La sexualité contemporaine, accords trouvés Introduction Frédérie Castan: Bienv
La sexualité contemporaine, accords trouvés Introduction Frédérie Castan: Bienvenue à tous et particulièrement à notre invité, Patrick Monribot, que je remercie d'être ici, pour nous parler des ressorts de la sexualité contemporaine. Je vous le présente : psychanalyste à Bordeaux, psychiatre, Patrick Monribot est membre de l'Association Mondiale de Psychanalyse (AMP), de l'École de la Cause Freudienne (ECF) et de la New Lacanian School (NLS) ; il est aussi chargé de cours pour l'une des branches de la Section Clinique (SC) de Bordeaux et a publié de nombreux articles dans plusieurs revues : Quarto, La Cause freudienne, dans la revue Mediodicho de Cordoba en Argentine. Il a aussi publié des séminaires en Colombie, au Venezuela et au Pérou. Cette liste est loin d'être exhaustive1. « La sexualité contemporaine, accords trouvés », titre de cette conférence, soulève de nombreuses questions. À l'heure où la culture de consommation dans laquelle nous baignons favorise la consommation instantanée où les objets qui sont proposés à la jouissance sont de plus en plus virtuels, qu'en est-il du désir ? Et de quelle façon s'articule-t-il à la jouissance ? Est-ce l'apanage de notre société contemporaine si dans la rencontre sexuée, quelque chose du sexe se perd et demeure irreprésentable pour tout sujet ? Alors que chez les animaux, l'accouplement est fait de codes, de parades où ils savent ce qu'ils ont à faire, chez l'humain il faut inventer, trouver quelques voies pour s'adresser à l'autre. Qu'est-ce qui organise cette rencontre sexuée chez l'humain ? Conduit-elle toujours à une impasse ou y a-t-il des possibilités de moins s'embrouiller avec le réel en jeu dans la sexualité ? C'est sur ces interrogations que je laisse la parole à notre conférencier Patrick Monribot. Patrick Monribot : Nous allons parler de sexualité contemporaine et interroger celle annoncée dans un proche futur par la science. Petit paradoxe : pour parler de demain, je vous livrerai une histoire d’hier. La sexualité contemporaine m’incite à partir d’une fable vieille de 18 siècles ! On pourrait croire l’histoire un peu défraîchie mais il n’en est rien, car il s’agit d’un mythe qui, par définition, est inoxydable. Inoxydable car le mythe rend compte d’un point anhistorique du malaise qui selon Freud, gangrène toute civilisation. Sous la forme d’une fiction sans âge, il cerne les impasses humaines, indépendantes du contexte historique. Au fond, il faut toujours une petite histoire pour dire ce qui échappe au livre des vérités de la grande Histoire. Le mythe prend alors un air d’éternité. Le sexuel fait partie de ces impasses intemporelles. Freud a très tôt posé le problème : « Le sexuel fait trou dans le psychique », dit-il dès 1894. Qu’est-ce à dire ? Malgré les pratiques qui satisfont volontiers l’espèce humaine, quelque chose du sexe se perd et demeure irreprésentable pour tout sujet. Nous croyons être familiarisés avec le sexe à l’époque du libéralisme, mais nous nous trompons. Quels que soient nos libertinages, une part du sexuel demeure irréductiblement étrangère, inconciliable avec la subjectivité inconsciente – Lacan dirait : non symbolisable. Ce n’est pas le fait répressif d’un problème sociétal de communication ou de mœurs – l’éducation sexuelle la plus évoluée n’y pourra rien ! – mais le fait d’un avatar incontournable de la structure humaine. Pour résumer, disons que le sexe est pierre d’achoppement avant même de devenir la source de plaisir que l’on sait. La psychanalyse a parfaitement repéré cette incidence paradoxale du sexuel. Dès la prime enfance, dès l’émergence des premières manifestations sexuelles corporelles, quelque chose d’irreprésentable surgit sans pouvoir prendre sens sur le plan psychique, sans avoir de signification immédiate. Que l’on se rappelle le petit garçon soigné par Freud, Hans, affecté d’une phobie des chevaux : surpris par ses premières érections infantiles alors qu’il n’avait pas trois ans, il est pris de crises d’angoisse terrifiantes, en prélude à sa phobie. Tel est le paradoxe : la dimension traumatique du sexe est première, en dépit de sa visée libidinale ultérieure, orientée comme chacun sait, par le principe de plaisir... Au fond, le sexe est d’abord le pivot d’une discordance, d’un malaise subjectif avant d’être une satisfaction. Tel est le pivot de la découverte freudienne. dès lors, un stigmate marque à jamais le sujet : le sexe n’est pas synonyme d’harmonie malgré les idéaux qui poussent à cette croyance et malgré la promotion fantasmatique d’une quête acharnée de satisfaction dans la vie sexuelle adulte –une satisfaction parfois récompensée… Comment dire cette impasse mieux qu’avec