UNE PARODIE DU JARDIN DES SUPPLICES PAR RENÉE DUNAN [C’est au hasard de la vent

UNE PARODIE DU JARDIN DES SUPPLICES PAR RENÉE DUNAN [C’est au hasard de la vente, par un libraire de la Drôme, de tout ou partie des archives de Renée Dunan (1892-1936), que j’ai pu acheter le manuscrit1 d’un texte curieux, apparemment inédit, intitulé « Le parterre de sang » et qui constitue une parodie du Jardin des supplices. Certes, elle ne s’élève pas à la hauteur de l’inénarrable parodie de Mirbeau par Paul Reboux et Charles Muller, fausse interview de l’inamovible Georges Leygues intitulée « Pour les pauvres », parue en 1910 dans À la manière de…, première série, et qui pourrait bien constituer le chef-d’œuvre du genre. Mais il n’en est pas moins intéressant de voir comment une romancière spécialisée dans une abondante production érotique, parue sous de multiples pseudonymes, a tenté de s’approprier, pour la détourner, cette œuvre littérairement incorrecte que constitue le célèbre roman décadent de Mirbeau. J’ai donc demandé à Nelly Sanchez, spécialiste des écrivaines du tournant du siècle, de nous présenter cette curieuse et non moins incorrecte romancière, dont le pseudonyme le plus connu, Marcelle Lapompe, signataire du fameux Catalogue des prix d’amour2, est symptomatique d’une orientation aussi parodique que scandaleusement érotique. P. M.] Renée Dunan Qui est Renée Dunan ? Celle qui signe de ce nom une partie de son œuvre ne manque pas, en effet, de susciter la curiosité, tant par sa personnalité que par sa production littéraire. 1 Ce manuscrit comporte six feuillets de papier pelure, couverts d’une écriture bleue : « Le parterre de sang », signé carrément Octave Mirbeau, en occupe cinq ; quant au sixième feuillet, indépendant, il ne comporte qu’un paragraphe, consacré à Mirbeau, que nous publions à la suite de la parodie stricto sensu. 2 Particulièrement célèbre, parmi les amateurs d’humour et d’érotisme, est le « branlage à la mouche »… Qui est-elle ? Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus : elle serait née à Avignon en 1892, issue d’une « bonne famille de riches industriels » avec qui elle aurait coupé les ponts pour voyager à travers le monde et se consacrer à l’écriture. Au vu de ses publications, elle fut extrêmement prolifique, s’illustrant dans des genres peu goûtés par ses consœurs. Elle donna des romans d’aventures comme Baal ou la magicienne passionnée. Le Livre des ensorcellements (1923), Le Mystère du soleil des tombes (1928), et des intrigues policières : Le Chat-tigre du Service secret (1933), Le Meurtre du milliardaire (1934)… L’Histoire l’inspira également avec L'Amant trop aimé, ou comment sept maîtresses peuvent mener un amant à la Bastille et la huitième l'en faire sortir (1925), Le Sexe et le poignard. La vie ardente de Jules César (1928), Le Masque de fer ou l’Amour prisonnier (1929), L’Extraordinaire aventure de la papesse Jeanne (1932). Mais ce sont certainement ses écrits érotiques qui entretinrent l’intérêt du public et de la critique. Les titres sont des plus évocateurs : La Triple caresse (1922), La Culotte en jersey de soie3 (1923), Les Nuits voluptueuses (1926), Le Stylet en langue de carpe (1926), Une môme dessalée (1927), Une heure de désir4 (1929)… Elle signa dans Le Crapouillot, Le Sourire, mais aussi dans l’anarchiste Endehors ; elle fut critique dans Rives d’Azur, Images de Paris, Floréal. En 1925, elle participait à la brochure d'André Lorulot : L'Impôt sur le capital sera-t-il bienfaisant ? Dans sa notice sur Dévergondages, Dominique Leroy présentait ainsi l’auteure : Anarchiste, dadaïste, pacifiste, féministe avant l’heure, assumant librement sa sexualité, une des toutes premières femmes qui osa publier des romans érotiques, grand amateur de pseudonymes, talentueuse et libre, on ne peut mieux la cerner qu’en la citant : « Il faut oser dire n’importe quoi ! La morale est ailleurs que là où on l’imagine. »5 Renée Dunan écrivit essentiellement entre 1924 et 1934 et ce, sous de multiple pseudonymes : Louise Dormienne, Marcelle Lapompe, Spaddy ou Jean Spaddy, Renée Camera, Monsieur de Steinthal, Chiquita, Ethel Mac Singh, Luce Borromée, A. R. Lissa, Laure Héron, A. de Sainte-Henriette, Ky Ky C… Elle signe également « Paul Vorgs » quand elle rédige Paul Valéry ou le fainéant vanté par les sots, violente diatribe démystificatrice contre l’imposture du prétendu « génie » de Paul Valéry, qui ne serait en fait que le produit du très snob salon de Mme Lucien Mulhfeld, alors que Charmes n’est en réalité que du « solennel charabia6 ». Elle aurait vécu un temps dans le Var, s’étant retirée dans l’entourage de Victor Margueritte, à Sainte-Maxime, et serait décédée début