L’Actualité Poitou-Charentes – N° 46 18 ertains hommes de lettres, mais aussi a
L’Actualité Poitou-Charentes – N° 46 18 ertains hommes de lettres, mais aussi artistes ou per- sonnalités diverses, ont fait de leur domicile une par- tie intégrante de leur œuvre, d’autres y ont simple- ment enraciné leur besoin d’intimité et d’identité, ré- d’ardoise, peu de hauteur, juste ce qu’il faut de proximité avec le précipice pour se donner l’illusion hauturière de la liberté d’esprit, sans l’écraser d’une quelconque arrogance esthéti- que. La maison se fait oublier de la vallée qu’elle domine, muette dans le paysage. Mais, pour peu que l’on bénéficie de la complicité et des fidèles souvenirs des descendants de l’écri- vain, cette maison se met volontiers à répondre à l’interview. Au-delà même de sa modeste histoire de pierre, au-delà de l’aventure singulière de l’homme qui l’habita, c’est alors beau- coup de l’histoire de Poitiers et du Poitou qui arrive à la barre, c’est un peu de celle de la France et de l’Europe qui s’en vient témoigner. Et puis, autant n’être pas prudent : l’histoire de la Mérigote – ou Mérigotte (la carte IGN conserve les deux t) – commence au Moyen Age, au temps où déjà les Juifs étaient mis à l’écart de la société, en un temps où la généalogie de Jean-Richard Bloch s’évanouit pour échouer beaucoup plus tard sur une marge alsacienne avant de se perdre dans l’anonymat parisien (où l’écrivain naîtra, le 25 mai 1884). Un temps où, sans la mai- son, le lieu-dit trouve ses racines toponymiques dans quelque terre d’Aymery, maison d’icelui ou terre de sa dame (Aymery, nom occitan aux échos mélusiniens, alors fréquent tout comme sa tournure germanique Aymeric ; n’entend-on pas les Goths défiler à la fin du nom, comme ils firent en contrebas dans la vallée ?). La Mérigote sonne donc médiévale, rurale, casanière, sur ce bout de plateau où la campagne persévérera jusqu’au milieu du XXe siècle, à la hauteur des fumées de vapeur proje- tées par les locomotives pionnières de 1851. Entre-temps, une petite bâtisse a été construite, vers 1882 par le maçon Diot, du faubourg Saint-Cyprien, pour quelque bour- geois sans doute soucieux de mener à l’écart quelque vie de turpitudes. Un homme, auquel on doit les sortes de fortifica- tions qui bonifient le site d’une dimension médiévale, parapet dispendieux n’ayant pas plu, dit-on, aux héritiers dudit Poite- vin, inquiets de voir ainsi dilapider le pécule familial. Pres- que à la verticale de la Grotte à Calvin, face à un généreux Jean-Richard Bloch à la Mérigote Une maison d’écrivain à Poitiers : Jean-Richard Bloch (1884-1947), romancier et intellectuel majeur de l’entre-deux-guerres, en a fait le port d’attache d’une vie partagée entre la création, l’action politique et l’Europe en mouvement Par Alain Quella-Villéger Photos Marc Deneyer patrimoine La Mérigote, à Poitiers, est un de ces lieux discrets, propriété adoptée par un remarquable “destin du siècle”1, qui fut l’un des grands intellectuels de notre époque : Jean-Richard Bloch. Située à l’extrémité du chemin du Haut-des-Sables, la Mérigote semble tourner le dos à l’agitation du monde. Curieuse con- tradiction des apparences, pour ce lieu qui fut l’observatoire d’où un homme essaya de comprendre son temps, de le préfi- gurer, de le changer aussi. A l’abri de hauts cyprès, de cèdres, tilleuls et pins, l’endroit ne semble pas bavard. L’édifice est sobre ; beaucoup de gris, Jean-Richard Bloch, Marguerite Bloch et Pierre Abraham à la Mérigote en 1911. C fugiés là à l’abri de toute ostentation. Leur maison n’en est pas moins une expression harmonieuse de leur âme, enclos plus que château, jardin secret mieux que vitrine de leur réus- site. Lieux emblématiques d’une mémoire culturelle vivante, ces immeubles privés, au-delà de simples fétichismes locaux et de tout autre culte de dulie, relèvent pleinement du patri- moine collectif : local, régional et national à la fois. L’Actualité Poitou-Charentes – N° 46 19 horizon de coteaux, l’endroit prédisposait plutôt à des agapes contemplatives, et c’est finalement une dame Dulin, proprié- taire, qui, choisissant en 1913 d’entrer en religion, après l’avoir loué, voulut le vendre. che, d’ailleurs, où nous trouverons les grands espaces et les bas loyers. C’est une petite maison accrochée au-dessus de la vallée où passe la ligne de Bordeaux, quand on quitte Poi- tiers en allant vers le midi. Peut-être avez-vous remarqué les rochers que le chemin de fer coupe à cet endroit. Le passant n’en remarque guère le pittoresque. D’en haut, ce qui frappe, c’est l’harmonie, la paix et la mélancolie de cette vallée mo- nacale» (à Romain Rolland, 4 mars 1911). Ce «petit rocher», comme il le nomme, c’est un «finistère» assurément, choisi