la fiction du mythe dont l’intemporalité témoigne d’une perpétuelle actualité. Celui que je propose aujourd’hui reflète de façon saisissante cette discorde chez l’être parlant : non seulement la discorde entre les partenaires, au sens classique – là, pas besoin de mythe pour l’illustrer ! – mais la discorde fondamentale que le sexuel induit entre soi et soi-même, ce que nous appelons la « division subjective ». Ce mythe, c’est l’histoire de Psyché et Eros. Je vous invite à le considérer comme un véritable cas clinique qui nous éclairera sur les promesses sexologiques des lendemains qui chantent. Psyché et Eros Le docteur Lacan a consacré à ce mythe une séance entière de son Séminaire intitulé Le transfert. C’était le 12 avril 1961 alors qu’il explorait la question de l’amour. L’idée d’une telle référence lui est venue d’une rencontre inattendue. Lors d’un voyage à Rome, il visite la villa Borghèse où il repère un tableau sur ce thème – Psiche sorprende Amore, réalisé à la fin du XVI° siècle par Jacopo Zucchi, élève de Vasari. Nous reviendrons sur ce tableau. Rappelons l’histoire de Psyché et Eros. L’écrivain latin Apulée la relate dans trois chapitres de ses Métamorphoses, au deuxième siècle de notre ère. Cette œuvre s’intitule aussi L’Âne d’or et c’est la seule version du mythe connue à ce jour. Quelle est cette fable ? Et quelles leçons en tirer ? Psyché est une très belle femme. Elle n’est pas une déesse mais elle n’est pas davantage un être humain ordinaire, bien que mortelle. Elle est avant tout une allégorie de l'Âme. Elle a un amant nocturne extraordinaire – extraordinaire car divin –, Eros, qui représente l’Amour et le Désir, variante grecque du dieu latin Cupidon. C’est donc une histoire que l’on peut lire à deux niveaux : celle du lien amoureux entre deux êtres d’essence différente et celle de la relation entre l’âme et le désir, bref entre un sujet et son propre désir. Comment s’est opérée la rencontre ? Vénus, déesse de la Beauté et mère d’Eros, est fort jalouse de Psyché. Psyché est en effet si belle qu’elle attire les foules aux dépens du culte de Vénus délaissée, dont les temples se vident. C’en est trop de la part d’une simple mortelle ! Furieuse, Vénus souhaite la perte et le malheur de Psyché, sa rivale en beauté. A cette fin, elle lui envoie son fils Eros, magnifique dieu ailé mais ô combien instable et désagréable ! Objectif diabolique de l’entreprise : Psyché tombera amoureuse du bel Eros et pâtira à coup sûr de cette union annoncée malheureuse avec un amant réputé infidèle et peu attentionné. Or, rien de tel ne se produisit. Eros, pas si indifférent, tombe très amoureux contre toute attente. Il installe Psyché coupée du monde des mortels, dans un palais d’une richesse incroyable où Il lui rend visite uniquement la nuit. Pourquoi la nuit ? Parce qu’il est formellement interdit à Psyché de voir son amant. Telle est la clé du mythe : Eros doit rester invisible aux yeux de Psyché – ce que permettait l’obscurité. L’interdit porte donc sur la satisfaction scopique et visuelle, seule limite à la jouissance conjugale immense de Psyché. En réalité, celle-ci s’accommode fort bien d’une telle privation car elle éprouve une jouissance sexuelle parfaite avec un amour sans faille. Amour, désir et jouissance sont chaque nuit merveilleusement réunis, ce qui est une alchimie rare chez les humains. Pour le dire en restant dans la métaphore des personnages : l’Âme est comblée car elle jouit du Désir et de l’Amour. Comme dit Lacan, elle jouit « du bonheur des dieux ». Hélas ! Cela ne va pas durer… Son bonheur va être victime de ce que Lacan appelle le « parasitisme du signifiant ». A partir de quoi, « les malheurs et les mésaventures de l’âme » vont commencer pour la pauvre Psyché ». Qu’est-ce que ce parasitisme néfaste ? Tout d’abord, les ennuis surviennent avec l’entrée dans la parole qui spécifie les échanges entre simples mortels. Psyché, enfermée dans son palais magnifique au pays des dieux, est coupée de tout lien avec ses semblables. Elle se morfond. Malgré son bonheur absolu et ses richesses illimitées, elle s’ennuie. C’est connu : la jouissance excessive déprime. C’est presque un théorème en psychanalyse : si le sujet est comblé, pas de manque. Pas de manque, pas de désir. Pas de désir : c’est la déprime. Bref, elle manque de manque. Précisément, elle manque du manque auquel nous introduit immanquablement l’échange signifiant entre êtres parlants. Elle a donc obtenu d’Eros rétif mais compatissant le droit uploads/Litterature/ patrick-monribot-la-vie-sexuelle-contemporaine.pdf
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- Publié le Aoû 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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