août 1936… Cette date est cependant 3 Dans une tradition littéraire remontant à Boccace, mais mâtinée de Sade, cinq femmes y évoquent leurs premières expériences d’agression sexuelles et de viols et leur résistance au désir pervers des mâles prédateurs. L’une d’elles souhaite, pour mettre un terme à ces violences faites aux femmes en toute impunité, « que la sexualité cesse d’être une chose horrifique et cachée sous un triple voile » (Le Cercle Poche, 2011, p. 174). Notons qu’on y relève des phrases où apparaît comme un écho de thèmes mirbelliens : par exemple : « La misère révoltée est nécessaire pour faire lever la pâte humaine dans les grandes crises sociales » (p. 133) ; ou bien l’évocation de « cette alcoolisante sensation de maîtriser l’espace, de multiplier sa propre présence, de régner sur les choses, qui est la folie propre à l’automobilisme » (p. 79). 4 En dépit de ce que pourrait laisser imaginer le titre, il ne s’agit nullement d’un récit pornographique, mais d’une analyse des réactions, bien différenciées selon le sexe, des deux personnages amoureux lors de leur premier contact sexuel : la lecture de ce bref marivaudage dure autant que les faits rapportés, soit 90 minutes. Renée Dunan y plaide pour la reconnaissance du droit des femmes au plaisir sexuel, qui leur est refusé par les hommes parce que, « enfoncés dans les immondices de la dignité bourgeoise, cet abîme de servilité » – et de cynisme ! – ils prétendent n’y voir que du vice et de la perversion (p. 116). Le volume a été également réédité en 2011 par Le Cercle Poche. 5 Dominique Leroy, préface de Dévergondages, Éditions Georges Leroy, 2001 (http://www.enfer.com/zoom.asp? ref=CUR0026). 6 Le manuscrit de ce texte sur Valéry a été mis en vente en novembre 2012. Voir le catalogue de la librairie Signatures, n° 7, p. 54 sujette à controverses dans la mesure où, en 1938, elle publiait encore, sous le pseudonyme de Spaddy, Colette ou les amusements de bon ton ! Et si Renée Dunan n’était qu’un pseudonyme de plus7 ? Si celle-ci répondit bien au questionnaire « Sans voile » de l’enquête lancée par le Cupidon du 30 mars 1923, ou à celle du Disque vert sur le rêve des écrivains en 1925, et si elle préfaça L’Enfer du bagne de Murri Tullio, elle ne se présenta pas au « Procès Barrès » monté par les surréalistes en mai 1921, alors qu’elle était citée comme témoin. Plus curieux encore : aucune photo d’elle ne subsiste ! Son existence n’a jamais cessé d’intriguer, à commencer par Willy, adepte du pseudonyme et de la collaboration littéraire, qui avait peine à croire qu’une femme ait pu écrire La Triple caresse (1922)… Il disait, en parlant d’elle : « cette femme à cerveau d’homme8 ». Des éléments nouveaux sont venus étayer l’hypothèse selon laquelle Renée Dunan ne serait qu’un pseudonyme utilisé par Georges Dunan. Celui-ci affirmait, en 1942, avoir « publié trente volumes et plus de deux mille articles, dans cent journaux et périodiques, de France, de Belgique, d’Allemagne et d’Angleterre » et « écrit sous vingt pseudonymes : Renée Dunan, Georges Dunan, Georges Damian, William Stafford, etc9 »… Mais cet auteur est plus obscur encore que le double féminin qu’il a réussi à créer… Toujours est-il qu’il est né à Tours en 1881 et décédé à Nice en 1944. Quant aux œuvres, qu’il a publiées sous ces différentes signatures, elles sont également d’inspiration érotique, si l’on en juge par ces quelques titres de Georges Damian : L’Ardente flibustière (1927), Amour de femme de chambre (1930), Mémoires d’une cabine de bain (1935). Son tardif aveu n’a, semble-t-il, rien d’une supercherie, d’autant que sa graphie et celle de Renée Dunan offrent, selon Claudine Brécourt-Villars, de troublantes similitudes10. Si cette hypothèse est fondée, alors force est de noter que cet hommes de lettres fut l’un des rares à écrire sous un pseudonyme féminin : il faut en effet remonter aux années 1880 pour trouver un autre exemple, celui de Daniel Arnaud, qui choisit de signer ses œuvres « Marie Améro ». Au plaisir de la mystification, Dunan, qu’il s’agisse de Renée ou de Georges, associait un goût certain pour le pastiche. Le lecteur de Mimi-Joconde, ou la belle sans chemise (s. d., 1926 ?), roman dans lequel l’héroïne fuit, dans le plus simple appareil, d’abord un incendie, puis une épouse jalouse, un cambrioleur, des espions, etc., découvrait, que les éditions Henry- Parvillle allaient publier prochainement Le Viedaze et la Nicette, conte drôlatique inédit de Balzac, prétendument retrouvé par l’auteur… uploads/Litterature/ pierre-michel-et-nelly-sanchez-une-parodie-du-quot-jardin-des-supplices-quot-par-renee-dunan.pdf

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