par celui qui, devenu pour la littérature Jean-Richard Bloch, voudra toujours penser le monde au cœur. Une de ces contra- dictions intimes à tout homme : l’écart des foules pour écrire, alors qu’on professe de ne faire «plus qu’un avec le peuple» (L’Effort, 7 août 1910)... Le perron principal tourne lui-même le dos à la ville bourgeoise, vers la campagne des paysans. Le locataire accepte, le 2 août 1913, d’acheter la maison pour une bouchée de pain (la dot de son épouse y passe) et de s’y donner ainsi rendez-vous, en vue de son prochain retour d’une nomination pour Florence (séjour, prévu pour durer trois ans à compter de novembre 1913, mais interrompu par la guerre). Vers 1923, une aile perpendiculaire doublera presque la sur- face de l’édifice (demeurant sans eau courante), afin d’instal- ler quelques chambres supplémentaires et surtout un bureau, une «belle solitude de travail mérigotine» (à Georges Duha- mel, 18 novembre 1924), où il s’enfermera le soir, travaillant jusqu’à une heure avancée de la nuit. En 1911, la Mérigote est un lopin de terre austère au bout d'un chemin défoncé Le locataire alors s’appelle Jean Bloch ; c’est un jeune agrégé d’histoire (depuis l’été 1907), descendu d’un train de la val- lée de la Boivre, en octobre 1908, pour rejoindre sa nouvelle affectation de professeur sur une terre inconnue et provisoire. Voilà certes un homme de l’Ouest ayant pour «pays natal» le réseau ferroviaire Paris-Orléans, où son père (un polytechni- cien natif d’Auxerre, 1852-1934), exerce comme ingénieur, mais rien n’indique, lorsque il s’installe au n° 2 de la rue Saint- Jacques, avec Maguite (Marguerite Herzog, 1886-1975, épou- sée à Elbeuf, sœur du futur André Maurois), que Poitiers sera sa nouvelle patrie. Jusqu’à ce qu’au printemps 1911, le 10 avril, il jette son dévolu sur cette sorte de hauts de Hurlevent, à trois kilomètres de la ville au bout d’un chemin défoncé : un lopin de terre austère, accompagné seulement dans sa soli- tude par plusieurs fermes anciennes, sur un rocher calcaire qui regarde vers le sud-ouest quelque invisible océan. «Nous abandonnons Poitiers pour une campagne toute pro- L’Actualité Poitou-Charentes – N° 46 20 Sur le seuil du Poitou, cette maison est sentinelle, attentive aux idées autant qu’aux hommes. Cette position intermédiaire – site et situation – a plu à Jean-Richard Bloch, pour qui même l’Italie n’est toujours apparue – mais c’est une qualité – «qu’à la façon d’un seuil», d’un parvis. Dans une lettre à Henri Ghéon, il insiste à juste titre sur l’essence même du Poitou : «Ce grand fait humain des passages se sent ici plus qu’ailleurs. C’est un col de la civilisation2.» Au besoin, le rocher devient île lorsque son propriétaire écrit qu’on accoste «en Mérigote» et non «à la». Rien d’inattendu finalement à ce que l’utopiste s’invente une Utopia à l’image de l’Europe dont il rêve, là, à la rencontre historique de l’islam (qu’il évoque dans La Nuit kurde), de l’Orient méditerranéen qu’il désire, de «l’Europe du Milieu» qu’il croit reconnaître dans un nord germanique ouvert aux quatre points cardinaux : un lieu à l’image du «composite» qui préfigure à ses yeux toute cons- cience européenne. busse, Stefan Zweig, Darius Milhaud, Honegger, Langevin, et tant d’autres. Engagé dans la vie politique nationale (il a rencontré Jaurès au congrès socialiste de Nîmes, en février 1910) et locale, mais sans prendre le risque de s’y enliser (il refuse aux muni- cipales de 1919 de prendre la tête de la liste SFIO), l’homme s’engage surtout sur le chemin de la sympathie pour une ré- gion, dont il apprend à aimer «l’âme dure et secrète» parce que la beauté s’y cache plus qu’elle ne racole, ainsi que ses habitants dont il salue «la finesse, le bien parler, la douceur» (à Romain Rolland, mars 1914), même s’il ne se privera pas toujours d’en critiquer certain provincialisme étroit. Dans un poème de 1920, une nuit de janvier honore son bonheur solitaire : Autour de la maison / Dans la nuit le vent d’hiver Chante sur deux notes […] / Des aiguilles d’acier Percent la maison en criant / Tempête du Sud-Ouest. Comme le clair de lune / Aplatit dans la vallée Le sifflet du train. / Nuit d’hiver, campagne Braises rouges dans la cheminée […] (inédit) Un bonheur mélancolique et relatif, puisque ce mois-là sa grande amie de Neuvy-Saint-Sépulchre (au domaine de Va- renne), Jenny de Vasson, remarquable photographe et confi- dente attentive, est sur le point de mourir (15 février) et qu’il uploads/Litterature/ patrimoine-jean-richard-bloch-a-la-merigote.pdf
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- Publié le Mar 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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