » : elle va jusqu’à suggérer que son mari est mort dans des conditions plus que suspectes, dix-sept ans plus tôt12. Au passage, elle y égratigne méchamment Mirbeau, alias le polémiste Daton13, surnommé Rochefaible par dérision : il est qualifié, par divers personnages, de « monomane de l’injure », de « malade », de « Veuillot moins le style et l’esprit » et d’« enragé » ; il n’a, selon eux, que « de l’engueulement » en guise de talent, et, chez lui « la verve est factice », « l’abondance dégénère le plus souvent en galimatias » et « la pensée est haineuse14 ». Écœuré, Mirbeau débarquera aussitôt à Paris pour exiger de l’éditeur Havard, sinon le retrait du volume, du moins le silence autour du livre, pour lui éviter un succès de scandale. Gyp l’accusera alors d’avoir de surcroît tenté de la révolvériser, en tirant de la rue sur la fenêtre de son bureau, rue Bineau, à Neuilly : accusation de la plus haute invraisemblance, mais qui n’en est pas moins susceptible, si on la prend au sérieux, de valoir à l’écrivain ainsi dénoncé des années de prison. Une nouvelle fois l’affaire n’aboutira pas et Mirbeau en sera quitte pour la peur. Alors, histoire de parachever une vengeance apparemment insuffisante à son goût, en octobre 1887, Gyp15 adressera à la police des lettres anonymes, aux signatures fantaisistes, où elle accusera carrément Alice d’avoir participé, avec la complicité de son amant et futur mari, au fameux trafic des décorations dont le scandale vient d’éclater, entraînant la démission du président de la République, Jules Grévy16… Pour faire bonne mesure, elle rappellera la pseudo-révolvérisation de sa scrofuleuse personne, et réitèrera l’accusation lancée contre Alice Regnault d’avoir dûment assassiné son mari. Il faudra attendre le 3 novembre 1888 pour qu’Octave et Alice bénéficient enfin d’un non-lieu définitif, après avoir été durement confrontés à une police courtelinesque et à une “Justice”, si l’on ose dire, kafkaïenne. L’écrivain s’en souviendra et nombre de ses contes porteront témoignage de cette douloureuse expérience. 9 Le premier mari d’Alice s’appelait Jules Renard (sans lien de parenté avec l’écrivain homonyme)… 10 « Demandes d’argent sous menaces ; lettres anonymes adressées aux femmes et aux mères des amants : histoires de bijoux ; tentatives de chantages, etc., etc., etc. Geneviève perverse et audacieuse jusqu’à la scélératesse, avait employé, pour satisfaire ses appétits, tous les moyens, même le poison ! » (Gyp, Le Druide, p. 101). 11 Gyp, Le Druide, p. 78. 12 « […] son mari, un brave garçon disparu il y a une vingtaine d’années… un peu rapidement, emporté par une maladie… indéterminée jusqu’ici » (Le Druide, p. 40). 13 Au dernier moment, à peine quelques jours avant la sortie du Druide, Gyp a ajouté sur épreuves, en exergue, une citation ironique d’un article de Mirbeau paru le 10 juin précédent dans La France, « La Presse et Bel-Ami » : « Si, au lieu de s’acharner comme on le fait, à cacher les hontes, on les dévoilait, j’imagine que tout n’en irait que mieux » (op. cit., p. 1). 14 Gyp, Le Druide, pp. 72-73 et 158. 15 Les lettres ne sont évidemment pas signées du nom de Gyp, mais Mirbeau est bien convaincu que c’est Gyp qui est l’instigatrice de cette nouvelle manipulation, de même que, dans Le Druide, Meg de Garde est absolument convaincue que les menaçantes lettres anonymes qu’elle reçoit sont l’œuvre de Geneviève Roland. 16 L’un des principaux responsables de ce trafic rémunérateur était le général d’Andlau (1824-1892). Or c’est la famille d’Andlau qui possédait le château de Voré, à Rémalard. Est-ce une simple coïncidence ? Ou bien est-ce cette proximité onomastico-géographique qui aurait incité Gyp à mouiller le Rémalardais Mirbeau dans l’affaire ? Vengeances C’est au premier acte de cette affaire uploads/Litterature/ pierre-michel-un-nouveau-document-sur-l-x27-affaire-gyp.pdf

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